Reprenant
le fil de son discours, il nous annonce la venue exceptionnelle de Claude
Dendaletche, enseignant-chercheur naturaliste
et biologiste retraité de l'université de Pau qui a écrit
quelque 25 livres. Il est aussi anthropologue, spécialiste des
sociétés pastorales
(L'Archipel basque) et
s'est ainsi intéressé aux meules de
l'Artzamendi dont il en a répertorié 150. Il a publié des
livres en collaboration
avec les frères Terrasse, ornithologues spécialistes
des vautours. Il est le seul à avoir effectué des recherches
approfondies sur le comportement du chocard à bec jaune, objet
de la conférence
de ce jour à Labastide-Clairence, où il est invité par
Joëlle Darricau, la propriétaire des grottes d'Isturitz
et d'Oxocelhaya. Celle-ci s'inscrit dans le cycle "L'homme
et l'oiseau",
en référence aux 22 fragments de flûtes que
l'on a découverts dans ces grottes, réalisées
en os d'oiseau, et plus précisément
en cubitus de rapace (gypaète barbu, vautour fauve, vautour
moine), la plus ancienne remontant à l'Aurignacien (35000-28000),
la majorité
étant plutôt datée du Gravettien (27000-22000).
- Photo :
Ulna (cubitus) d'oiseau. Ci-dessus, la bruyère, indice d'un
sol siliceux, s'insère
entre les troncs multiples de l'aubépine, une association très
fréquente sur ces montagnes.-
Dimitri
s'est muni, à son habitude, d'un matériel pédagogique
en rapport avec le thème qu'il traite durant la balade.
Il sort de son sac un cubitus de vautour fauve et nous en explique
la structure. "L'oiseau est dit 'pneumatisé' : il est rempli
d'air grâce à des sacs
aériens qui prolongent ses
bronches et sont réparties
dans le corps. Ainsi ses os sont creux (tout particulièrement ceux
de ses ailes) et emplis d'un air constamment renouvelé, de façon à l'alléger
au maximum, diminuer sa masse volumique et constituer en même
temps une réserve d'air pulmonaire." Joignant le geste à la
parole, il souffle par une extrémité en testant l'air
qui ressort à l'autre
bout. Il ne manque que les trous pour en faire une flûte... -
Photos : Structure creuse d'un os d'oiseau. - Crâne et bec de vautour.
-
Il
s'empare d'un crâne et ouvre grand le bec pour nous montrer
la langue. Celle-ci est bien sûr desséchée, mais
de son vivant, elle était en forme de
cuillère, munie de petits crochets sur le dessus, et actionnée
par un os qui articulait ses mouvements de va-et-vient : elle est
"conçue"
de façon à ce que le vautour puisse ingurgiter le plus
rapidement possible les éléments nutritifs de la charogne à dépecer.
Le bec déchiquète,
le long cou nu permet sans dommage ni risque pour sa santé d'engager
la tête profondément dans le corps. En effet, sa posture
au sol le met en danger et il faut qu'il puisse s'alimenter
en quelques
minutes pour prendre ensuite son vol : deux kilos de viande lui suffisent
tous les dix jours ! Sa constitution lui permet d'attendre une
nourriture rare et aléatoire. -
Photo : Cadavre de brebis évidé. -
Sur
le chemin gît une brebis dont il ne reste que la peau et les
os. L'un d'eux est rongé : c'est l'oeuvre d'un renard (ou
d'un blaireau) qui a profité de l'aubaine, suppose Dimitri.
Dans le ciel tournoient justement des vautours. Un milan noir passe
rapidement,
tandis qu'un faucon crécerelle s'élève en tournant
dans la colonne d'air : en deux temps, trois mouvements, il est emporté très
haut près
des nuages, d'où il domine le groupe de
grands
rapaces.
Un
citron volette le long des berges d'un ruisseau. Papillon d'un jaune
plus intense que la femelle plutôt blanc verdâtre, on voit à ses
ailes
abîmées qu'il est né l'an passé et qu'il
a passé l'hiver
blotti sous des feuilles (de lierre par exemple). Les premières
chenilles apparaîtront sur nerpruns et bourdaines. Un éclair
orange vif et blanc luit par intermittence : c'est l'Aurore, ou Piéride
du cresson, un papillon
inféodé aux cardamines
des prés sur lesquelles il dépose ses oeufs un à un.
Un
pouillot véloce et un accenteur mouchet se déplacent
sans cesse d'un arbuste
à un autre : ces
oiseaux sont constamment sur la brèche, en quête d'insectes pour
eux ou leur progéniture. Nous nous
penchons
sur un parterre de fines hépatiques
trilobées aux couleurs
délicates. Les botanistes relèvent qu'il ne s'agit pas de pétales,
mais de sépales qui, pour d'autres fleurs, forment la base verte qui supporte
la corolle de pétales. Ces renonculacées poussent en milieu calcaire ou
argileux à l'ombre
de roches, en présence d'humidité. Vers le soir et par temps
pluvieux, les fleurs s'inclinent
et se referment. La graine est un akène velu
qui présente un appendice huileux (éléosome) que
les fourmis apprécient, ce qui assure la dissémination
de la plante (myrmécochore).
Bien que toxique (contenant des alcaloïdes), elle est utilisée
comme remède contre la toux ou bien, séchée,
pour ses propriétés
diurétiques
en macération dans de l'eau ou du vin. - Photo :
Avocat à la cardamine. Hépatique
trilobée. Schéma : Akène de l'hépatique trilobée et coupe longitudinale.
-
Dimitri
nous fait remarquer la jolie bergerie (ou borda) isolée près
d'un arbre sur un promontoire. Autrefois, son toit s'écroulait
et elle tombait en ruine, mais la Navarre (côté espagnol)
s'attache
à réhabiliter
ce
patrimoine rural. Par contre, nous en longeons une qui est en ruine.
On y pratiquait une petite transhumance, c'est à dire
que le berger qui demeurait en bas dans la vallée montait ici
ses bêtes
qu'il protégeait du loup et de l'ours (il y a un siècle)
par un coral ou bas muret de pierre. Comme ces deux grands prédateurs,
le vautour avait quasiment disparu des Pyrénées dans
les années 1960.
Il
ne restait alors qu'une quinzaine de couples qui se reproduisaient à Aste
Béon et aux Peñas d'Itsusi. L'Etat français encourageait
leur destruction et il existait même sur la Rhune une cabane Arano
Xulo (cache
de l'aigle) qu'une sorte d'agence tour operator utilisait pour des
clients chasseurs qu'elle prospectait jusqu'en Angleterre.
Une brebis morte amenée contre rétribution par un berger servait
d'appât
pour attirer les vautours.
En 1972, un décret de protection des rapaces diurnes mit fin à ce carnage organisé, après le décret de 1964 pour les rapaces nocturnes, et son application commença réellement en 1976. Ce furent des associations d'individus très militants qui réussirent à protéger les lieux où ces oiseaux subsistaient, de façon coordonnée en Espagne et en France. Les vautours bénéficièrent à partir de ce moment-là d'une conjoncture favorable, puisque le cheptel ovin passa de 100 000 à 450 000 (?) aujourd'hui. Le pic de leur population fut en 2005 pour les Pyrénées, avec 530 couples, mais entre temps avait éclaté le scandale de la vache folle. Le décret européen de 2003, appliqué en 2005-2006 en Aragon et en Navarre, entraîna la disparition de leur ressource alimentaire, les carcasses d'animaux des élevages, qui devaient être obligatoirement envoyées à l'équarrisseur. La population s'effondra et beaucoup d'oiseaux se dispersèrent jusqu'en Suède ou en Belgique. Des bruits commencèrent à courir sur des cas limites, de vautours attaquant des animaux pas tout à fait morts, des femelles ayant des difficultés à vêler, des nouveaux-nés. Dimitri brandit la patte d'un vautour pour plaider leur cause : elles n'ont rien de comparable aux serres des aigles, elles ont de petites griffes et de maigres articulations, elles sont trop faibles et n'ont aucun pouvoir de préhension. La seule prédation possible est avec le bec, il ne peut donc avoir pour proie que des bêtes de petite taille, ou bien des bêtes couchées, affaiblies par la maladie ou une mise bas difficile. - Photo : Asphodèle. -
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Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec un groupe | Peñas de Itsusi |
1er avril 2011 |