Décret-loi du 27 octobre 1939.
Un décret-loi du 27 octobre 1939 a complété le premier
alinéa de l’article 4 de la loi du 3 mai 1844 au moyen d’une phrase
ainsi conçue : « Toutefois, les préfets pourront réglementer la mise
en vente, la vente, l’achat, le transport et le colportage des animaux classés
comme nuisibles et régulièrement détruits dans les conditions prévues à l’article 9
de la loi du 3 mai 1844. »
Cette modification constitue une réforme qui était demandée
depuis longtemps, qui avait déjà donné lieu à un débat devant le Parlement,
mais que la lenteur du travail parlementaire n’avait pas permis d’aboutir. Un
décret-loi vient de la réaliser.
Il n’est pas sans intérêt d’en préciser ici la portée.
Le texte que complète la disposition nouvelle est celui qui
formulait d’une manière absolue l’interdiction, pendant la période où la chasse
n’est pas permise, de mettre en vente, de vendre, d’acheter, de transporter et
de colporter du gibier. Cette interdiction s’appliquait même aux animaux
détruits comme animaux nuisibles ; il résultait de là que le propriétaire
ou fermier, ou le locataire de la chasse, qui avait régulièrement détruit des
animaux nuisibles, même propres à l’alimentation, ne pouvait que les consommer
sur place et, s’il y en avait en trop grande quantité, les abandonner. Telle
était la théorie. Mais ses inconvénients étaient apparus si manifestes que,
depuis longtemps, la pratique s’était efforcée, par des moyens plus ou moins
réguliers, de la tourner. Notamment, les préfets avaient pris sur eux, en bien
des cas, d’autoriser, dans leurs arrêtés sur la chasse, le transport au
domicile du chasseur, et même le colportage et la vente des lapins, des
sangliers, des cerfs, des biches ou des chevreuils tués comme animaux nuisibles
ou au cours de battues.
Il n’est pas douteux que de tels arrêtés étaient illégaux.
En effet, si l’article 9 de la loi de 1844 permettait aux préfets de
prendre des arrêtés pour déterminer « les espèces d’animaux malfaisants ou
nuisibles que le propriétaire, possesseur ou fermier, pourra en tout temps
détruire sur ses terres et les conditions d’exercice de ce droit », à cela
se bornait le pouvoir des préfets, et ils ne pouvaient puiser dans aucune
disposition légale le pouvoir d’autoriser le colportage et la vente des animaux
détruits en période de fermeture de la chasse. Cependant, la jurisprudence
considérait que, en présence d’une autorisation de cette nature, des poursuites
ne pouvaient être exercées contre le transporteur et, en fait, il n’en était
pas exercé, bien que tout le monde fût d’accord pour reconnaître l’illégalité
des arrêtés contenant une telle autorisation.
D’autre part, même en l’absence d’autorisations concédées
par arrêté préfectoral, certaines décisions de jurisprudence avaient admis que
le transport d’animaux tués comme bêtes fauves ne pouvait être incriminé. Mais,
là aussi, on était obligé de reconnaître qu’il y avait, pour des motifs d’équité,
une entorse très nette apportée au droit strict.
Le décret du 27 octobre dernier donne aux préfets le
droit de faire légitimement ce que beaucoup d’entre eux faisaient illégalement ;
ils peuvent, dans l’arrêté réglementant la destruction des animaux nuisibles,
non seulement fixer les conditions auxquelles cette destruction est soumise
ainsi que les animaux susceptibles d’être détruits, mais encore réglementer la
mise en vente, la vente, l’achat, le transport et le colportage des animaux
détruits. Ils peuvent autoriser le transport et le colportage, pour permettre
aux chasseurs de consommer le gibier à leur domicile sans en autoriser la
vente, la mise en vente et l’achat, comme aussi ils peuvent autoriser l’un et l’autre.
Dans l’exposé des motifs du décret du 27 octobre, il
était rappelé qu’en la période actuelle, où c’est un devoir de ne pas gaspiller
les ressources du pays, il eût été particulièrement fâcheux de ne pas utiliser
et de laisser perdre des animaux propres à l’alimentation. Ce motif d’actualité
est là pour justifier l’usage du décret-loi pour réaliser cette réforme. Mais
il était à peu près aussi malencontreux, avant la guerre, de laisser se perdre
sur place les animaux détruits, et c’est pour cela, nous l’avons vu, qu’une
légère entorse était faite à la légalité.
Le nouveau texte précise que l’autorisation de transport ou
de vente ne pourra jouer que s’il s’agit d’animaux classés comme nuisibles et
régulièrement détruits dans les conditions prévues à l’article 9 de la loi
de 1844. Ainsi, d’une part, il faut qu’il s’agisse d’animaux classés comme
nuisibles, dans l’arrêté préfectoral, et, d’autre part, il faut que la
destruction ait été opérée dans les conditions où l’arrêté préfectoral l’autorise.
On sait qu’en effet, les animaux n’ont pas, par eux-mêmes et
en raison de leur nature propre, le caractère d’animaux nuisibles. Ne sont
légalement nuisibles que ceux compris dans l’énumération qui figure à l’arrêté ;
on ne saurait, pour rendre légal le colportage en temps de chasse fermée d’un
animal ne figurant pas comme tel dans l’arrêté, soutenir qu’en réalité cet
animal est nuisible ; la jurisprudence l’admettait au point de vue de la
destruction des animaux, elle l’admettra également au point de vue du transport
et du colportage.
Il faut enfin que l’animal ait été détruit par un des moyens
autorisés par l’arrêté ; le préfet jouit à cet égard d’une grande latitude ;
spécialement, il peut autoriser ou prohiber l’emploi des armes à feu. Si, comme
bien souvent, le préfet n’a pas autorisé l’emploi de ces armes, la personne
trouvée transportant un animal nuisible tué au moyen du fusil pourra être
poursuivie. Mais quel délit pourra-t-on retenir contre elle ? Le délit de
transport et colportage en temps prohibé ou celui d’infraction à l’arrêté
préfectoral ? Le point est assez important, étant donné que le premier de ces
délits est prévu par l’article 12 et comporte une sanction plus sévère que
le second auquel c’est l’article 11 qui est applicable. À notre avis, c’est
le délit de transport en temps prohibé qui doit être retenu en ce cas ; on
ne peut, en effet, retenir le délit d’infraction aux arrêtés préfectoraux que
dans les cas où le fait incriminé ne tombe sous le coup d’aucun texte plus
répressif.
Dans le cas qui nous occupe, le transport de gibier en temps
prohibé est en lui-même un fait délictueux ; il ne deviendrait légitime
que si le prévenu pouvait établir que l’animal transporté est un animal classé
comme nuisible par l’arrêté préfectoral, et que cet animal a été tué dans les
conditions où sa destruction est autorisée par l’arrêté préfectoral ;
faute par le prévenu de justifier que ces deux conditions sont réalisées, il
reste le fait délictueux de transport en temps prohibé pour lequel l’application
de l’article 12 est entièrement justifiée.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
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