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Les mouettes

J’ai maintes fois parlé de ces charmants oiseaux qui donnent de l’animation et de la vie, non seulement à nos plages et côtes maritimes, mais encore à tous nos ports de mer, et je dois le dire aussi, à toutes les régions où se trouvent des fleuves et rivières. On a pu obtenir, il y a déjà quelque temps, que les mouettes soient protégées et qu’il soit interdit de les tirer, même en mer ; cette dernière prescription n’est pas toujours observée, mais, dans nos ports comme en beaucoup de ports de mer étrangers, les mouettes jouissent d’une assez grande tranquillité. Aussi sont-elles très rapidement devenues des plus familières. J’ai raconté l’an dernier, je crois, que, pendant les temps de grand froid, les mouettes fidèles au port de Normandie auprès duquel j’habite ordinairement, venaient sur les quais manger à la main de ceux qui leur offraient du pain ou de petits poissons, entraient dans les boucheries où on leur donnait de la viande, parcouraient les cafés des quais, entre les tables, et venaient demander un morceau de pain ; j’en ai vu sur une place où se trouvait une station d’autocars, venir se poser sur le haut des cars sans s’occuper du va-et-vient des usagers de ces voitures, puis venir prendre à ma main le pain que je leur offrais de la chaussée. Et actuellement, quand je passe sur un des ponts commandant les bassins du port et sur les quais, les mouettes, sans crainte, viennent au vol effleurer mon chapeau de leurs ailes et souvent se posent à mes pieds sur les bords des bassins. Elles viennent manger ce qu’on leur offre aux fenêtres des maisons bordant les quais et entrent parfois dans les appartements. Et ce qui est charmant et pittoresque, c’est de voir toute une bande de mouettes occuper les bordages, le pont et les banquettes des bateaux de pêche et même se poser sur les vergues et cordages des plus forts navires ancrés dans les bassins.

Elles sont chez elles sur ces bateaux dont l’équipage est absent. Cela ne va pas sans quelques petits inconvénients, car ces mouettes témoignent parfois de la munificence avec laquelle elles sont nourries, comme le disait Toussenel, et salissent un peu les ponts et les bordages des bateaux qui leur servent d’asile. Et, ce qui est singulier, c’est que, quand on chassait sur les côtes et en mer, mais qu’on les respectait dans le port, elles étaient assez farouches là où elles risquaient d’être chassées, mais très confiantes dans le port. Depuis l’interdiction de la chasse, elles sont encore bien plus familières dans le port que sur les côtes. Il est vrai qu’en mer, il y a encore quelques « navigateurs », c’est l’expression consacrée maintenant — qui les tirent à l’occasion. J’ai eu plusieurs mouettes très apprivoisées dans mes jardins et même dans ma maison. L’une d’elles était constamment installée entre les pattes de ma Pointer Fly, quand cette dernière se chauffait l’été au soleil et l’hiver devant le feu. Et à côté d’elle prenait place ma chatte. Je publierai peut-être ici un jour la photo de cet intéressant trio.

J’aime beaucoup les mouettes comme les aime Mme Lucie Delarue-Mardrus, mon amie depuis bien longtemps, qui a chanté les mouettes sur le ton si poétique de tout ce qu’elle a écrit en vers et aussi en prose.

À côté des mouettes, il y a aussi les goélands qui, eux aussi, peuvent devenir des commensaux très familiers, mais ils ne se comportent pas partout comme les mouettes.

J’en parlerai un de ces jours.

Louis TERNIER.

Le Chasseur Français N°595 Janvier 1940 Page 3