Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°595 Janvier 1940  > Page 4 Tous droits réservés

La chasse au chien courant

Le renard.

Il est de bon ton, dans le monde de la Vénerie, de médire et de mépriser le courre du renard. Certains affirment que c’est un animal tout juste bon à chasser avec quelques briquets, car sa voie de bête puante est si facile à enlever que les plus mauvais chiens s’y montrent fort propres ; d’autres estiment qu’avec la facilité qu’il a de se terrer, il peut échapper sans qu’il n’y ait faute ni des chiens ni des hommes et, par cela même, n’est plus susceptible d’être classé dans les animaux courables ; les derniers disent que sa chasse est vraiment trop facile et qu’il faut être bien ignorant pour ne point briller à cette chasse-là.

Et pourtant ! ... Le renard — avec le lièvre, le sanglier et le chevreuil étant l’animal que j’ai le plus chassé — m’a laissé le souvenir de bien des chasses émotionnantes, pleines d’imprévus et de magnifiques parcours ! Il est probable que je ne suis pas le seul à le tenir pour un adversaire fort estimable et qui procure beau sport et joli divertissement ...

Sur le renard, il court une foule d’erreurs et d’inexactitudes. D’origines littéraires, les premières — œuvres de romanciers et surtout de fabulistes — en font un animal pétri de ruses et d’une sagacité remarquable. Les autres, d’après des chasseurs trop simplistes ou qui ne l’ont chassé qu’à tir devant 3 ou 4 braillauds, le dépeignent comme un puant, nigaud et sans aucune défense, qui vient immanquablement se faire fusiller à un terrier ou sur le revers d’un fossé.

L’erreur est double. Chassé à courre le renard se montre comme un animal extrêmement vigoureux dont la voie, très forte il est vrai, ne tient pas. Il est vite très résistant et demande à être bousculé sans répit par des chiens de grand pied pour être mis hallali. Devant un petit effectif de bons renardiers sa chasse à tir est très intéressante. Il randonne, prend des partis, évente fort bien les tireurs ; à cause de sa voie forte, les chiens font une musique charmante et ininterrompue dont le maître et ses invités se réjouissent jusqu’au moment où le coup de fusil de l’un d’entre eux vient mettre le point final à ce qui a été parfois une très jolie chasse.

Le renard, à courre ou à tir, s’attaque à la billebaude, sauf en Angleterre et dans deux ou trois endroits de France, à Pau, Biarritz ou au Touquet, où, suivant la conception britannique, on chasse le renard d’escap. C’est un animal, pris vivant, qu’on lâche avant la chasse. Parfois il est drogué, doctored fox, c’est-à-dire que l’on a frotté avec de l’essence d’anis, ou auquel on a fait boire du gin pour augmenter son « scent ». Dans ce pays inconnu de lui ce renard de boîte file droit comme un trait, cherchant le salut dans la fuite et se conduisant en animal affolé. C’est du sport, car le train est très vif, et les cavaliers s’y amusent, mais ce n’est pas de la chasse et encore moins de la Vénerie.

La chasse française est autrement plus intéressante, si le pays ne recèle pas de trop nombreux terriers, de ces terriers creusés en des endroits inexpugnables, comme rochers, pierrailles, etc., où le courre devient impossible, le renard s’y réfugiant, parfois, très vite.

Dans bien de nos provinces du Centre et de l’Ouest, où j’ai beaucoup chassé, le courre du renard est plein d’imprévu et de charme, les animaux ne se terrant que fort rarement. Animaux sauvages, aux forces intactes, connaissant leur contrée, ils rusent, cherchent le fourré, battent l’eau, enfin se défendent fort bien au grand plaisir des vrais veneurs.

J’ai sous les yeux le compte rendu de trente chasses de renard, relevé de la saison 1929-1930 de notre livre de chasses. Sur 26 animaux lancés, cinq seulement se sont terrés ; on voit que la proportion est faible. J’ai dit que le renard s’attaquait, comme le lièvre, à la billebaude, il serait fastidieux de faire le bois pour un si mince personnage ; de plus, un veneur qui connaît son terrain sait, à peu près à coup sûr, où il lancera un renard ; dans ce grand carré d’ajoncs, dans cette pointe d’acacias, dans ce fourré d’épines noires, enfin dans des endroits bien catalogués, mais presque toujours au fort et au piquant.

Les chiens doivent être découplés dans les allées que le veneur suivra avec eux ; c’est là le plus souvent où ils prendront la voie. Les rapprocheurs l’emmènent, entrent au couvert, ils percent gaillardement ; les voix flûtées, les voix profondes, le coup de cloche des cogneurs, tout fait un charmant concert. Puis cela s’anime, s’échauffe, le carillon prend toute son ampleur, le renard est debout, la menée est commencée.

Car il est bien rare qu’un renard parte au nez des chiens ; aux premiers récris des rapprocheurs, il a quitté sa reposée et se dérobe en tapinois, cherchant à gagner au pied.

Mais il n’y a plus d’erreur, notre maître d’équipage regarde l’heure à sa montre, tandis que son piqueux La Branche, déjà au petit galop, sonne le lancer, sur le dos de ses chiens : c’est attaqué !

Et voilà un des charmes de la chasse du renard : le rapprocher enlevé lestement et la menée qui commence à plein train. Les chiens volent sur la voie ; l’animal a pris un parti, il se faufile dans le couvert, fuit dans les fourrés, il coupe une petite futaie et prend hardiment la plaine, se dirigeant vers un autre bois dont la ligne violette barre l’horizon. Le voyez-vous traverser les chaumes à toute allure : c’est un vigoureux charbonnier dont la queue à l’imposant panache augmente la silhouette. Mais voici nos petits tricolores qui boivent la voie et débouchent à leur tour ; le Débucher résonne, puis les bien-aller se succèdent, la trompe perlée de La Branche s’enfle joyeusement ; l’instant est superbe et toute l’assistance, au galop, suit la meute avec entrain.

Les premiers moments du courre se déroulent sans difficulté le plus souvent ; la voie est excellente, les chiens percent à plein train et la chasse marche rondement. Mais, après un certain temps, le matois commence ses ruses, bien petites et bien simples, il est vrai, si on les compare à celles du lièvre et surtout du chevreuil, mais qui peuvent cependant gêner les chiens.

Il gagnera le plus souvent de grands forts, bien fourrés et épineux, et tâchera, en s’y faisant battre et rebattre, d’user et de dégoûter les chiens, puis, s’il a du répit, de gagner au pied. Car, et c’est ce que beaucoup ignore, si la voie récente du renard est très forte, elle s’évapore très rapidement et disparaît. C’est une voie diabolique, ainsi que le disait fort justement un vieux maître poitevin ; parfois elle disparaît complètement, puis revient quelque temps plus tard, et les chiens qui la sur-allaient sans rien reconnaître l’enlèvent de nouveau.

À quoi attribuer ces chutes de voie ? Jusqu’à maintenant, personne n’a pu en donner une explication plausible, et il faut s’en tenir aux suppositions. Autrefois on disait aussi que le renard foirait sur sa queue ; je vous prie de m’excuser de rapporter cette expression un peu crue, mais consacrée. Elle s’appliquait lorsque l’animal, après avoir battu l’eau dans des fossés ou des queues d’étangs, les chiens mollissaient ou ne pouvaient plus enlever la voie refroidie : c’est la seule explication, car il n’est point question d’une prétendue incongruité du renard qui dégoûterait les chiens délicats !

Mais cela nous apprend que Maître Goupil ruse à l’eau ; sa queue trempée, balayant la voie, en augmente l’efficacité. Quand semblable incident se produit, il faut enlever les chiens, faire les devants (car un renard, à ce moment-là, s’il n’est point effrayé s’entend, accomplit bien rarement des retours) et la chasse reprend en avant.

Profitant des moindres coulées où sa taille réduite lui permet de se glisser facilement, il maintient son avance sur les chiens plus grands qui n’y passent qu’avec peine. C’est pour cela que nous disions, dans une précédente causerie que la taille d’un équipage destiné à chasser le renard doit se tenir entre 0m,48 et 0m,60.

Il longe les fossés, ou les suit ; bien caché à l’abri des ronciers qui les recouvrent, il va donner à un grand terrier ; il y entre par une gueule et ressort par l’autre, se faufile sous un ponceau, prend la plaine.

Mais les heures passent ; la menée continue régulière et menaçante ; Maître Goupil sent sa fin approcher. Le poil noir et crotté, la queue traînant lamentablement à terre, il raccourcit ses randonnées ; les chiens se récrient de plus belle, les bien-aller joyeux les soutiennent, les cavaliers ne retiennent plus leurs chevaux qui galopent plus légèrement encore, semble-t-il, qu’au moment du lancer : ce sont les instants enivrants qui précèdent la prise ...

Certains renards, littéralement affolés, piquent dans le vent, comme des abrutis, disait notre vieux piqueux ; certains sont gagnés de vitesse et pris en plaine, comme des lièvres ; d’autres vont s’acculer sous quelque souche, dans un tas de fagots, sous un ponceau, ou autre endroit encore plus bizarre, comme celui que nous avons pris dans la mangeoire de l’écurie d’une ferme. D’autres vont se terrer.

Si le terrier est facile, un fox vigoureux peut le faire sortir sans le secours de la pioche ; autrement, il faut déterrer, selon la manière classique, puis le relâcher en plaine et le faire étrangler par les chiens courants.

Il n’est point question de curée ; les chiens s’y répugnent. On laisse fouler l’animal mort, puis on fait les honneurs en offrant le brush (le panache) à l’invité de marque ou au vieil ami, s’il n’y a quelque gracieuse amazone à qui la galanterie française réserve cet honneur comme un droit.

La chasse à courre du renard est la plus simple qu’il soit. Des chiens vigoureux, vites et allants, sont nécessaires ; on les créance assez vite dans la voie de ce puant. Le piqueux lui aussi doit être ardent, toujours aux chiens, ne craignant ni ses peines ni le fort, piquant hardiment, et soutenant la meute de la voix et de la trompe. Il est certain qu’un bon veneur montrera à cette chasse-là, comme aux autres sa supériorité, car il y a des difficultés aussi et il saura y apporter de suite remède. L’homme qui possède l’intuition, ce sens de la chasse qui échappe au profane, peut être classé parmi les doués du monde et comparable — toutes proportions gardées — aux grands poètes, artistes ou inventeurs. Ils ont des éclairs de génie qui étonnent et surprennent.

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°595 Janvier 1940 Page 4