Il est de bon ton, dans le monde de la Vénerie, de
médire et de mépriser le courre du renard. Certains affirment que c’est un
animal tout juste bon à chasser avec quelques briquets, car sa voie de bête
puante est si facile à enlever que les plus mauvais chiens s’y montrent fort
propres ; d’autres estiment qu’avec la facilité qu’il a de se terrer, il
peut échapper sans qu’il n’y ait faute ni des chiens ni des hommes et, par cela
même, n’est plus susceptible d’être classé dans les animaux courables ;
les derniers disent que sa chasse est vraiment trop facile et qu’il faut être
bien ignorant pour ne point briller à cette chasse-là.
Et pourtant ! ... Le renard — avec le lièvre,
le sanglier et le chevreuil étant l’animal que j’ai le plus chassé — m’a
laissé le souvenir de bien des chasses émotionnantes, pleines d’imprévus et de
magnifiques parcours ! Il est probable que je ne suis pas le seul à le
tenir pour un adversaire fort estimable et qui procure beau sport et joli
divertissement ...
Sur le renard, il court une foule d’erreurs et d’inexactitudes.
D’origines littéraires, les premières — œuvres de romanciers et surtout de
fabulistes — en font un animal pétri de ruses et d’une sagacité
remarquable. Les autres, d’après des chasseurs trop simplistes ou qui ne l’ont
chassé qu’à tir devant 3 ou 4 braillauds, le dépeignent comme un puant, nigaud
et sans aucune défense, qui vient immanquablement se faire fusiller à un
terrier ou sur le revers d’un fossé.
L’erreur est double. Chassé à courre le renard se montre
comme un animal extrêmement vigoureux dont la voie, très forte il est vrai, ne
tient pas. Il est vite très résistant et demande à être bousculé sans répit par
des chiens de grand pied pour être mis hallali. Devant un petit effectif de
bons renardiers sa chasse à tir est très intéressante. Il randonne, prend des
partis, évente fort bien les tireurs ; à cause de sa voie forte, les
chiens font une musique charmante et ininterrompue dont le maître et ses
invités se réjouissent jusqu’au moment où le coup de fusil de l’un d’entre eux
vient mettre le point final à ce qui a été parfois une très jolie chasse.
Le renard, à courre ou à tir, s’attaque à la billebaude,
sauf en Angleterre et dans deux ou trois endroits de France, à Pau, Biarritz ou
au Touquet, où, suivant la conception britannique, on chasse le renard d’escap.
C’est un animal, pris vivant, qu’on lâche avant la chasse. Parfois il est
drogué, doctored fox, c’est-à-dire que l’on a frotté avec de l’essence d’anis,
ou auquel on a fait boire du gin pour augmenter son « scent ». Dans
ce pays inconnu de lui ce renard de boîte file droit comme un trait, cherchant
le salut dans la fuite et se conduisant en animal affolé. C’est du sport, car
le train est très vif, et les cavaliers s’y amusent, mais ce n’est pas de la
chasse et encore moins de la Vénerie.
La chasse française est autrement plus intéressante, si le
pays ne recèle pas de trop nombreux terriers, de ces terriers creusés en des
endroits inexpugnables, comme rochers, pierrailles, etc., où le courre devient
impossible, le renard s’y réfugiant, parfois, très vite.
Dans bien de nos provinces du Centre et de l’Ouest, où j’ai
beaucoup chassé, le courre du renard est plein d’imprévu et de charme, les
animaux ne se terrant que fort rarement. Animaux sauvages, aux forces intactes,
connaissant leur contrée, ils rusent, cherchent le fourré, battent l’eau, enfin
se défendent fort bien au grand plaisir des vrais veneurs.
J’ai sous les yeux le compte rendu de trente chasses de
renard, relevé de la saison 1929-1930 de notre livre de chasses. Sur 26 animaux
lancés, cinq seulement se sont terrés ; on voit que la proportion est
faible. J’ai dit que le renard s’attaquait, comme le lièvre, à la billebaude,
il serait fastidieux de faire le bois pour un si mince personnage ; de
plus, un veneur qui connaît son terrain sait, à peu près à coup sûr, où il
lancera un renard ; dans ce grand carré d’ajoncs, dans cette pointe d’acacias,
dans ce fourré d’épines noires, enfin dans des endroits bien catalogués, mais
presque toujours au fort et au piquant.
Les chiens doivent être découplés dans les allées que le
veneur suivra avec eux ; c’est là le plus souvent où ils prendront la
voie. Les rapprocheurs l’emmènent, entrent au couvert, ils percent
gaillardement ; les voix flûtées, les voix profondes, le coup de cloche
des cogneurs, tout fait un charmant concert. Puis cela s’anime, s’échauffe, le
carillon prend toute son ampleur, le renard est debout, la menée est commencée.
Car il est bien rare qu’un renard parte au nez des chiens ;
aux premiers récris des rapprocheurs, il a quitté sa reposée et se dérobe en
tapinois, cherchant à gagner au pied.
Mais il n’y a plus d’erreur, notre maître d’équipage regarde
l’heure à sa montre, tandis que son piqueux La Branche, déjà au petit galop,
sonne le lancer, sur le dos de ses chiens : c’est attaqué !
Et voilà un des charmes de la chasse du renard : le
rapprocher enlevé lestement et la menée qui commence à plein train. Les chiens
volent sur la voie ; l’animal a pris un parti, il se faufile dans le
couvert, fuit dans les fourrés, il coupe une petite futaie et prend hardiment
la plaine, se dirigeant vers un autre bois dont la ligne violette barre l’horizon.
Le voyez-vous traverser les chaumes à toute allure : c’est un vigoureux
charbonnier dont la queue à l’imposant panache augmente la silhouette. Mais
voici nos petits tricolores qui boivent la voie et débouchent à leur tour ;
le Débucher résonne, puis les bien-aller se succèdent, la trompe perlée de La
Branche s’enfle joyeusement ; l’instant est superbe et toute l’assistance,
au galop, suit la meute avec entrain.
Les premiers moments du courre se déroulent sans difficulté
le plus souvent ; la voie est excellente, les chiens percent à plein train
et la chasse marche rondement. Mais, après un certain temps, le matois commence
ses ruses, bien petites et bien simples, il est vrai, si on les compare à
celles du lièvre et surtout du chevreuil, mais qui peuvent cependant gêner les
chiens.
Il gagnera le plus souvent de grands forts, bien fourrés et
épineux, et tâchera, en s’y faisant battre et rebattre, d’user et de dégoûter
les chiens, puis, s’il a du répit, de gagner au pied. Car, et c’est ce que
beaucoup ignore, si la voie récente du renard est très forte, elle s’évapore très
rapidement et disparaît. C’est une voie diabolique, ainsi que le
disait fort justement un vieux maître poitevin ; parfois elle disparaît
complètement, puis revient quelque temps plus tard, et les chiens qui la sur-allaient
sans rien reconnaître l’enlèvent de nouveau.
À quoi attribuer ces chutes de voie ? Jusqu’à
maintenant, personne n’a pu en donner une explication plausible, et il faut s’en
tenir aux suppositions. Autrefois on disait aussi que le renard foirait sur
sa queue ; je vous prie de m’excuser de rapporter cette expression un
peu crue, mais consacrée. Elle s’appliquait lorsque l’animal, après avoir battu
l’eau dans des fossés ou des queues d’étangs, les chiens mollissaient ou ne
pouvaient plus enlever la voie refroidie : c’est la seule explication, car
il n’est point question d’une prétendue incongruité du renard qui dégoûterait
les chiens délicats !
Mais cela nous apprend que Maître Goupil ruse à l’eau ;
sa queue trempée, balayant la voie, en augmente l’efficacité. Quand semblable
incident se produit, il faut enlever les chiens, faire les devants (car un renard,
à ce moment-là, s’il n’est point effrayé s’entend, accomplit bien rarement des
retours) et la chasse reprend en avant.
Profitant des moindres coulées où sa taille réduite lui
permet de se glisser facilement, il maintient son avance sur les chiens plus
grands qui n’y passent qu’avec peine. C’est pour cela que nous disions, dans
une précédente causerie que la taille d’un équipage destiné à chasser le renard
doit se tenir entre 0m,48 et 0m,60.
Il longe les fossés, ou les suit ; bien caché à l’abri
des ronciers qui les recouvrent, il va donner à un grand terrier ; il y
entre par une gueule et ressort par l’autre, se faufile sous un ponceau, prend
la plaine.
Mais les heures passent ; la menée continue régulière
et menaçante ; Maître Goupil sent sa fin approcher. Le poil noir et
crotté, la queue traînant lamentablement à terre, il raccourcit ses randonnées ;
les chiens se récrient de plus belle, les bien-aller joyeux les soutiennent,
les cavaliers ne retiennent plus leurs chevaux qui galopent plus légèrement
encore, semble-t-il, qu’au moment du lancer : ce sont les instants
enivrants qui précèdent la prise ...
Certains renards, littéralement affolés, piquent dans le
vent, comme des abrutis, disait notre vieux piqueux ; certains sont
gagnés de vitesse et pris en plaine, comme des lièvres ; d’autres vont s’acculer
sous quelque souche, dans un tas de fagots, sous un ponceau, ou autre endroit
encore plus bizarre, comme celui que nous avons pris dans la mangeoire de l’écurie
d’une ferme. D’autres vont se terrer.
Si le terrier est facile, un fox vigoureux peut le faire
sortir sans le secours de la pioche ; autrement, il faut déterrer, selon
la manière classique, puis le relâcher en plaine et le faire étrangler par les
chiens courants.
Il n’est point question de curée ; les chiens s’y
répugnent. On laisse fouler l’animal mort, puis on fait les honneurs en offrant
le brush (le panache) à l’invité de marque ou au vieil ami, s’il n’y a quelque
gracieuse amazone à qui la galanterie française réserve cet honneur comme un droit.
La chasse à courre du renard est la plus simple qu’il soit.
Des chiens vigoureux, vites et allants, sont nécessaires ; on les créance
assez vite dans la voie de ce puant. Le piqueux lui aussi doit être ardent,
toujours aux chiens, ne craignant ni ses peines ni le fort, piquant hardiment,
et soutenant la meute de la voix et de la trompe. Il est certain qu’un bon
veneur montrera à cette chasse-là, comme aux autres sa supériorité, car il y a
des difficultés aussi et il saura y apporter de suite remède. L’homme qui
possède l’intuition, ce sens de la chasse qui échappe au profane, peut
être classé parmi les doués du monde et comparable — toutes proportions
gardées — aux grands poètes, artistes ou inventeurs. Ils ont des éclairs
de génie qui étonnent et surprennent.
Guy HUBLOT.
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