La précieuse diversité de nos forêts au point de vue du
climat, de la nature du sol, de la végétation et de l’altitude, entraîne dans
la faune cynégétique entre espèces, et même entre individus, d’intéressantes
dissemblances de pelages ou de plumages. C’est surtout parmi les oiseaux que
ces différences sont sensibles.
Nous sommes favorisés à cet égard par notre littoral où
pérégrine, jusqu’en lisière des pineraies de la dune et des taillis d’yeuses
couvrant les bancs rocheux, la phalange si bigarrée des oiseaux d’eau, offrant
au chasseur les trophées les plus éclatants, les plus variés.
Si nos oiseaux de chasse de la plaine, des bois, des
montagnes, sont en général plus modestement vêtus, il se rencontre néanmoins,
dans leurs groupes, de brillantes exceptions : le lagopède en plumage
hivernal, le coq faisan, le grand tétras, la perdrix rouge. On trouve de
délicats assortiments de coloris chez la bécasse, le pigeon ramier, la grive
mauvis, le râle de genêts, la gelinotte ; des zébrures, des bigarrures,
des mouchetures de toute sorte dans la livrée des rapaces : faucons,
busards, milans, autours.
Il existe des parures de saison plus vives, plus éclatantes,
parfois plus ornementées, chez les couples de migrateurs à la veille de s’apparier,
voire chez les sédentaires ; ce plumage de noces ne laisse pas que de
revêtir les formes les mieux seyantes ou les nuances les plus chatoyantes,
notamment chez les gallinacés : parures de la saison du flirt et des
aigrettes, des colliers d’argent, des tours de cou de saphir ou d’émeraude, des
plastrons rutilants, des huppes, des jabots, des panaches, des frisures. Tant
il est vrai que les humains ne possèdent pas, même en galants chronique, le
monopole de la coquetterie.
Diversifié dans les nuances et les touches du coloris, le plumage
des oiseaux-gibier l’est aussi quant à ses formes. Sur le faisan, il s’effile
en longues plumes caudales, en plumes démesurées chez le faisan vénéré :
jeune tireur, gare à la queue ! Sur le coq de bruyère, sur la gelinotte,
les plumes rectrices forment la roue. À l’arrière du canard col-vert, habitué
des mares et des étangs de forêt, elles se retroussent ; singulière façon
de porter les accroche-cœur !
Plus curieuse encore est l’adaptation du plumage au milieu
comme teinte d’ensemble chez certains oiseaux de nos bois. Cette identité de
nuance entre l’être et son milieu constitue ce que l’on appelle le mimétisme. C’est
un des meilleurs atouts que possède le gibier pour échapper à la vue de l’homme.
Bien habile qui distinguerait à coup sûr la bécasse blottie au milieu des
feuilles mortes. Ne vous semble-t-il pas que la teinte gris-mauve des plumes de
perdrix rouge est empruntée au coloris des bruyères, que le vert sombre des
tétras se perd dans la masse foncée des sapins, qu’à certains jours les ramiers
prélèvent sur la grisaille du ciel d’automne le cendré de leur revêtement ?
À l’opposé du mimétisme, se placent les originalités de
plumage que l’on nomme albinisme, isabellisme, mélanisme ; ce qui
signifie, en bon français, prédominance fortuite du blanc, de l’isabelle ou du
noir dans une parure de toute autre teinte normale. L’albinisme est fréquemment
signe de consanguinité ; il apparaît chez les faisans dans les élevages
intensifs où l’on néglige l’échange des reproducteurs, chez les perdrix rouges
trop parcimonieusement cantonnées, chez certains oiseaux des agglomérations
urbaines : ramiers, merles. Car le merle blanc n’est pas un mythe : j’ai
occis en 1910, à Rambouillet, dans mon petit jardin de la rue Gambetta, un
merle, sinon blanc pur, du moins gris très clair. J’ai vu de nombreux faisans
blancs ; on s’amuse même, en de grandes battues, à marquer par leur
présence au tableau le début de chaque centaine.
Une très belle collection d’oiseaux, en Saintonge, se
glorifie de posséder comme types d’albinisme un choucas, une corneille, une
buse, une grive mauvis et une draine ; comme spécimens d’isabellisme, une
bécasse, un geai, une perdrix rouge ; comme échantillons de mélanisme, un
busard harpaye, un faucon Éléonore, un busard Saint-Martin : mélanisme de
plumage bien assorti à la noirceur d’instincts de ces apaches empennés.
L’Exposition nationale des trophées de chasse, qui s’est
ouverte du 9 au 19 juin 1938 au Musée de la France d’outremer à Vincennes,
permettait d’admirer une bécasse entièrement blanche, à bec et pattes jaune
clair, tuée dix ans auparavant dans l’Oise.
L’albinisme n’est pas le monopole des oiseaux ; la même
exposition nous a présenté un magnifique sujet, un brocard albinos, tranchant
en nature morte sur le panneau central des trophées de la région des Vosges où
ce chevreuil avait été abattu en 1936 en forêt de la Bresse, près de Remiremont,
tandis qu’un brocard et une chevrette albinos étaient tués également dans les
Vosges, en forêt de Prayé. Moins rares sont les sangliers blancs.
À côté de tels pelages anormaux, n’oublions pas les
différences de robes selon les âges et les saisons. Les faons et les marcassins
portent une « livrée » bien connue et très distincte du pelage des
adultes ; le marcassin devient successivement bête rousse, puis bête
noire. Le chevreuil en pelage d’été se trouve vêtu de nankin, que remplace en
hiver la couleur fauve grisâtre. Le brun foncé du chamois en arrière-saison
fait place l’été à une toison beaucoup plus claire et moins dense. L’écureuil,
lorsqu’il hiverne dans ses logettes moussues, se vêt de brun et de gris ;
il n’arbore qu’en belle saison sa casaque acajou. Les rapaces ont, suivant leur
âge, des plumages très dissemblables, à tel point que les vieux auteurs se
perdaient en la classification des busards.
Chacun sait qu’il y a des renards charbonniers par
opposition à des renards roux, que le pelage du lièvre se cantonnant dans les
bois est en général plus lisse, moins fourni que celui du lièvre de plaine, que
la rigueur du climat renforce l’épaisseur des fourrures et que le mimétisme
sauve en forêt bien des animaux sauvages parmi les quadrupèdes comme parmi les
oiseaux. Les piégeurs tiennent grand compte de la saison pour le profit à tirer
de leurs captures ; et les taxidermistes hésitent à préparer la dépouille
d’un fauve occis, quand le poil ne tient pas.
Qu’importe, objecteront les « chasseurs au plat »
et certains chasseurs tout court ?
Je ne me range pas à cette opinion trop intéressée ou trop
prosaïque à mon gré. Il ne m’est nullement indifférent de posséder une pièce de
gibier, de palper le pelage d’un animal nuisible, revêtus de leur parure la
plus riche, non plus que de cueillir dans une clairière de forêt la fleur dont
les pétales s’épanouissent en beauté.
Pierre SALVAT.
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