Dans le Chasseur Français de novembre, je lis, et par
des plumes autorisées, l’apologie des chasses gardées, et le haro sur les
chasses banales. Qu’il me soit permis, à moi, chasseur moyen, de faire une
légère réserve.
Il est deux positions bien différentes : grandes
propriétés, d’abord ; là, pas de doute, la chasse gardée est à sa place.
Mais il y a aussi les régions à domaines réduits, à petites exploitations, à
parcelles morcelées, où c’est tout l’opposé : ni le statut des chasses
gardées, ni le régime alsacien, ni même souvent les chasses communales, sources
de nombreux abus contrôlés, ne peuvent convenir, et voici pourquoi.
Distinguons à l’origine le propriétaire chasseur, et
celui qui ne l’est pas. Le premier ne louera jamais ses terrains, car il en serait
évincé lui-même, déjà tous les jours non admis par le règlement de la société
locataire — les seuls souvent qu’il puisse avoir de libres dans son
travail de culture, le plus irrégulier qui soit — et ensuite ... même
les jours autorisés où on lui multipliera les entraves, si ce n’est une
formelle interdiction. Que deviendrait pour ce terrien la liberté de propriété ?
Il ne serait plus maître chez lui ; or, cela, il y tient essentiellement.
Quant à celui qui ne chasse pas, il voudra encore moins
introduire dans ses champs des inconnus qui — peut-être par ignorance, je
l’admets — passeront n’importe où avec leurs chiens, sans tenir aucun
compte des récoltes. C’est là le plus grand reproche que le paysan fait au
chasseur de la ville. Ne haussez pas les épaules ; il est justifié, et c’est
de toutes ces désinvoltures ressemblant à des brimades qu’est fait le
mécontentement du cultivateur. J’ai été moi-même témoin de nombreux faits que
je pourrais citer à l’appui de cette thèse.
Tandis que, si la chasse reste banale, il a le droit, et il
en use, de s’opposer au passage des étrangers sur ses terres, et ce ne sera,
certes pas, son voisin, petit chasseur, qui piétinera ses betteraves ou ses
avoines, car il a les mêmes droits à faire respecter.
« Le gibier disparaît, dites-vous. On le braconne ! »
Rien n’est plus facile que d’y remédier avec le système banal. Voici comment,
dans une région que je connais particulièrement, on a résolu le problème. Tous
les propriétaires (je dis bien : tous), chasseurs ou non, se sont groupés,
sans statuts ni règlement, par une de ces ententes verbales si solides entre
campagnards ; ils ont réservé leurs terrains par l’apposition d’inscriptions
formelles. D’accord entre eux, ils y chassent quand ils veulent — en temps
permis, bien entendu — et y lâchent même du gibier. La police des
braconniers est faite par tous, étant l’avantage de chacun. Les écumeurs
étrangers n’y viennent pas, car ils sont, en ce cas, reçus d’importance. Ceux
du pays, tous connus, sont dûment avertis : à la première incartade,
toujours vue par quelqu’un, ils sont signalés à la gendarmerie qui fait le
reste (car les témoins ne manquent pas). En général, presque tous finissent par
chasser honnêtement comme chacun doit le faire.
Je puis affirmer que ce système fonctionne déjà depuis un
certain temps à la satisfaction de tout le monde. Là, les champs ensemencés
sont respectés, le cheptel-gibier s’augmente chaque année de la part souvent
importante que prélevaient les étrangers et les pirates, et le propriétaire,
maître absolu chez lui, chasse librement les jours où son travail le lui
permet, même avec des invités, s’il le désire.
Je ne crois pas qu’il puisse y avoir mieux comme liberté du
possesseur, et démocratisation de la chasse ; deux points essentiels dont
on semble de plus en plus nier l’importance, et se désintéresser complètement.
C. J.
(Paysan forézien).
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