Nous avons, dans de précédentes causeries (voir Chasseur
Français de juillet et août 1939), indiqué à nos lecteurs quelles étaient,
parmi un grand nombre d’autres, les poires les plus recommandables pour la
consommation pendant la période d’été, c’est-à-dire de juillet à mi-septembre,
et pendant l’automne, c’est-à-dire de mi-septembre à mi-décembre.
Non moins nombreuses sont les variétés dont les fruits se
consomment plus tardivement, c’est-à-dire pendant la période s’étendant de
mi-décembre à mai. Bien que, pour quelques-unes de ces variétés, cette
appellation ne corresponde pas absolument à la réalité, on leur donne le nom de
fruits d’hiver.
La récolte de ces derniers doit s’effectuer le plus tard
possible à l’automne, afin qu’ils soient bien achevés dans leur chair,
comme disent les arboriculteurs. En principe, on doit retarder d’autant plus la
cueillette que la maturité se fera elle-même attendre davantage.
Pratiquement, on cueille les poires d’hiver entre le 20 octobre
et le 8 novembre. On doit choisir, pour cette opération, une belle
journée, et l’on attend, pour récolter les fruits, que la rosée ait
complètement disparu et que l’épiderme du fruit se soit bien assaini. Le moment
le plus favorable se place entre onze heures du matin et quatre heures de l’après-midi.
Les poires sont détachées avec précaution de la coursonne
qui les porte, en évitant de briser en même temps la bourse, organe sur
lequel s’insère le pédoncule du fruit et qui contient en lui des éléments de
prochaines fructifications. Un à un, les fruits sont posés dans des paniers
plats, en évitant de leur faire subir des chocs et des meurtrissures qui ne
manqueraient pas d’en déterminer, à plus ou moins brève échéance, la
pourriture.
S’il s’agit de fruits de luxe, susceptibles d’être vendus à la
pièce, on n’en met pas plus de deux rangs dans les paniers. On en met trois ou
quatre rangs et plus, s’il s’agit de fruits plus courants.
Il serait bon de placer, pendant quelques jours, les poires
d’hiver dans un endroit bien aéré, afin qu’elles perdent une partie de leur eau
de végétation. Le plus souvent, et dans le but d’éviter des manipulations
onéreuses, on les place, de suite, sur les tablettes du fruitier dont on laisse
les portes ouvertes pendant quelques jours.
C’est surtout pour les fruits d’hiver que des visites
fréquentes du fruitier s’imposent. Il faut, en effet, éliminer, le plus vite
possible, ceux de ces fruits qui sont attaqués par la pourriture, pour éviter
toute contamination des fruits sains. D’autre part, la maturité de toutes les
poires de même variété ne s’accomplit pas d’un seul coup, mais, au contraire, s’échelonne
sur plusieurs semaines et parfois même davantage. Il importe de prendre chacune
d’elles au moment le plus favorable, pour la déguster, alors qu’elle présente
le maximum de qualité.
Parmi les poires d’hiver, quelques-unes nous paraissent
mériter, à des titres différents il est vrai, une mention toute particulière.
Passe-crassane est un assez gros fruit, globuleux, à
peau rude, vert bronzé, jaunissant à maturité, à chair fine un peu granuleuse,
résistante, mais fondante, juteuse et assez acidulée.
Très régulier de qualité, cet excellent fruit mûrit de
janvier à fin avril, mais plus souvent en février-mars. Il est de conservation
et de vente faciles.
L’arbre est rustique, de moyenne vigueur, bien fertile et se
conduit aussi bien en espalier et en contre-espalier qu’en fuseau. Il ne faut
pas, cependant, lui donner des formes trop grandes.
Assez résistante aux maladies, notamment à la tavelure,
cette variété est très estimée et se plante beaucoup en culture commerciale.
Mais l’ensachage est nécessaire pour que son fruit ait le maximum de finesse.
Bergamote Espéren est une poire généralement ronde,
souvent moins grosse que Passe-Crassane, à peau rude, vert taché de brun,
devenant jaune quand elle est complètement mûre.
Les fruits sont, le plus souvent, attachés par paquets de
trois ou quatre ou même plus. La chair en est blanche, plus ou moins fine,
souvent juteuse, sucrée, parfois un peu acidulée.
Parfois bon, parfois très bon, ce fruit mûrit de février à
mai, mais le plus souvent en mars-avril. Il est connu et estimé sur les
marchés.
L’arbre est vigoureux, fructifie peu quand il est jeune ;
de production plus régulière en vieillissant, il se prête à des formes plus
grandes que Passe-Crassane. Il est recommandable, pour augmenter le volume des
fruits, d’éclaircir les bouquets.
Doyenné d’hiver est un gros fruit, globuleux ou
ovoïde, un peu bosselé, à peau lisse et brillante, vert jaunâtre, marquée de
points bruns. Sa chair blanche, mi-fine, granuleuse, fondante et sucrée, très
parfumée, en fait un fruit excellent, mûrissant de décembre à avril.
De moyenne vigueur et de bonne fertilité, l’arbre est
malheureusement sujet à la tavelure, ce qui n’en rend possible la culture qu’en
espalier exposé à l’Est ou au Sud-est, et encore faut-il faire de nombreux
traitements et ensacher les fruits pour les avoir sains.
C’est donc, en résumé, une variété intéressante, mais
délicate.
Beurré d’Hardenpont ou Beurré d’Arenberg est
également un gros fruit, ayant la forme d’un coing, à peau très fine, verte,
passant au jaune clair à maturité, lavée de rose à l’insolation.
Sa chair blanche, très fine, fondante, très juteuse, sucrée
et agréablement parfumée, en fait l’une des meilleures poires.
L’arbre est très vigoureux, peu fertile dans le jeune âge,
devenant un peu plus fertile par la suite, mais sans excès. La qualité compense
d’ailleurs la quantité.
C’est malheureusement encore une variété sensible à la
tavelure, qui ne réussit qu’en espalier à l’Est et avec de nombreux
traitements, ce qui en restreint considérablement la culture.
Doyenné d’Alençon est une poire moyenne ou assez
grosse, de forme ovoïde, à peau rude, verdâtre, ponctuée et maculée de gris
terne, à chair blanche, granuleuse, sucrée et acidulés, assez juteuse.
C’est un bon fruit, à consommer de janvier à mars.
L’arbre est vigoureux, très fertile et se prête à toutes les
formes, même le plein vent. Il fleurit l’un des premiers. Le fruit, estimé par
le commerce, se vend plutôt au poids qu’à la pièce.
Passe-Colmar est encore un fruit moyen, en forme de
toupie, à contour plus ou moins bosselé.
Sa peau est d’un vert tendre, souvent lavée de rouge du côté
du soleil, avec des taches et des points roux. Sa chair jaunâtre est assez
fine, un peu cassante, mais sucrée et acidulée, bien parfumée.
C’est une poire de bonne qualité, mûre de décembre à
février.
L’arbre est assez vigoureux, mais fructifie un peu
irrégulièrement. Il a la précieuse qualité d’être peu sensible aux maladies, de
pouvoir être cultivé en haute tige et de donner ainsi un produit appréciable
avec un minimum de soins.
E. DELPLACE,
Professeur d’arboriculture.
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