Il nous est arrivé souvent, à cette époque de l’année, de
rechercher s’il était possible d’apporter des améliorations aux combinaisons
culturales qui caractérisent le système de culture, en vue de rendre meilleur
le produit de l’exploitation. En temps normal, la chose n’est pas facile à
résoudre, et l’on conçoit volontiers des combinaisons variées se rattachant
plus ou moins aux systèmes classiques ou empruntant aux assolements dits libres
une souplesse dont on joue d’ailleurs difficilement. Aujourd’hui, le problème n’est
pas simplifié, puisque certains des éléments d’appréciation échappent à l’agriculteur
ou du moins le laissent assez perplexe quant aux moyens d’exécution.
Le problème général pour le pays est de produire, mais de
produire avec une économie encore plus stricte, afin de ménager les moyens,
surtout s’ils doivent comporter un appel à l’importation ; les formules
autarciques en honneur ailleurs ne seraient donc pas sans nous intéresser.
Un assolement est caractérisé par la nature des cultures qui
le composent, par leur proportion ; ensuite intervient la succession des
cultures, la rotation, qui cherche à réaliser des combinaisons heureuses, en se
basant sur les besoins des plantes, sur leurs aptitudes, sur la commodité ou
sur le genre de travaux, sur la réaction réciproque des cultures, etc.
Par conséquent, l’assolement général théorique du pays
devrait être établi en se basant sur les besoins généraux ; ensuite
interviendrait la diversité des situations agricoles qui provoque la
répartition de cet ensemble et, peu à peu, on gagnerait l’exploitation
particulière. Si l’on avait la prétention d’opérer ainsi, bien vite, on
tomberait dans l’économie allemande, par exemple, qui imposait les genres de
culture à entreprendre. Nous n’opérons pas ainsi, la liberté nous est chère ;
c’est donc par voie de recommandation que l’on doit tendre vers le résultat
voulu. Ne regrettons pas cette liberté qui nous est laissée, car on sait qu’en
matière agricole, le grand correcteur que représente le temps se charge de ramener
les prétentions des hommes à une plus sage attitude.
Néanmoins, il faut faire quelque chose. Que chacun examine
sa situation et réfléchisse un peu. Un grand besoin apparaît : celui du
blé ; le fait que l’on ait abrogé les dispositions limitatives montre que
le plus grand effort est demandé à tous, effort pour les semailles qui ne sont
peut-être pas achevées partout et que permettront de compléter des blés
alternatifs ou des blés de printemps. Mais, aujourd’hui, retenons un fait. Le
blé revient rarement sur lui-même ; il existe des exemples de cultures
renouvelées sans graves atteintes de piétin ; il serait imprudent de se
baser sur ces exceptions. Donc, avant le blé, autre chose.
La succession classique, c’est de prendre du blé après des
cultures sarclées, après des fourrages, après d’autres céréales que le blé.
Aujourd’hui, il convient donc de songer à asseoir l’assolement de la production
du blé en 1940-1941, par de sages combinaisons réalisées en 1940. Là encore, un
obstacle ; on peut organiser de toutes pièces des cultures sarclées ;
je veux dire par là, que, prenant une terre qui sort de n’importe quelle
production, on pourra en avril prochain planter des pommes de terre ou semer
des betteraves en songeant au blé qui suivra ; mais il en est autrement
des fourrages.
Au printemps, nous allons trouver ceux qui ont été semés
dans le courant de 1939. Donc rien à faire de ce côté. Évidemment, il est
possible de semer des fourrages annuels, des vesces, des mélanges divers ;
mais c’est peu de choses et la production qui n’est pas organisée dans ce sens
trouve rarement sa satisfaction dans l’improvisation.
Nous aurons donc, fin 1940, uniquement des terres sortant de
trèfle, de minette, de sainfoin, des luzernes même ; tout cela sera
labouré et ensemencé en blé.
Enfin, le dernier groupe de cultures précédentes est
représenté par les céréales, avoine, orge. Le champ est dans ce cas extrêmement
large, car il n’y a besoin ici d’aucun préparatif : il s’agit seulement de
suivre une technique appropriée pour obtenir le résultat cherché, c’est-à-dire
accroître l’étendue emblavée en blé.
En dehors des précédents représentés par des cultures
variées, il faut mentionner la jachère. Celle-ci correspond en réalité à des
états très divers du terrain ; dans la situation la plus favorable, une
terre travaillée régulièrement sur laquelle on ne voit pas une mauvaise herbe
et qui arrive magnifiquement parée au jour de la semaille. Toute différente,
une terre sur laquelle les chaumes de l’année précédente n’ont pas été culbutés ;
les bovins, des moutons sont passés à l’automne, on a recommencé au printemps
et tard en saison, on lève le guéret ; le terrain ainsi recouvré aura
peut-être superficiellement un aspect qui rappelle celui de la belle jachère,
mais, en profondeur, il sera lardé de rhizomes de chiendents, présentera des
mottes de toutes grosseurs, se couvrira de jeunes plantes adventices à la
première pluie d’automne, provoquant ainsi le salissement lamentable de la
terre. Une jachère, on la fait quand on veut, on l’accroît, on la restreint,
elle remplace un fourrage manqué, une terre qui devait être mise en plante
sarclée et qui ne l’a pas été par suite de retard, de dispositions contraires,
etc. Par conséquent, là encore, des facilités.
C’est toute cette variété de précédents qui va constituer la
sole de blé de 1941 ; il faut y songer, et, dans la pensée de la réussite
de ce blé qui sera si précieux sans doute, on doit se comporter au mieux dans
chaque cas. Le précédent, plantes sarclées, sera d’autant meilleur que la
culture sarclée aura été mieux préparée ; il s’agit de la fumure de fond à
apporter suffisamment tôt, du labour qu’il faut engager en profondeur, et aussi
des soins d’entretien qu’il convient d’exécuter minutieusement ; c’est
précisément là que l’état de guerre dresse ses difficultés.
Fumer passe, labourer va encore, il y aura peut-être du
retard ; mais biner, entretenir, c’est des bras d’été dont il faut
disposer, des bras qui seront déjà peu nombreux pour planter les pommes de
terre, des bras qu’il faudra munir de ces manches courts qui obligent à se
baisser beaucoup pour bien façonner la terre, des bras qui auront les foins à
retourner, à hisser au sommet des grandes charrettes. Il faut donc envisager
avec attention l’importance à donner aux plantes sarclées, les simplifier un
peu dans leurs exigences, en écartant un peu plus les lignes pour que la houe
puisse circuler sans dommage pour les plantes, ne laissant qu’un petit
intervalle auprès d’elles pour le travail à main.
Il faut ensuite se tourner vers les fourrages, toujours en
vue du blé ; le sujet mérite quelque attention, nous y reviendrons.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole, professeur à Grignon.
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