Un vieux proverbe, que les historiens peuvent vérifier tous
les jours, dit qu’il n’y a rien de neuf sous le soleil ; les érudits qui,
dans le calme des bibliothèques ou le profond silence des salles d’archives,
étudient notre épopée militaire, le savent bien. Ils n’ignorent point que
presque toutes les inventions destinées à modifier la tactique ou la stratégie,
bref en un mot susceptibles de changer la face de la guerre, ont des origines
parfois lointaines. En fouillant les vieux papiers et les estampes, le
chercheur patient arrive toujours à trouver un ancêtre aux chars d’assaut, aux
grenades, à notre ligne Maginot, aux gaz suffocants, au sous-marin, etc.
C’est ainsi qu’en étudiant les origines de notre artillerie,
on est conduit, tout naturellement, à découvrir des prototypes assez nombreux,
sinon perfectionnés, de notre mitrailleuse devenue une arme redoutable après
avoir été en quelque sorte un objet de curiosité.
Dès la fin du XIVe siècle, les miniatures des
manuscrits nous montrent des instruments étranges que les spécialistes nomment ribaudequins.
Les ribaudequins étaient des petits canons groupés par deux ou trois, voire
quatre, sous un même mantelet protecteur ; ces engins — qui étaient
surtout dangereux pour leurs servants — étaient employés à accompagner l’infanterie
et à battre le terrain. Certaines armées traînaient un grand nombre de ces
petites pièces ; ainsi celle du duc de Bretagne en l’an 1411, armée forte
de 40.000 hommes, n’avait pas moins de deux mille ribaudequins. Utilisés à
rompre les rangs des troupes ennemies et à faire peur aux chevaux, ces engins,
qui réalisaient une sorte de feu de salve par le tir de leurs bouches
accouplées, sont bien les ancêtres de notre mitrailleuse. Par contre, les
guerres d’Italie firent adopter les pièces moyennes et répandre les pièces
portatives utilisées surtout par des artilleurs isolés.
Au début du XVIe siècle, un écrivain militaire,
Philippe de Clèves recommande l’emploi d’orgues, c’est-à-dire de bouches
à feu réunies par quatre sur deux roues, pour protéger les archers. Les
inventeurs de la Renaissance s’ingénièrent à trouver des procédés susceptibles
de neutraliser l’action offensive d’un adversaire ; c’est ainsi que Pedro
Navarro imagina de petits canons disposés en grand nombre sur un chevalet et
pouvant tirer d’un seul coup cinquante boulets. Un autre ingénieur conseilla,
lui, de charger les pièces de sac de toile empli de pierrailles ;
malheureusement, avec ce système, il fallait tirer fort près. Un auteur, qui
écrivait sous le règne de Charles IX, nous entretient des orgues qui
étaient de son temps des chariots réunissant plusieurs arquebuses à crocs ;
ces engins, véritables mitrailleuses, étaient surtout destinés à empêcher les
charges de cavalerie. Mais un certain Joseph Boillot devait, en 1598, trouver
encore mieux. N’inventa-t-il pas, en effet, une mitrailleuse à fonctionnement
automatique, c’est-à-dire une sorte de machine disposée derrière une porte, et
dont la poudre était allumée par l’ennemi, lorsqu’il réussissait à la forcer ;
nous ne savons si le bon roi Henri utilisa cette mirifique trouvaille.
Mais ces pièces étaient pour la plupart d’un transport
difficile. Un certain Hauzelet imagina, sous Louis XIII, une charrette tirée
par un « asne » et portant des bûches de bois liées à l’aide de grosses
cordes et qu’un servant pouvait charger de poudre et de boulets ; toutes
ces bûches tiraient en même temps ; l’auteur ne nous dit pas si elles n’éclataient
pas aussi par la même occasion ! Un armurier allemand proposa aussi, vers
la même époque, au roi de France, une arme redoutable tirant plusieurs coups d’une
seule décharge, sur laquelle nous n’avons malheureusement aucune précision.
À la fin du XVIIe siècle, les orgues de canons
sont de moins en moins en usage ; un texte de 1689 signale toutefois un orgue
composé de 12 canons de mousquet, c’est-à-dire de faible calibre. Cependant,
nous constatons que, sous le règne du Roi Soleil, les inventeurs militaires — fort
nombreux — reprirent cette idée, et nous notons de véritables aïeules de
nos mitrailleuses. Tour à tour on proposa aux services de la Guerre une machine
composée de « dix canons de carabine tirant continuellement », un
canon crachant ses 30 coups en deux minutes et demie. Un autre inventeur
imagina des cartouches de carton bourrées de balles, de vieux clous et de
ferraille. Beaufort de Mircourt proposa à Chamillart une mitrailleuse pouvant
être servie par huit hommes et capable de jeter le trouble dans les rangs
ennemis en flanquant une colonne d’une infanterie. N’oublions pas que, vers la
même date, un écrivain eut l’idée de grenades lancées par un fusil et portant à
500 pas ; c’est un ancêtre en quelque sorte de notre tromblon V. B.
Mais l’idée même de la mitrailleuse allait être complètement
abandonnée pendant le XVIIIe siècle. En effet, Vallières et
Gribeauval allaient par leurs systèmes bouleverser l’opinion en matière d’artillerie.
Belle-Isle avait fait adopter les pièces dites de bataillon, qui sur les champs
de bataille rendaient des services à peu près analogues à ceux de nos
mitrailleuses ; ce sont ces canons légers qui à Fontenoy décimèrent les
colonnes anglaises.
Mais ces canons de bataillon, qui à vrai dire ne
constituaient qu’un pis-aller, avaient le grave défaut de diviser les services
de l’artillerie ; de plus, lorsque, comme ce fut le cas à Rosbach, l’infanterie
en était privée, celle-ci était prise de panique. Gribeauval allait, en
allégeant les calibres, en réorganisant le corps royal de l’artillerie, amener
une véritable révolution ; son matériel survécut longtemps, et c’est lui
qui remporta toutes les victoires de la République et de l’Empire.
Il faut attendre jusqu’au second empire pour voir
réapparaître de nouveau la mitrailleuse. La capitaine d’artillerie de Reffye
fit accepter par l’empereur sa mitrailleuse. C’était un canon, monté sur pivot,
se chargeant par la culasse ; muni d’une manivelle, il pouvait tirer 296
coups à la minute ; sa portée utile, d’après un historien de l’armement,
était de 1.500 mètres. Chaque décharge comprenait 25 projectiles, — ou 75
avec cartouches spéciales à balles multiples ; — un appareil
permettait aux servants de retirer de la culasse mobile les culots métalliques.
On peut voir un de ces engins au musée de l’Armée. N’oublions pas que, pendant
cette malheureuse guerre de 1870, un corps franc porta le nom de corps d’artillerie
des mitrailleuses.
La mitrailleuse subit alors un certain discrédit dans les
milieux militaires ; le capitaine Bottet, dans son excellente monographie
des armes à feu de l’armée française, n’écrivait-il pas que cette arme ne
serait jamais qu’une arme d’occasion, bonne tout au plus dans les places ou
dans la guerre de montagne ! Cependant on mettait en service la
mitrailleuse dite de Saint-Étienne, mais on en était encore trop faiblement
dotés dans les unités ; il fallut l’enseignement de 1914 pour mettre cet
engin à sa vraie place.
Lorsque nous examinons les collections d’armes de nos
musées, nous constatons aussi que, de temps en temps, d’ingénieux armuriers ont
essayé de trouver une formule satisfaisante de fusil mitrailleur. Mais ce sont
des pièces exceptionnelles, utilisées fort souvent pour la chasse, lourdes — certaines
sont munies de trois canons — et qui ne semblent pas avoir joui d’une
grande faveur ; ce n’est guère que vers 1870 que les services de la guerre
comprirent d’ailleurs l’intérêt des armes à répétition qui aujourd’hui sont d’un
usage universel dans toutes les armées ; des générations et des
générations d’inventeurs ont aidé à la trouvaille, puis à la mise au point de
ces armes automatiques, dont, de nos jours, il est impossible de se passer sur
les champs de bataille.
Roger VAULTIER.
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