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Science et chasse

Camouflages

En cette époque d’inaction relative, que peut-on faire de mieux que de chercher dans les écrits d’autrefois ce que nos prédécesseurs pensaient de l’art cynégétique ? La lecture des traités de chasse des siècles passés, lorsque l’on a la bonne fortune de les rencontrer dans quelque bibliothèque, est toujours instructive pour le chasseur moderne, et elle démontre jusqu’à quel point nos ancêtres parvenaient, avec des moyens fort simples, à capturer les animaux qu’ils convoitaient. À l’époque, les armes rares et chères, d’une efficacité médiocre, obligeaient le chasseur à recourir à la ruse pour approcher le gibier et tenter de le rabattre vers des pièges ingénieusement agencés et dont le rendement devait être encore assez efficace, puisque leur description a tenté de nombreux auteurs du XVIIe et du XVIIIe siècles.

Et dans tous ces écrits apparaît la préoccupation constante de dissimuler au gibier les faits et gestes du chasseur. Deux des plus belles inventions des nemrods moyenâgeux furent certainement la vache artificielle et le buisson mobile ; le premier dispositif destiné à l’approche, le second à l’embuscade, car il n’était mobile que pour mieux réaliser celle-ci.

L’utilisation de la vache artificielle repose sur cette observation très juste que le gibier de plaine, habitué qu’il est à voir circuler autour de lui des bestiaux, en admet le voisinage sans la moindre frayeur. De là, à imaginer un dispositif permettant de camoufler le chasseur en ruminant, il n’y eut que peu d’efforts à faire pour l’ingénieux esprit des chasseurs d’autrefois.

Il est impossible de fixer une date à l’invention de la vache artificielle ; peut-être est-elle du domaine de la préhistoire. Nous en trouvons une excellente description avec figures à l’appui dans l’ouvrage paru en 1660 sous le titre : Ruses innocentes pour prendre les oiseaux passagers et non passagers, ouvrage dû à la plume d’un religieux qui nous paraît avoir passablement fréquenté les braconniers avant de prendre le saint habit. L’excellent Frère François Fortin nous décrit, comme suit, la vache artificielle, notamment employée au rabat, vers le filet nommé tonnelle, de divers oiseaux et, en particulier, des perdrix.

Cette vache, dit-il, est faite d’une pièce de toile d’environ quatre pieds de côté, découpée de manière à figurer approximativement la silhouette d’une vache y compris la tête ; un bout de corde simule la queue ; cette pièce de toile doit être tendue sur un système de bâtons, un peu à la manière de certains cerfs-volants, de manière à pouvoir être très rapidement montée à l’approche du gibier et commodément démontée pour le transport.

Deux ouvertures permettent au chasseur, tout en progressant à l’abri du dispositif, d’observer le gibier et de le manœuvrer sans l’effrayer. Convenablement utilisé, ce procédé ingénieux et simple permettait très certainement de nombreuses captures. Nous le retrouvons d’ailleurs perfectionné cent cinquante ans plus tard et destiné, non plus cette fois, au rabat, mais bien à faciliter au tireur l’approche d’un gibier fuyard.

Cette nouvelle vache artificielle comporte une carcasse d’osier supportée par des bretelles et recouverte d’une toile peinte ; le tout peut être revêtu par le chasseur sans trop de fatigue ; l’invention gagne au point de vue de l’aspect, mais elle perd en commodité de transport. Son utilisation ne devait pas être tout à fait la même d’ailleurs : la vache écran et son filet étaient destinés à être montés dès la découverte du gibier ; la vache carcasse paraît être un déguisement d’approche en cas de gibier repéré à l’avance ; employée sur de petits trajets, elle devait être particulièrement efficace.

Dans certaines régions de l’Europe, on emploie encore des panneaux de toile blanche tendus sur cadres pour approcher par temps de neige les oiseaux de rivière et de marais. Nous noterons au sujet de toutes ces silhouettes entoilées que le gibier se méfie tout spécialement de ce qui remue au vent et que l’on ne prend jamais assez de précautions pour fixer les toiles sur les montures. Le dessin et les couleurs peuvent être approximatifs ; mais l’ensemble doit présenter la fixité de contour d’un animal vivant.

Venons-en maintenant au buisson mobile : cette invention transforme aux moindres frais le chasseur en végétal. Deux cercles de tonneau supportés par des bretelles permettent de fixer sur leur pourtour toute une série de branchages feuillus et de dissimuler ainsi la personne du chasseur. Il ne s’agit pas de faire déambuler l’ensemble à travers la plaine, bien entendu, mais bien de permettre l’embuscade à proximité de tel ou tel point de passage intéressant, les déplacements ayant lieu lorsque le gibier n’est pas en vue. Une variante consiste dans l’emploi d’une sorte de costume en paillasson dissimulant parfaitement le tireur sous un aspect très naturel.

Dans le même ordre d’idées, nous avons entendu décrire un tronc d’arbre postiche exécuté en liège de mince épaisseur et pouvant contenir un chasseur dont la tête et les bras dépassaient seuls. Agrémenté de quelques branches, il imitait parfaitement un saule ; ce saule meurtrier procura à son inventeur de fort beaux tableaux de canards sauvages ; il prenait racine aux bons endroits et, les jours où la passée tardait, il assurait à son habitant une sérieuse protection contre la bise.

Tous ces procédés dérivent d’ailleurs de ceux qui ont été et sont encore employés par les peuples sauvages, lesquels sont généralement d’excellents imitateurs de la nature. Plus ou moins licites au regard des réglementations modernes, ils conservent leur intérêt rétrospectif. Peut-être l’avenir les verra-t-il revivre, lorsque la sauvagerie du gibier aura encore fait de nouveaux progrès.

Nous terminerons sur une dernière observation ; s’il est assez facile de camoufler le chasseur, il est plus difficile d’étouffer le bruit de ses pas. C’est beaucoup plus l’ébranlement du sol et le bruit des tiges froissées qui donne l’essor au gibier que la vue du chasseur et, toutes les fois qu’il est possible d’avoir recours à l’espadrille de corde ou à la semelle de crêpe, on constate une bien plus grande facilité dans la surprise. Malheureusement, ces deux derniers genres de chaussures ne sont pas applicables dans toutes les circonstances et les lourds brodequins sauveront encore la vie à de nombreux perdreaux.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 65