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Les émanations du gibier

Le gibier possède une odeur.

Chez l’animal sain, elle provient presque uniquement des éléments volatils de ses productions cutanées. Celles-ci enduisent constamment la peau et les poils. De plus, cette odeur est à la fois spécifique et individuelle, et, suivant l’état physique de l’animal, maigreur, âge, rut, gestation, allaitement, etc., elle peut changer dans une certaine mesure, mais jamais instantanément.

Est-il vrai, ainsi que d’aucuns le disent, que bien des chiens, et parmi les meilleurs, n’ont pas ou presque pas de flair sur un lièvre immobile au gîte ? La faculté d’obtenir par l’immobilité parfaite la concentration du rayonnement des émanations individuelles est un fait bien connu, se présentant chez tout le petit gibier, pour lequel la seule possibilité d’échapper à ses multiples ennemis consiste dans la dissimulation, à l’état de repos, des émanations corporelles. Il est possible aussi que ces effluves, par des moyens qui nous échappent, soient dirigées vers le sol sur lequel l’animal repose et qu’il couvre de son corps. Perdrix, faisans, etc., sur leur nid, lièvres et lapins au gîte, profitent dans une large mesure de cet heureux don de la nature. D’autre part, si l’animal-gibier se rend compte de ce fait avantageux pour lui, il ne négligera pas non plus de choisir l’emplacement de son nid ou de son gîte, pour qu’il déroute les recherches. Seuls, les jeunes animaux, gibiers à plumes ou à poils, montrent sous ce rapport une certaine ignorance, que l’âge et l’expérience ne tardent pas d’ailleurs à corriger.

Croyez bien qu’un vieux capucin, avant de choisir définitivement l’endroit où il va établir son gîte, prend de nombreuses précautions, tenant compte de la nature du terrain environnant, de la direction du vent, etc. Rien n’est plus amusant que de suivre sur la neige fraîchement tombée les curieuses allées et venues d’un lièvre cherchant à se gîter. Ce sont des marches, des contremarches, des bonds de côté, tous destinés à tromper le chasseur et les animaux de rapine.

Si faibles que soient les émanations que transmet le corps du lièvre gîté au chien de chasse, il doit certainement en exister un peu. Le lièvre dans son gîte, avant de s’y blottir, a dû parfois creuser celui-ci ; il peut rester des traces de ses menées ; il a frôlé des feuilles, etc. Bref, par déductions, le chien peut trouver quelque « tuyau » pour se guider.

Le gibier dépose son odeur par contact. Suivant donc que le contact sera plus ou moins long, la piste sera plus ou moins chaude. Le gibier le ressent si bien que, soit par intelligence, soit par instinct — résultat devenu héréditaire d’une intelligence primitive, — il en use pour ses ruses. Il en est de même de la nature des objets qui reçoivent l’odeur. Suivant que le sol est poussiéreux, gelé ou boueux, que l’herbe est fraîche, mouillée ou chaude, etc., la piste est facile ou difficile à suivre. Le gibier utilise encore ce fait pour sa défense.

Considérons le chien de chasse : il ne faut pas s’en faire l’idée comme d’une mécanique, lancée sur la trace du gibier de même qu’un train sur ses rails — et encore les trains déraillent-ils souvent. Le chien, grâce à son remarquable organe olfactif, reconnaît sur le sol les objets qui ont été en contact avec la bête poursuivie. Mais encore faut-il que le fumet laissé sur ceux-ci ne soit pas dissimulé par une odeur plus forte. Ainsi, par exemple, le gibier a traversé une mare d’eau croupie, ou bien encore il a été grièvement blessé. Le sang, qui coule de sa blessure, et dont l’odeur est très forte pour un chien, tombe sur la piste, et le chien ne retrouve plus le fumet qui le guidait depuis le début. Il faut également que l’odeur laissée par la piste ait une certaine intensité. Au-dessous de celle-ci, le nez du chien, si fin soit-il, ne peut plus rien discerner. C’est ce qui arrive quand la piste est trop refroidie, que l’herbe est trop mouillée, etc. ; mais, en outre, il faut tenir compte d’un point très important : c’est que cette intensité-limite dont nous venons de parler est variable avec un même chien. C’est un fait physiologique bien connu : lorsque les terminaisons des nerfs olfactifs ont été longtemps soumises à une odeur forte, elles ne sont plus, pendant un certain intervalle de temps, capables d’en révéler des traces. Ceux qui pourraient en douter n’auront qu’à faire l’expérience par eux-mêmes.

De ces données qui résultent, non d’affirmations, mais de faits, on déduit aisément l’explication de tout ce qui peut se passer en chasse, et cela sans avoir recours au merveilleux.

Considérons le cas où les chiens, après avoir suivi parfaitement, s’arrêtent tout à coup. C’est que le gibier a rusé, soit en ne fournissant qu’un contact léger, — bonds énormes, course rapide sur la pointe des pieds et en embrouillant les voies, etc., — soit en profitant de la nature du sol, — routes poussiéreuses, ruisseaux, — soit en dissimulant son odeur dans une autre plus forte, — passage au milieu d’un troupeau de moutons.

Dans le second cas, le gibier est venu jusqu’au chasseur ; celui-ci l’a effrayé simplement. La chasse arrive au même point et s’arrête net. Eh bien ! le gibier, qui jusque-là venait tranquillement, confiant dans sa vitesse, a subitement changé d’allure. Les chiens, qui suivaient une piste bien chaude, avaient le nez plein, pour ainsi dire, de l’odeur de l’animal. Il faut laisser le temps à leur nez de se refaire. Alors ils repartiront, si toutefois la piste ne s’est pas trop refroidie. Ajoutez à cela que le chasseur se livre généralement à des gesticulations qui n’améliorent pas les choses.

Enfin, en troisième lieu, le gibier perd son sang. Ainsi que je l’ai déjà dit, c’est l’odeur du sang qui gêne le chien. Il ne faut pas chercher autre chose.

Parfois, dans leur emballement, les chiens sur-allent la voie. À la recherche de leur maître, ne passent-ils pas bien souvent aussi parfois tout à côté, dans leur précipitation.

Voici donc quelques raisons sérieuses qui expliquent certains faits de chasse. Il y en a peut-être, il y en a probablement même d’autres. Mais il faut les rechercher parmi ce qui est logique et satisfait plutôt l’esprit que l’imagination. Je sais que ce procédé n’a pas l’avantage de dissimuler le cas où le gibier échappe par son adresse instinctive ou par l’imperfection des chiens. Il ne satisfait pas non plus les amateurs de merveilleux. Mais il a l’avantage de permettre de déjouer quelquefois les ruses du gibier.

R. VILLATTE DES PRUGNES.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 67