Il paraît peu opportun, peut-être, de continuer de parler,
en ce moment, d’organisation. J’écris ces lignes en novembre, et, si une
organisation est nécessaire, c’est bien, à présent, celle du pays entier pour
la lutte sévère à laquelle nous ont réduits les menées pangermanistes. Aussi
bien, la chasse passe-t-elle au second plan puisque l’ouverture n’a pas eu lieu
cette année, sauf dans les départements du Midi où les chasseurs ont profité de
leur permis pendant une semaine et dans les régions où la chasse au gibier
d’eau est autorisée avant l’ouverture générale. Cependant, nous pensons bien
faire, cette question intéressant tous les chasseurs, autant ceux qui sont aux
armées que les autres, de continuer à l’étudier, bien qu’elle ne soit pas d’une
brûlante actualité.
Il est certain que, après cette guerre beaucoup de travail
sera à faire. À refaire même, pour beaucoup de sociétés qui auront été
désorganisées : des dirigeants, des sociétaires, des propriétaires
fonciers auront été mobilisés ; ceux qui ne l’auront pas été auront été
pris par un surcroît de soucis et d’occupations qui ne leur auront pas permis
de penser à la chasse ; et, si le gibier aura été bien tranquille, les
nuisibles aussi. Il y aura donc fort à faire et, plus que jamais, une grande
discipline à observer par tous et un grand dévouement à déployer par ceux qui
auront en main les destinées des groupements cynégétiques. Nous avions vu que
quatre grands principes gouvernent la matière : repeuplement,
surveillance, entretien et restrictions.
En ce qui concerne le repeuplement, il n’est nul besoin de
répéter que, si l’on veut avoir du gibier à tirer pour un nombre de chasseurs
triple de celui d’autrefois, il faudra en lâcher une certaine quantité, car le
gibier n’a pas, lui, au cours des siècles, triplé sa faculté de reproduction
qui est stationnaire, alors que, par contre, il a vu s’accroître toutes les
embûches et tous les inconvénients qui entravent son développement et sa
protection : déboisement, défrichement, disparition des couverts, machinisme
agricole, etc. Mais, et je crois qu’il faut insister là-dessus, pas d’essais
extraordinaires d’acclimatation qui s’avèrent toujours infructueux.
Contentons-nous, si notre région a été une chasse de perdrix rouges et de
lapins, d’y lâcher perdrix rouges et lapins. Le terrain de la perdrix rouge est
totalement différent de celui où vit la grise, et des lâchers de grises y
donneront, toujours, de cuisants déboires. Si, au contraire, nous sommes en
pays de grises et de lièvres, lâchons des grises et des lièvres et ne cherchons
pas à mettre autre chose, notamment des faisans qui demandent des conditions de
terrain et de cultures particulières, ou des lapins qui feront fuir nos
lièvres. Beaucoup de petites chasses ont eu de grosses et onéreuses déceptions
à ce sujet. Certains dirigeants, portés, certes, de bonne volonté mais peu
versés en la matière, ont cru que, parce qu’ils avaient des bois dans leur
chasse, ils pouvaient y lâcher des faisans. Et ce furent des frais en pure
perte. D’autres lâchèrent des lapins là où il n’y en avait jamais eu, sans se
rendre compte, au préalable, si le terrain le permettait ; là aussi, les
reproducteurs lâchés disparurent sans qu’on ait pu savoir pourquoi ni comment.
On a mis, ces dernières années, dans certaines régions du Midi où il n’y a
jamais eu que des perdreaux rouges, des gris qui n’ont rien donné, sinon des
déceptions. Ces essais d’acclimatation de gibier nouveau ne peuvent être faits
que par des organisations cynégétiques ne manquant d’aucun moyen pécuniaire et
qui peuvent se permettre des largesses pour des résultats incertains. Que les
petites chasses, donc, les chasses communales en particulier, puisque ce sont
elles, surtout, qui nous intéressent, s’en tiennent au gibier courant de leur
région ; elles seront certaines d’avoir, tout de même, quelque réussite.
Cependant, il est certain que, si la guerre durait plusieurs
années et que la chasse ne soit pas ouverte durant ce temps-là, le repeuplement
se ferait tout seul. Le gibier finirait peut-être, même, par être nuisible dans
les régions déjà giboyeuses et, comme lors de la guerre 1914-1918, il faudrait
ouvrir la chasse pour éviter les dégâts. On commence, d’ailleurs, à en parler.
Et, ici, entre parenthèses, ce serait l’occasion ou jamais d’instaurer la
réglementation légale des jours de chasse. Mais nous en reparlerons plus loin.
Lorsqu’on a ouvert la chasse, en 1916 ou 1917 (je ne me souviens plus
exactement de la date, car, comme beaucoup d’autres, je pratiquais, alors, un
autre genre d’exercice !), il y avait beaucoup de gibier.
On avait braconné, bien sûr, un peu partout, car les
gendarmes avaient autre chose à faire qu’à courir les braconniers. Mais qu’on
veuille bien réfléchir un peu à la multiplication des lièvres, perdreaux et
lapins qui ne sont pas chassés de deux ans. C’est une extraordinaire
progression plus que géométrique ! Rendez-vous compte de ce que quelques
compagnies de perdreaux seulement, mettons huit à dix, peuvent représenter, au
bout de deux ans, sur une chasse assez étendue. En faisant la part des fauves,
des chiens errants, des braconniers, des intempéries, des épidémies, enfin de
tout ce que vous voudrez, on arrive à un nombre imposant d’oiseaux :
peut-être un millier ! Et les lièvres ? Cent lièvres seulement sur un
territoire vous donneront, dans le même temps, une fameuse collection de paire
d’oreilles. Vous finirez par les voir venir dans les jardins comme en 1916. De
quoi faire, en somme, de belles chasses sans s’être donné beaucoup de mal.
Quant au lapin, il deviendrait vite un véritable fléau.
À quelque chose, donc, malheur est bon. Et je crois que,
s’il en était ainsi, on pourrait, pendant quelques années du moins, délaisser
le repeuplement artificiel qui donne encore, avouons-le, pas mal de mécomptes,
pour mieux s’adonner à autre chose : je veux dire la surveillance. Nous en
parlerons la prochaine fois.
FRIMAIRE.
(1) Voir numéro de Novembre 1939.
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