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Un terrible ennemi du pêcheur.

La loutre (1)

Description (suite).

— Nous avons constaté, chez la loutre, une certaine ressemblance avec le chat ; mais, comme nous l’avons déjà dit, elle atteint une taille bien plus forte que celle des plus gros matous.

Son corps est long, bas sur pattes, le plus souvent fort gras et singulièrement musclé. Le train de derrière paraît plus volumineux que la partie antérieure du corps.

La tête est large et aplatie ; le museau, court, obtus, s’orne des deux côtés de longues moustaches formées de gros poils raides.

Ses lèvres sont épaisses et charnues ; elles peuvent se serrer fortement l’une contre l’autre pour empêcher l’introduction de l’eau dans la bouche et les voies respiratoires.

Les oreilles sont rondes et courtes ; un repli de peau permet à l’animal d’en obturer l’entrée lors de ses plongées et d’interdire ainsi l’eau d’y pénétrer, ce qui a pour effet de conserver au sens de l’ouïe toute son acuité.

La bouche est moyenne, bien fendue. Les mâchoires sont garnies de dents nombreuses (36), coupantes, pointues et très solidement implantées dans les os maxillaires.

Ces dents peuvent causer de redoutables blessures à tout assaillant ; feus mes bons chiens Stop, Karlos et Kiki, enragés chasseurs de sauvagine, en savaient quelque chose et, après de nombreuses et cuisantes anicroches, n’attaquaient plus la loutre sans précaution.

Les pattes de notre carnassier sont brèves, mais vigoureuses ; elles sont munies de cinq doigts dont le plus petit représente le pouce, mais s’appuie néanmoins sur le sol pendant la marche. Entre les doigts, qui s’écartent facilement sur un sol mou, existent des membranes analogues à celles qui garnissent les pattes des canards.

Les ongles sont courts, minces, courbes et pointus.

La queue est longue, grosse à la base et aplatie ; elle se termine en pointe arrondie.

Le corps entier est recouvert d’une fourrure épaisse formée de deux sortes de poils.

La première sorte, « la bourre », comme disent nos chasseurs, est courte et serrée ; elle rappelle un peu le duvet de certains oiseaux aquatiques, de l’eider notamment.

La seconde, qui recouvre l’autre, est composée de poils plus longs, plus gros et plus raides que les premiers, sur lesquels ils se collent.

La couleur de la bourre est d’un gris terne ; les longs poils qui la recouvrent sont d’un brun assez foncé et possèdent souvent un certain brillant.

Cette précieuse toison, fort recherchée en pelleterie, protège admirablement le corps de la loutre du contact de l’eau et des intempéries.

L’ensemble de la fourrure paraît d’un brun lustré sur les parties supérieures et grisâtre sous la gorge et le ventre.

Les yeux sont relativement petits, écartés et saillants ; le jour, la teinte en paraît sombre, mais, à l’obscurité, ils semblent briller d’un éclat supérieur à ceux du chat et de la fouine.

Le corps est épais, souple, arrondi et puissant ; on n’y remarque aucun angle saillant ; il paraît éminemment propre à la natation.

La loutre avance, dans l’eau, même contre le courant, avec une surprenante facilité, grâce au jeu alternatif de ses pattes brèves et palmées, de véritables rames. Sa queue, plate et longue, fait office de godille et de gouvernail, aide à la propulsion et maintient la bonne direction.

Cet animal plonge avec aisance ; des bulles d’air se détachent alors de son corps et, en remontant à la surface, forment une traînée qui permet de la suivre à la trace pendant un certain temps ; mais sa nage est rapide et celui qui entend ne pas la perdre de vue doit prendre le pas de course pour l’accompagner de la rive.

Sur terre, sa marche est peu rapide, si on la compare à celle des autres quadrupèdes de chasse ; le moindre roquet la devance aisément. L’allure en est ondoyante, faite de sauts de médiocre longueur ; elle rappelle fort celle de la martre ou de la fouine.

Quoi qu’il en soit, il est impossible de nier que ce ne soit là un animal parfaitement adapté à la vie qu’il mène.

Mœurs de la loutre.

— La loutre ne recherche guère sa nourriture que pendant la nuit, d’abord à cause de sa grande sauvagerie, et ensuite parce que sa vue est mieux accommodée à une obscurité relative qu’à la grande lumière du jour.

Pendant ce dernier, elle demeure habituellement confinée en un gîte profond et sombre le plus souvent creusé dans la berge même d’un cours d’eau, presque toujours entre les puissantes racines d’un arbre de grande taille.

Là, elle se repose de ses longues courses nocturnes et peut dormir en toute quiétude.

Le sol de cette sorte de caverne, de dimensions suffisantes, pour la contenir à l’aise, elle et ses petits, est toujours assez élevé au-dessus du niveau des eaux, pour que les crues de moyenne importance ne puissent le submerger.

Le plus souvent, un couloir en pente en forme le fond et lui permet de se mettre au sec si l’eau monte.

En cas de crue anormale, elle décampe prestement sans demander son reste pour se mettre hors de l’atteinte des eaux et va s’établir momentanément ailleurs, souvent dans un terrier de blaireau ou de renard, abandonné, situé à quelque distance de la rive, pour ne revenir à son ancien logement que lorsque tout danger aura disparu.

Cette habitation comporte ordinairement au moins deux issues. La première, assez étroite, sert principalement à l’aération ; elle débouche sur le sol de la rive, toujours masquée par des rejets serrés, des éboulis couverts de grandes herbes rudes, des ronces traînantes ou un épais buisson,

La seconde a sa sortie au ras de l’eau et plus souvent encore au-dessous de son niveau, ce qui permet à l’occupante de s’échapper en plongée, sans aucun bruit et sans attirer aucunement l’attention.

En outre de ce gîte, qui constitue son habitation principale, la loutre, animal de proie à grand parcours, possède le plus souvent plusieurs autres retraites provisoires, échelonnées le long de son cantonnement habituel. Dans ces demeures instables qu’elle trouve dans les fissures des rochers, les interstices des digues ou des enrochements, dans un tronc d’arbre creux, etc., elle se recèle si le jour la surprend loin de sa tanière ou en cas d’alerte quelconque, poursuite par l’homme ou le chien.

Bien que voyageuse impénitente, elle est assez sédentaire quand elle a trouvé un bon cantonnement de pêche dont elle se montre fort jalouse. Le mâle adulte ne permet pas, sans combat, l’intrusion d’un rival qu’il juge totalement indésirable sur son terrain habituel de maraude.

Les gîtes, surtout le principal, sont toujours dissimulés avec soin et, en général, exempts, dans leur voisinage immédiat, de tous débris quelconques de repas et surtout d’excréments, que notre rusée ne dépose qu’à une certaine distance. Ils sont donc assez difficiles à découvrir et, pour cela, il est nécessaire de se livrer à une inspection minutieuse des lieux.

Heureusement pour le chasseur, le nez infaillible de son chien saura les repérer assez aisément, à cause de l’odeur assez forte qui s’en dégage, surtout à l’époque où la femelle y recèle ses petits.

J’ai même entendu un braconnier célèbre du Puy-de-Dôme affirmer qu’il ne passerait pas à proximité immédiate de l’un d’eux sans s’en apercevoir à l’odorat. Il faut croire que ce sens, chez cet homme, était singulièrement développé.

La reproduction.

— Les loutres entrent parfois en rut dès la fin d’octobre, bien plus souvent, dans nos contrées, en novembre et décembre, puisqu’on ne trouve guère de petits avant février ou mars, dans nos environs.

À cette époque, les mâles poursuivent les femelles avec acharnement et se livrent entre eux de violents combats qui se déroulent parfois même en plein jour.

Habituellement, notre mustélidé en chasse fait entendre, la nuit, un cri assez bizarre, comparable à une sorte de ricanement saccadé assez aigu, qui étonne les affûteurs novices. À l’époque du rut, c’est plutôt une espèce de sifflement rappelant un peu celui de la marmotte.

Au cours de leurs combats, les mâles poussent des sortes de jappements rageurs ressemblant à ceux de jeunes chiens que leur maître exciterait à se battre entre eux.

Leur acharnement dans la lutte est parfois si grand qu’ils en arrivent à ignorer le péril et que la présence d’un témoin inattendu ne suffit pas toujours à provoquer leur séparation et leur fuite immédiates.

Ce fait que j’ai pu constater en quelques rares occasions, je l’ai vu notamment en novembre 1927, sur le canal du Forez ; les deux antagonistes, d’assez forte taille et qui devaient cependant apercevoir nettement ma silhouette, ont continué à se battre pendant trois minutes au moins, sans plus se soucier de ma présence.

Quel beau coup double si j’avais eu en mains mon canardier-Idéal calibre 10 ! ...

(À suivre.)

R. PORTIER.

(1) Voir no 595.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 82