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La pêche au brochet

Le requin des eaux douces.

— Les disciples de Saint Pierre, désireux d’éviter les déprimantes bredouilles, devront faire une guerre sans merci au brochet, ce grand destructeur d’alevins et de blanchaille, que l’on a surnommé le « requin des eaux douces ». Ce carnassier, en effet, grand écumeur de l’onde, est toujours prêt à déglutir les ablettes, les goujons, les vandoises, les gardons, les carpillons et tous les autres petits cyprins qui lui tombent sous la dent. Aussi la suppression des brochets et des brochetons dans un coupon de ruisseau, de rivière, de canal ou d’étang, est-elle un bienfait pour toute la gent frétillante, dont la capture est si attrayante, à l’ouverture, aux amateurs de bonne friture.

C’est pourquoi, malgré la « froidure et la pluye », le pêcheur digne de ce nom n’hésitera pas un instant à s’équiper de pied en cap et, bravant la pluie ou le vent, les giboulées et la bise, ou encore le brouillard à couper au couteau, il ira promener son vif dans les endroits où le brochet, toujours en fringale, engamera sans sourciller la proie affriolante qui viendra s’offrir à lui.

La recherche des bons coins.

— Les mois de janvier et février ne sont pas des plus propices aux « chevaliers de la gaule », car il ne s’agit pas de stationner des heures durant à la même place, sur des coups d’amorce, par exemple, où l’on attraperait des onglées ou un coryza à rendre jaloux un pochard en goguette.

D’ailleurs, si le brochet est toujours à l’affût des proies vivantes, il ne se tient plus aux mêmes endroits qu’à l’époque où la blanchaille prenait ses ébats dans les petits courants, ou en aval des remous. En chasseur averti, notre vorace carnassier a établi ses permanences à proximité des berges abruptes, là où l’eau est à la fois profonde et dormante. Parfois aussi il transporte ses pénates aux abords des confluents, ou dans les anses tranquilles avoisinant les aunes, les saules et les herbiers aquatiques.

Dans aucun cas, il ne faut jamais s’entêter longtemps à la même place. Après avoir tâté un coup deux ou trois fois, tout à fait à bord, on s’écarte un peu plus au large, en posant sa ligne pour laisser « naviguer » l’esche, juste le temps d’allumer une pipe, puis l’on s’en va pédestrement tâter sa chance un peu plus loin, si l’on ne voit toujours rien venir.

Choix des esches.

— Pendant la saison froide, les petits poissons étant beaucoup plus vivaces que pendant la période des chaleurs, les esches ne se fatiguent pas pareillement, et un petit nombre d’esches suffit pour toute une journée, à condition de ne pas les accrocher après des racines ou des branches immergées.

Le vif idéal, pour le brochet, c’est le menu fretin que l’on peut se procurer en abondance, et à bon compte, quand on pêche les étangs et, par ordre de préférence, les carpillons, les petites tanches et les petits chevesnes, les vandoises, les gardons, les goujons, les ablettes, etc., ayant une longueur comprise entre 6 et 10 centimètres. On peut même employer des esches plus grosses ou plus petites, comme les vèrons ; mais, dans la pratique, il vaut mieux ne pas trop s’éloigner de ces deux extrêmes, pour éviter que l’engamage et le ferrage subséquents n’occasionnent des ratés, ce qui est assez fréquent avec des proies d’une taille anormale.

Eschage de l’hameçon.

— Au sujet de la ligne à brochet, de sa monture et de son moulinet, nous ne dirons rien, car des auteurs compétents en ont parlé souvent dans les colonnes du Chasseur Français. Mais il est entendu que, pour cette pêche, on n’utilisera qu’un matériel éprouvé, de fabrication irréprochable. Alors, avec une ligne bien en main, et une boutique à poissons contenant une douzaine d’esches convenables, on évitera la chronique bredouille, si on sait escher son hameçon.

L’accrochage du vif a beaucoup plus d’importance qu’on ne lui attribue généralement, car il convient, pour attirer de loin l’attention du brochet, d’avoir une esche frétillante, se livrant à des randonnées en tous sens, et non pas une proie inactive, se comportant comme un cadavre, dont les écailles ne scintillent pas. D’ailleurs, un vif sans vigueur met le carnassier en éveil et l’incite à la prudence ; s’il saisit le petit poisson, il ne le fait que du bout du bec, et il ne l’engame jamais franchement.

Le procédé qui consiste à piquer l’esche par la mâchoire supérieure, avec une des pointes de l’hameçon, ne peut pas être recommandé, bien qu’il soit le plus pratiqué, car, outre qu’il est dangereux si on traverse le cartilage un peu trop haut, il devient aléatoire si l’accrochage se fait trop au bord et, pour l’engamage, la présence de l’hameçon en avant est souvent une cause d’abandon de la part du brochet.

La fixation par le dos A, également simple, consiste à passer une des pointes de l’hameçon un peu en avant de la nageoire dorsale, mais en ayant soin de ne pas approcher trop près de la colonne vertébrale. Si on pique seulement la peau, le décrochage est à craindre.

Cela ne vaut pas l’eschage entre chair et peau, soit sur le côté, comme en B, ou par le dos, comme en C. Dans un cas comme dans l’autre, on détache la monture que l’on fixe par l’œillet à une aiguille à enfiler. On fait alors deux incisions, l’une pour l’entrée, l’autre pour la sortie de l’aiguille ; puis on glisse celle-ci en partant de la tête pour aller vers la queue, sans pénétrer dans les chairs. Le laiton tendu, on le raccroche après son mousqueton tournant. L’esche remise à l’eau se fatigue très peu avec ce mode d’accrochage, dont le seul défaut est de paraître un peu long aux non-initiés.

Enfin, il y a encore le procédé de l’eschage par les ouïes. En faisant passer le laiton de la bouche dans les branchies, il faut opérer doucement, et éviter de provoquer une hémorragie qui pourrait être dangereuse. Pour fixer la monture en deux points, avant de la raccrocher, on la fait traverser l’embase de la nageoire dorsale E, ou bien on fait une petite ligature à la naissance de la queue, sans trop la serrer, comme en D.

Le ferrage.

— Un brochet en chasse n’engame jamais sa proie qu’au fond de l’eau. Il la saisit où elle se trouve, en plein travers, et l’entraîne sur le terrain d’appui, pour la retourner et l’avaler. C’est alors que l’on voit s’enfoncer le gros flotteur et disparaître plus ou moins obliquement la flottille des petits bouchons.

Si on ferrait pendant le filage, on raterait le brochet neuf fois sur dix. Il faut s’armer de patience et attendre que la proie ait été déglutie par le carnassier, ce qui peut demander une minute et plus. C’est seulement ce délai passé que l’on peut ferrer hardiment, si toutefois rien ne bouge, ou si l’on voit fuir à nouveau les petits bouchons.

Le brochet piqué réagit de suite. On s’efforcera de le maintenir en respect; mais si ses efforts, de par son poids, risquent de casser quelque chose, on lui donne du fil peu à peu, en cherchant à le fatiguer le plus possible, jusqu’à ce qu’on puisse l’amener progressivement dans l’épuisette. Il n’est pas rare de voir durer la capture d’un gros brochet quinze à vingt minutes. La consigne du moment est encore de s’armer de patience et de ne rien brusquer.

B. NICOLAS.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 84