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Éducation physique et guerre

Pour nous qui avons connu, qui avons vécu l’autre guerre, se présentent tout naturellement à notre esprit des souvenirs, des rapprochements, des comparaisons.

C’est ainsi que nous constatons chez les dirigeants de notre armée une préoccupation qui s’imposa également à leurs devanciers : l’entraînement physique des combattants présents et futurs.

À vrai dire, ce ne fut qu’en 1916, quand on vit, hélas ! que les hostilités se prolongeaient, que l’on mit sérieusement à l’étude cette question. Il y eut à ce moment un intense mouvement en faveur de l’éducation physique. Certes, les diverses écoles n’étaient pas toujours d’accord, chacun prêchant pour sa méthode favorite ; et la fameuse loi Chéron sur la P. M. O. suscita des controverses sans fin. Le sport craignait d’être touché à mort par l’éducation physique, et les éternels fabricants de champions se lamentaient en songeant déjà ... à l’après-guerre : Où irons-nous si nos pauvres enfants doivent consacrer une heure par semaine à la préparation militaire ? Ils n’auront plus le temps de faire du sport !

Cependant, le problème se posait, impérieux. Problème éternel, sans doute, car il semble que faire des hommes sains, beaux, souples et harmonieux, soit de tous les temps. Mais problème dont on n’aime pas à embarrasser les années de vie facile ; ce n’est qu’aux mauvais jours qu’on l’aborde froidement.

Il fallait donc, au cours de l’autre guerre, comme il faut au cours de celle-ci, penser à l’instruction physique des jeunes classes, sinon veiller à la forme de tous les soldats.

Or, l’histoire de l’autre guerre comportait, dès son début, des pages admirables : l’héroïque résistance belge, le miracle de la Marne, la course à la mer ... Puis ce fut la célèbre bataille de l’Yser, premier acte de la grande mêlée des Flandres par quoi se termina la campagne de mouvement.

L’Yser, Ypres, Dixmude, trois noms pour jamais inscrits à la gloire des fusiliers marins. Au nombre de 6.000 seulement, les « demoiselles au pompon rouge » (c’est ainsi que les Allemands avaient surnommé les fusiliers marins) arrêtèrent l’invasion, résistant pendant un mois à la formidable poussée de 40.000 adversaires !

Nul n’ignorait que les fusiliers marins avaient été ainsi bâtis en héros par la méthode d’éducation physique la plus complète et la plus simple de toutes : la méthode naturelle de Georges Hébert.

Aussi le général Gouraud n’hésita point, dès que l’entraînement physique fut rendu obligatoire aux armées, à faire appel au lieutenant de vaisseau Hébert qui, d’ailleurs, avait été blessé lui-même à Dixmude, à la tête de ses fusiliers marins.

Des rivalités regrettables n’empêchèrent point G. Hébert d’être chargé jusqu’à l’armistice d’appliquer dans toutes les armes les principes qui avaient présidé à la formation de tant d’athlètes splendides et résistants.

On peut aisément résumer les principes de la méthode naturelle qui est l’aboutissement de longues années d’observation, d’expérimentation et de pratique.

Le but de l’éducation physique est de rendre fort.

Qu’est-ce donc que la force, qu’est-ce qu’être fort ? Hébert donne de ces deux termes une définition qui reste toujours originale et toujours neuve. Être fort, ce n’est point avoir des biceps énormes, et ce n’est pas davantage soulever sans effort des poids très lourds. La force est une synthèse qui réunit la force de résistance, la force musculaire, la vitesse, l’agilité, l’adresse, la sobriété, la résistance aux privations et à la douleur, l’endurance aux intempéries, l’aptitude à se servir des moyens de défense naturels. Être fort, c’est être développé d’une manière complète et utile. L’être fort est résistant, musclé, adroit, énergique, endurant et sobre. De plus, il sait marcher, courir, sauter, grimper, lever, lancer, se défendre et nager.

Quand on prétend que la méthode naturelle est l’ennemie de la culture physique et du sport, on se trompe lourdement. Elle est, c’est bien évident, l’antagoniste sévère de la culture physique des partisans du gros muscle, et du sport des professionnels. Mais tous les vrais culturistes et tous les vrais sportifs ne sont-ils pas, au fond, de cet avis ? N’ont-ils pas tous compris que l’excès sportif tuera le sport, si l’on n’y prend garde, alors que le sport raisonnable peut rendre les plus signalés services ?

La culture physique de mouvements, et le sport ne sauraient constituer un tout. De la méthode d’éducation physique intégrale comme la méthode naturelle, ils sont des branches.

L’examen attentif des principes de cette méthode énumérés plus haut, nous montre, en tout cas, combien elle est adaptée à la guerre. La guerre, c’est bel et bien le retour à la nature, la vie sans complications au milieu des éléments et des intempéries, la nécessité de se « faire » à tout, de se débrouiller en toute circonstance.

Les détracteurs de la méthode naturelle (si l’en existe encore ?) auraient été d’ailleurs fort mal venus ces derniers temps. La mode n’était-elle pas au camping, au plein air, au scoutisme ; les messieurs n’aimaient-ils pas à se promener le torse nu et les dames à jouer aux sauvages dans les bois et sur les plages ?

Aussi, je souris quand on m’affirme que l’éducation physique est une affaire compliquée de biologie et que la méthode naturelle n’est qu’une école primaire de la culture humaine.

Primaire, si l’on veut. C’est peut-être parce qu’elle est primaire qu’elle est juste ! On l’a dit mieux que je ne saurais le faire : « La vérité en cette matière, il ne faut pas la demander à une science raisonneuse dont chaque pas pesant s’encombre d’un attirail d’appareils de mesure, d’enregistrement, de vérification. De même que l’éducation morale de l’enfant se fait tous les jours dans la famille sans effort, sans leçons ex cathedra, par la seule influence du milieu, ainsi la nature se charge d’élever et de fortifier ceux de ses fils qui vivent dans son sein. Elle n’a condamné personne à rester faible. »

Hébert a fait de gestes naturels, d’exercices utilitaires, de bains d’air, de lumière et d’eau, les bases de sa méthode. C’est peu, c’est tout, et c’est assez. Bien entendu, cette méthode s’adresse aux gens normaux, et non aux malades. La maladie reste l’affaire des médecins et des majors.

Unanimement, on s’est plu, de 1916 à 1918, à qualifier la méthode naturelle « d’athlétisme spécifique de la guerre », tant elle était strictement calquée sur les réalités d’un combat.

Leçon type d’éducation physique en temps de paix ? Quelques minutes de marche, de saut, de course, de grimper, de lever, de lancer, de défense, suivis de dix minutes de parcours réglés et progressifs en course et en marche.

Leçon type d’éducation physique en temps de guerre ? Lancer de la grenade (distance et précision), course par bonds avec plaquages au sol (sur une distance de 100 mètres), course en dissimulation, par reptation ; parcours complet d’attaque : course, sauts, plaquages, reptation, escalades, etc., sur 500 mètres environ ; course de ravitailleurs sur 300 mètres ; course de porteurs d’ordres par relais, avec obstacles ; course de voltigeurs avec, chemin faisant, touches de baïonnette sur des buts dispersés au hasard.

Tous les journaux, tous les critiques loyaux, établirent le parallèle entre une séance d’éducation physique à Lorient ou au collège de Reims et un combat moderne où l’on demande à la fois à l’individu d’aller vite, et à tout le groupe de réaliser une bonne moyenne d’ensemble.

Sports de guerre, disait et dit encore Hébert, cela veut dire l’entraînement spécifique direct, de tous les gestes, de toutes les allures, de toutes les performances utiles, indispensables dans le combat, depuis le noble lancer de la grenade jusqu’à l’humble 110 mètres haies ou 200 mètres de trous d’obus et de fils de fer, du ravitailleur chargé d’engins à transmettre.

Entraîner spécifiquement un combattant, d’ailleurs supposé robuste ou tout au moins normal puisqu’il est aux armées, ce n’est pas l’exercer aux parades du maniement d’armes, même complétées heureusement par des sports athlétiques, c’est encore et surtout l’habituer progressivement aux gestes du combat lui-même et lui montrer d’avance ce qui l’attend.

Alors, il nous vient une idée.

La technique de la guerre peut avoir changé dans ses grandes lignes. Il reste quand même, à la garde de nos frontières, la foule des soldats anonymes qui ont besoin d’être robustes et vigoureux.

Comme en 1916, il y a urgence à entretenir le potentiel physique de l’armée. Nous n’avons plus guère besoin de champions ; briller un instant ne suffit pas quand il s’agit de « tenir le coup » longtemps.

Et la méthode naturelle a toujours développé les qualités de fond : résistance générale, endurance, rusticité.

Pourquoi ne pas l’adopter immédiatement et partout ? Pourquoi même ne pas aller plus loin et prévoir ... mieux que la dernière fois ?

Cette guerre ne durera pas toujours ; plus tard, il faudra non seulement remplacer les manquants, mais travailler à une rénovation totale, car la tâche sera lourde.

La méthode naturelle, qui nous a donné les immortels fusiliers de Dixmude, peut contribuer, avec des êtres moyens, à faire des surhommes. Cela vaut qu’on y réfléchisse.

Ennemonde DIARD.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 89