La manière inusitée avec laquelle nos ennemis conduisent la
guerre ne nous est pas défavorable, au contraire. L’absence d’opérations
militaires de grande envergure nous a permis de mettre sur pied nos forces
armées et nous organisons maintenant nos forces économiques dont l’importance
n’est pas moindre.
Dans les conflits modernes, les belligérants s’affrontent
sur tous les terrains, et jusqu’ici la guerre actuelle a plutôt un caractère
économique que militaire. C’est ce qui nous fait croire que sa durée ne sera
pas aussi longue qu’on le suppose, bien que les pronostics de ce genre soient
souvent hasardeux à formuler. Mais, pour durer, les armes ne suffisent
pas ; il faut aussi se nourrir et à ce dernier point de vue la France et
l’Angleterre sont dans une situation infiniment meilleure que leurs ennemis.
On en trouvera la preuve dans l’organisation de notre
ravitaillement civil, dont nous allons expliquer le fonctionnement.
Un décret-loi du 4 octobre 1939 a créé le service du
Ravitaillement général et lui a confié le soin d’assurer l’approvisionnement
des armées et de la population civile en produits agricoles et en denrées
alimentaires. Ce service fait partie du ministère de l’Agriculture, déjà chargé
de la production agricole. Ce Ministère a donc actuellement, dans ses
attributions, la production des denrées alimentaires et leur répartition, les
armées étant satisfaites par priorité.
Dans les départements, la production est confiée aux Comités
communaux et départementaux de la Production agricole dont nous avons parlé
dans notre précédent article ; le rassemblement des denrées alimentaires
destinées aux armées est réalisé par l’Intendance par l’intermédiaire des
Commissions de Réception, et le Ravitaillement général de la population civile
est confié au préfet.
Les cartes d’alimentation dont nos ennemis font déjà un très
large emploi, ce qui en dit long sur leur situation économique intérieure, sont
inconnues chez nous, car notre situation permet de laisser le commerce remplir
sa fonction normale sous un régime de liberté contrôlée.
En principe, le service du ravitaillement général ne doit
pas modifier la structure commerciale du pays, ni se substituer aux maisons de
gros, de demi-gros, coopératives, maisons à succursales multiples qui assurent
en temps de paix la distribution des denrées alimentaires. Cette organisation
ne serait modifiée que si le commerce, méconnaissant les exigences de l’intérêt
général, n’acceptait pas de suivre les directives que l’Administration lui
donnera.
À cet effet, un contact étroit est établi entre
l’administration préfectorale et les représentants des producteurs, des
intermédiaires et des consommateurs pour les inviter à réaliser des ententes
volontaires destinées à faciliter le ravitaillement, telles que groupage des
commandes et des livraisons, constitution de stocks, limitation de la
concurrence, stabilité des prix, emploi de denrées de substitution.
En ce qui concerne les prix, aucun article ne peut être
majoré sans que l’autorisation ait été accordée par le Comité de surveillance.
Seuls, les produits agricoles vendus directement par les producteurs aux
consommateurs ne sont soumis à aucune réglementation. C’est ce qui a lieu en
particulier sur les marchés où les prix sont librement débattus entre vendeurs
et acheteurs.
Mais si les producteurs, au lieu de vendre directement à des
consommateurs, vendent à des intermédiaires, ceux-ci doivent faire approuver
les prix, s’ils sont en hausse, par le Comité de Surveillance.
Le fait d’avoir simplement changé un prix sur une étiquette,
sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de ce Comité, est considéré
actuellement comme hausse illicite et peut entraîner des poursuites pour son
auteur, même s’il est démontré qu’il l’a fait de bonne foi, sans intention
frauduleuse.
En principe, toutes les marchandises, alimentaires ou
autres, doivent conserver la valeur qu’elles avaient à la date du 2 septembre,
jour de la mobilisation. Il en est de même pour les prix des services rendus
qui sont stabilisés.
Il importe, en effet, de surveiller attentivement la hausse
du prix de la vie et d’éviter que l’état de guerre qui provoque toujours un
déséquilibre des productions, une raréfaction de certaines denrées dont les
armées font une consommation élevée, soit une cause de majoration excessive, sous
le prétexte qu’un produit se raréfiant, son prix doit monter.
La liberté des échanges étant profondément bouleversée, la
loi normale de l’offre et de la demande est déréglée ; il faut donc en
contrôler les effets. C’est le rôle que remplissent les Comités départementaux
de surveillance des prix et le Comité national auquel sont soumis les cas dont
l’intérêt dépasse le cadre départemental, comme par exemple les prix de la
laine, du coton, du cuir, du sucre, etc. ...
Tout en laissant, comme nous l’avons dit, le commerce
remplir librement son rôle de distributeur normal, comme en temps de paix, on a
pensé qu’il était opportun cependant de prévoir dès maintenant les mesures
qu’il faudrait appliquer s’il devenait un jour nécessaire d’empêcher la constitution
de stocks anormaux et d’assurer une répartition équitable des aliments dont les
quantités utilisables viendraient à diminuer.
Cette organisation consiste à confier à des groupements
départementaux le soin d’acheter et de répartir les denrées alimentaires et
produits agricoles. Ces groupements dans lesquels entreront les commerçants,
les coopératives, les sociétés à succursales, ont la forme des sociétés
anonymes à capital variable ; leur nombre variera selon les départements.
En principe, pour un département de moyenne importance, on peut en prévoir
trois, un pour les céréales et fourrages, un pour les viandes et denrées
d’origine animale et un pour les autres produits.
Il y a des départements où il semblera nécessaire de créer
un groupement pour le vin, peut-être aussi pour la répartition des
farines ; une certaine initiative est laissée à ce sujet
Les groupements n’ont pas pour objet de se substituer au
commerce local ; ils constitueront un organisme supplémentaire étroitement
soumis à l’action administrative, mais qui ne devra pas bouleverser les
situations acquises ni supprimer le commerce privé.
Leur activité se manifestera sur des objets nettement
délimités et, en fait, ils ne feront pas eux-mêmes du commerce. Ils achèteront,
rassembleront et distribueront aux commerçants, suivant les directives que
l’Administration leur donnera, les marchandises ainsi stockées ; mais la
vente au consommateur continuera à être effectuée dans les magasins de détail
comme actuellement. Et si, un jour, la carte d’alimentation devient nécessaire,
l’organisation n’en sera pas modifiée; seulement chaque consommateur ne pourra
obtenir que la quantité déterminée à laquelle sa carte lui donnera droit.
Nous pouvons envisager l’avenir avec confiance ; nous
sommes prêts sur tous les terrains.
P. GUIGNOT,
Ingénieur agronome.
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