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Les vaches fromagères

Existent-elles ?

— Y a-t-il vraiment des vaches fromagères, c’est-à-dire des vaches ayant des aptitudes particulières pour produire cette bonne caséine, qui constitue le gros de la pâte à fromage, qu’elle soit maigre, demi-maigre ou grasse, en laissant de côté les crème, double crème et triple crème, obtenus par bonification du lait pur ?

D’aucuns prétendent qu’il en est ainsi, et que les vaches de la région de l’Est et du Sud-Est, affectées depuis un temps immémorial à la fabrication des Géromés, des Maroilles, des Comtés, des Gruyères, des Emmenthals, notamment les races Lorraine, Vosgienne, Schwitz, Fribourgeoise, Montbeillarde, etc., fournissent un lait plus riche, donnent un rendement beaucoup plus élevé en fromage que les grandes races du Nord, comme la Flamande et la Hollandaise, par exemple.

Sans être absolument affirmatif, à cause des aptitudes individuelles qui viennent démentir les influences raciques, il est incontestable que la plupart des vaches fromagères ont un lait riche en extrait sec et que 100 litres de leur lait donnent un rendement en fromage fait plus élevé que les laitières spécialisées du côté de la production destinée à la consommation en nature, et qui reçoivent une nourriture spéciale. C’est ainsi que l’on constate des différences sensibles, avec des rendements variant d’un tiers, dans les cas extrêmes, chez les bonnes fromagères, lesquelles peuvent fournir 1 kilogramme de Géromé avec 7 litres de lait, tandis qu’il en faut 10 litres et plus lorsque le lait provient de vaches ayant l’habitude de sécréter un lait « mouillé » par la mamelle.

Le bon lait à fromage.

— Pour l’obtention du bon lait, si on peut n’attacher qu’une importance relative à la race, la question nourriture reste primordiale. En outre, il ne faut pas perdre de vue l’individualité des laitières, qui peut être bonne, médiocre ou mauvaise, pour la qualité du lait produit. Comme il est bien plus intéressant pour un fromager de traiter un lait riche qu’un lait pauvre, à cause des différences de rendement, il est utile de procéder par élimination.

Sachant que le coagulum des fromages est constitué seulement par la caséine, la matière grasse et les sels minéraux, puisque la lactose est éliminée par l’égouttage et les fermentations de l’affinage, on retiendra, pour le façonnage, les laits ayant la teneur la plus élevée en matière sèche, contrôlée par l’analyse. Mais, pour éviter le concours onéreux du chimiste, on délaissera les procédés de laboratoire, pour adopter les moyens usuels, assez précis pour renseigner le producteur sur la valeur individuelle de chacune de ses vaches.

Comparaison qualitative.

— Il y a vache et vache, comme fagot et fagot, ainsi qu’on peut le constater à l’examen du tableau ci-après, faisant ressortir les différences pouvant exister entre les bêtes d’une même étable, la classification comprenant quatre catégories, d’après la valeur fromagère de leur lait, Pauvre, Médiocre, Passable et Riche.

Il ne faut pas croire que les vaches à grand rendement fournissent le lait le plus pauvre, car c’est souvent le contraire qui se produit chez les bêtes d’une même race. Il n’est donc pas possible d’émettre des hypothèses, ni d’être affirmatif, tant que le contrôle qualitatif n’a pas été fait. Lui seul permet l’élimination des médiocres et des mauvaises fromagères, pour ne conserver que les passables ou les bonnes, ces dernières étant utilisées pour la reproduction, les veaux des autres étant invariablement dirigés vers la boucherie. C’est ce procédé sélectif qui permet d’améliorer rapidement la valeur des vaches fromagères.

D’ailleurs, l’analyse succincte du lait peut être faite avec un matériel peu compliqué, comprenant une ou plusieurs éprouvettes graduées (crémomètre) et un pèse-lait (thermolacto-densimètre). Si on veut aller plus vite à l’ouvrage, on remplacera les crémomètres par un Gerber, petit appareil centrifuge accompagné de butyromètres.

Classement des laits par catégories.
Contrôles. Pauvres. Médiocres. Passables. Riches.
Densité à 15°. 1028 et dessous 1028 à 1029 1029 à 1031 1031 à 1033
Graisse. moins de 2,5 % 2,5 % à 3 % 3 % à 4 % au-dessus de 4 %
Caséine totale. moins de 3 % 3 % à 3,5 % 3,5 % à 4 % au-dessus de 4 %
Sels minéraux moins de 0,6 % 0,6 % à 0,7 % 0,7 % à 0,8 % au-dessus de 0,8 %

Dans la pratique, on ne contrôle pas la teneur en caséine ni en sels minéraux. On l’écrit sur le tableau, dans chacune des colonnes, d’après la densité et la teneur en graisse des échantillons.

Recherche de la densité.

— Pour « peser » un lait, rien de plus simple. On prend un échantillon prélevé sur la traite totale d’une vache pour en remplir une éprouvette quelconque, dans laquelle on pourra plonger un thermolacto-densimètre, qui s’y enfoncera d’autant plus que le lait sera moins dense. L’appareil stabilisé, il n’y a plus qu’à lire, sur la tige graduée pour le lait pur, le chiffre en affleurement avec le dessous du ménisque. Le ménisque est l’anneau qui se relève autour du verre, en vertu d’un phénomène physique. On le néglige à la lecture.

Admettons que le chiffre soit 1.029. Si le thermomètre du densimètre marque exactement 15°, la densité du lait est bien de 1.029. Mais si la température était inférieure ou supérieure à 15°, il faudrait ajouter ou retrancher quelque chose à 1.029, pour avoir la densité réelle, afin de tenir compte de la contraction ou de la dilatation, sous l’influence du froid et de la chaleur.

Un tableau rectificateur imprimé donne les densités exactes, au croisement des températures avec les densités ; mais on peut fort bien s’en passer, sachant que, par 5 degrés de température en plus ou en moins, la densité diminue ou augmente de 1 gramme.

Ainsi, un lait marquant 1.029 à 10° pèse en réalité 1.030, alors qu’un lait pesant 1.029 à 20° ne pèse en réalité que 1.028. Toujours pour la même cause, des laits marquant 1.029 à 5° et 1.029 à 25° pèseront respectivement 1.031 et 1.027.

Analyse de la matière grasse.

— La teneur en graisse d’un lait est en rapport à peu près constant avec la caséine, les deux principaux constituants des fromages. Les laits riches en graisse le sont également en caséine, cette dernière étant généralement un peu plus abondante que la première, du moins dans les laits normaux.

La richesse du lait en matière grasse est extrêmement variable, allant du simple au double, couramment entre 2 et 5 p. 100. On la contrôle, dans l’industrie, d’une façon expéditive, avec un jeu de butyromètres gradués, dans lesquels on introduit, sous un numéro, chacun des laits à contrôler, en y ajoutant quelques dissolvants (méthode Gerber ou Hoyberg), pour les soumettre ensuite à l’action d’un petit centrifugeur. Un simple examen visuel permet de lire l’épaisseur de la graisse libérée et facilite le classement.

À défaut d’appareil perfectionné, on se servira d’éprouvettes en verre gradué (crémomètres), que l’on remplit, jusqu’au trait zéro, avec le lait à contrôler. Cela fait, on laisse au repos, pendant vingt-quatre heures, dans un local à la température de 15°; enfin on lit par transparence le nombre de divisions occupées par la couche de crème. Mais, comme la crème n’est que de la graisse très diluée, on multipliera le nombre des divisions par 0,3 pour avoir la richesse butyreuse exacte. Ainsi, admettons que trois laits différents aient donné respectivement, à la lecture, 10 divisions, 12 divisions et 14 divisions. La richesse approximative en graisse serait :

1er échantillon : 10 x 0,3 = 3 p.  100.
2e 12 x 0,3 = 3,6 —
3e 14 x 0,3 = 4,2 —

Les rendements en fromage.

— En principe, les laits qui possèdent la plus haute densité sont ceux qui fournissent les rendements en fromage les plus élevés, puisque c’est l’indice d’une teneur correspondante en matière sèche, bien que toute la matière sèche ne reste pas dans le coagulum.

Il y a, en effet, des pertes appréciables de caséine et de sels minéraux dissous, ainsi que de petits globules gras, par entraînement, avec le sérum, lors de l’égouttage. Quant au sucre de lait, il disparaît en entier, puisque celui qui n’est pas évacué avec le petit-lait doit être brûlé par les champignons et les microbes pendant les différentes phases de la maturation. Quoi qu’il en soit, à fabrication égale, il est certain que les bonnes fromagères, au lait dense, donnent plus de pâte affinée, par 100 litres de lait, que les vaches au lait léger, pauvre en matières sèches.

Suivant les spécimens et la méthode suivie, on constate de grandes différences de composition, que Duclaux a fait ressortir dans ses tableaux d’analyses, notamment en ce qui concerne la teneur en eau et en matière grasse :

Composition centésimale moyenne de trois fromages différents.
Substances.
———
Cantal.
———
Brie.
———
Hollande.
———
Matières grasses 25 26 24
Caséine insoluble 20 12 24
——— solubilisée 06 08 07
Sel marin 03 03 03
Cendres 01 01 02
Eau 45 50 40

D’après ces chiffres, on voit que le Brie est beaucoup plus riche en matière grasse que le Cantal et le Hollande, en raison surtout de sa plus grande aquosité. En effet, si on calcule la teneur en gras, sur le sec, elle est respectivement de 52 p. 100 pour le Brie, et seulement de 45 et 49 p. 100 dans le Cantal et le Hollande. Cela tient surtout aux différences de pressions exercées, à la rapidité du caillage et aussi à la caséonification qui, plus poussée dans le Brie, fait gagner de la matière grasse sur la caséine, en vertu d’un phénomène encore inexpliqué. Les rendements moyens, par 100 litres, sont approximativement :

Pâtes molles (Camembert, Maroilles) 14 kilogrammes.
Pâtes pressées (Port-Salut, Cantal) 12kg,500
Pâtes cuites (Gruyère, Emmenthal) 11kg,250

Cela nécessite environ 7, 8 et 9 litres de lait pour avoir 1 kilogramme de fromage affiné.

C. ARNOULD.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 107