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Apiculture

Comment devient-on apiculteur ?

« Pour savoir quelque chose, a dit excellemment le poète, il faut l’avoir appris. » Il en est ainsi de l’apiculture. Nombre de gens ne connaissent des abeilles que les préjugés, hélas ! trop répandus, faisant de nos mouches à miel des insectes redoutables.

D’autres, moins exclusifs, ne répugneraient pas à faire de l’apiculture ; mais la chose leur paraît trop compliquée, ils y renoncent.

D’autres encore — ceux-là trop résolus — entendant parler des résultats obtenus par certains apiculteurs, songent à se lancer dans la culture des abeilles, y voyant un moyen d’acquérir promptement des moyens de vivre et ils rêvent de créer d’emblée une exploitation apicole importante.

Les uns et les autres font erreur. Certes, la culture des abeilles n’est ni redoutable, ni excessivement compliquée, et on peut fort bien, en la plupart des cas, y réussir; mais, en apiculture, comme en toutes choses, il faut commencer par le commencement, c’est-à-dire étudier la question avant de se mettre à l’œuvre, donc s’instruire d’abord, soit à l’école d’un excellent praticien, soit en étudiant un bon guide ou manuel qui enseigne ce qu’il est nécessaire de connaître des mœurs des abeilles, de la manœuvre de la ruche et des opérations à faire au rucher.

Et, pour être plus sûr d’avoir compris les leçons du Manuel et s’en bien pénétrer, il sera bon, après la description d’une manœuvre quelconque, de mimer cette opération, de l’exécuter à blanc. Prenez par exemple une chasse d’abeilles faite par tapotement. Après avoir lu les explications données par votre auteur, ayez deux ruches vulgaires ou paniers figurant l’une la souche et l’autre le panier destiné à recevoir la chasse, et, manœuvrant comme si vous opériez sérieusement, dites :

« J’enfume d’abord la souche, puis je la culbute comme ceci ; ensuite, je la coiffe de la seconde ruche comme cela, etc. » Cet exercice vous rendra vite aussi expérimenté qu’un habile praticien, et, quand le moment sera venu d’agir pour de bon, comme tous les mouvements auront été prévus, vous n’aurez pas d’hésitations ni de tâtonnements, et vous ne ferez pas d’impairs, vous serez même étonné d’avoir aussi bien réussi tout seul et du premier coup.

Commencez donc par vous procurer un bon traité d’apiculture moderne et par l’étudier sérieusement. Ajoutez-y une Revue apicole mensuelle, qui au besoin répondra à vos questions et vous aidera de ses conseils, puis dites-vous : « Ce que font tant d’autres, pourquoi ne le ferais-je pas moi-même ? »

L’élevage des abeilles, soyez-en convaincus, n’est pas plus difficile que les autres industries rurales ; il suffit d’y apporter l’application voulue, et, de même qu’en forgeant on devient forgeron, après quelques années d’expérience, vous deviendrez sûrement un bon apiculteur.

Ne vous laissez pas effrayer par le nombre des opérations ni par l’outillage décrits dans votre manuel. Toutes les opérations indiquées ne sont pas nécessaires, pas plus que tous les appareils mentionnés. La conduite d’une bonne ruche exige peu de travail, et de même l’outillage peut être fort réduit au début. Il ne faut acheter pour commencer que le strict nécessaire ; le reste viendra plus tard au fur et à mesure des besoins, et lorsque les abeilles auront rapporté de quoi en faire les frais. Et tout débutant doit se garder de vouloir aller trop vite. Deux ou trois ruches suffiront pour l’apprentissage, et comme instruments : un enfumoir, un voile et quelques nourrisseurs.

Il importe, évidemment, de bien débuter avec de fortes colonies et de donner aux essaims les soins qu’ils réclament. Une négligence sur ce point compromettrait l’avenir et pourrait conduire à un échec.

Il est relativement facile de se procurer des abeilles, puisque les éleveurs sont nombreux qui offrent ruches peuplées, essaims sur cadres ou essaims nus.

Parfois l’occasion « qui fait le larron » a suscité des vocations apicoles en mettant à votre disposition un essaim vagabond que l’on recueille comme par charité et qui est devenu le premier élément d’un grand rucher. On cite même de gros industriels apicoles dont la fortune a ainsi commencé. Mais le cas est plutôt extraordinaire, et il ne faut pas compter sur pareille aubaine pour se mettre à l’élevage des abeilles, car on courrait le risque d’attendre fort longtemps.

La principale condition pour réussir en apiculture, après avoir étudié la question et s’être rendu compte le mieux possible des chances de succès, est d’aimer les abeilles et de les entourer de sollicitude. Celui qui croit que les abeilles se tirent d’affaire toutes seules sans que l’on ait à s’en occuper fera mieux de ne pas songer à la chose, car ici, comme en toute industrie, l’œil du maître est la principale condition du succès.

« Celui qui ne veut pas donner aux abeilles le temps qu’elles réclament, dit Doolittle, ferait mieux de ne pas s’en occuper, car tôt ou tard il s’en dégoûtera. L’apiculture suppose le travail avec l’ardeur qui le rend agréable. Celui-là ne saurait trouver agrément et profit dans l’élevage des abeilles, qui recule devant le moindre effort. »

Mais, qu’on se rassure, l’entretien d’un petit rucher ne demande pas beaucoup de temps ni de labeur; il suffit d’y consacrer ses moments de loisir, et c’est plutôt un délassement qu’une occupation absorbante.

Pour progresser dans l’art apicole, il faut avoir l’esprit d’observation, suivre avec intérêt les travaux des abeilles et leurs comportements et chercher à se rendre compte de leurs faits et gestes. Et il y aura avantage à noter, sur un carnet spécial qui sera comme le mémorandum du rucher, tout ce qui paraîtra digne d’attention, tous les renseignements qu’il importe de conserver. En agissant ainsi, on aura sous la main les éléments indispensables pour corriger et réparer les fautes du passé, tout en préparant les chances de succès pour l’avenir.

L’apiculteur qui tient à perfectionner ses méthodes et à se tenir au courant du progrès devra s’affilier à une Société d’apiculture de sa région, ce qui lui permettra d’entrer en contact avec les collègues de son voisinage, de comparer ses méthodes avec les leurs et de prendre part à des réunions où il se fait un échange de vues très profitable sur tout ce qui concerne les intérêts de la corporation.

En un mot, il ne négligera rien de ce qui peut contribuer à assurer la prospérité de son rucher et à obtenir de ses abeilles tout ce qu’on peut en attendre, c’est-à-dire le plus possible d’agrément et de profit.

P. PRIEUR.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 109