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Causerie vétérinaire

L’anémie du cheval.

On donne le nom d’anémie à un état morbide dans lequel il y a insuffisance quantitative où qualitative du sang. Tantôt il y a diminution de la quantité du sang contenu dans les vaisseaux ; tantôt la proportion normale des éléments liquides et solides du sang est intervertie, soit que la quantité relative du sérum ait augmenté, soit que celle des globules ait diminué.

On distingue une anémie symptomatique, liée à une maladie préexistante, et l’anémie infectieuse, apparaissant en dehors de toute cause organique.

L’anémie symptomatique peut être causée par des hémorragies accidentelles, par des maladies constitutionnelles à marche lente dont elle n’est qu’une complication (tuberculose, rachitisme des poulains) ; de même, les affections chroniques du cœur et du poumon, peuvent la provoquer ; elle existe souvent chez les jeunes chevaux atteints de maladies parasitaires (gale, ascaridiose). Enfin elle survient toutes les fois qu’un cheval est insuffisamment nourri, ou qu’il est placé dans de mauvaises conditions hygiéniques.

L’anémie se traduit par la pâleur des muqueuses, l’engourdissement, la mollesse au travail, et par des œdèmes ou engorgements passifs apparaissant brusquement aux membres, sous le ventre et parfois sous la gorge.

Traitement.

— Il faudra combattre l’affection causale, si possible ; mettre les malades dans de bonnes conditions hygiéniques. Donner une nourriture substantielle, des aliments de facile digestion ; traiter les affections parasitaires. Repos ou travail modéré.

Les toniques sont tout indiqués comme reconstituants du sang. C’est ainsi qu’on pourra donner de la poudre de gentiane, de la poudre de quinquina, du peroxyde ou du sous-carbonate de fer, etc. Voici deux formules excellentes :

Carbonate de fer fraîchement préparé 20 grammes.
  Poudre de gentiane 30 —
  ———— quinquina 10 —

Pour deux paquets. Un matin et soir, avec du miel ou de la mélasse.

Poudre de gentiane 250 grammes.
  Peroxyde de fer 125 —
  Sel de cuisine 100 —

Diviser en paquets de 15 grammes et donner un paquet par jour au cheval, dans l’avoine ou le barbotage ; en électuaires, seulement quand les sujets refusent de prendre la médication autrement.

L’anémie infectieuse est une maladie spéciale aux solipèdes, plus particulière au cheval, due à un virus filtrant, ultra-microscopique, incultivable, inoculable, contagieux. La simple piqûre avec une aiguille souillée de sang virulent assure la transmission. Aussi, dans les conditions naturelles, accuse-t-on les insectes piquants, mouches et taons, d’être les agents de propagation de la maladie.

Elle se manifeste sous une forme aiguë ou lente, et la perte des forces est souvent très accusée. La maladie sévit depuis longtemps dans la vallée de la Meuse, qui peut être considérée comme le berceau de l’affection, au moins en ce qui concerne la France ; mais on la signale aussi dans les départements de l’Est, jusque dans la Seine-et-Marne et en diverses autres régions.

Le virus est détruit par le chauffage à 58°, mais il résiste à la dessiccation, au vieillissement, à la putréfaction. Cette résistance du virus explique la persistance de la maladie dans les régions infectées. Spontanément, la transmission de l’anémie infectieuse se fait à l’écurie, et aussi au pré par le moyen des insectes. L’urine étant virulente ainsi que les excréments souillés de sang, la propagation de la maladie peut résulter de l’ingestion d’aliments, herbes ou foins, souillés par les déjections, ou des boissons contaminées.

Lorsque la maladie se manifeste sous la forme aiguë, qui porte aussi le nom de typho-anémie, on observe de la mollesse au travail, de l’essoufflement ; la muqueuse conjonctive est injectée, de coloration jaune très légère. Les malades sont immobiles, figés, raides comme s’ils étaient atteints du tétanos. La température s’élève en quelques jours à 40°, 40°,5 et se maintient ainsi jusqu’à la mort qui arrive ordinairement après une huitaine de jours.

La forme chronique se traduit par des signes marqués d’anémie. Les animaux sont mous, paresseux ; leur démarche est titubante. Dans une forme intermédiaire, subaiguë, on constate les symptômes ci-dessus plus ou moins atténués, avec des périodes de rémission qui durent des semaines et des mois, pendant lesquelles on croit les animaux guéris. La mise au travail des malades est souvent l’origine d’une récidive de la maladie.

En résumé, l’anémie infectieuse est une affection très grave, évoluant le plus souvent sous la forme aiguë ou subaiguë dans une écurie jusqu’alors saine. En réalité, le malade ne guérit pas et, ne parvenant pas à se libérer de l’ultra-virus, il constitue une source de contamination pour ses voisins d’écurie.

Traitement.

— Malgré le nombre de médications instituées jusqu’ici, les moyens thérapeutiques sûrs et efficaces restent à trouver. Le stovarsol aurait donné quelques résultats. Le traitement comporte trois injections successives d’une solution à 10 p. 100 de stovarsol dans l’eau bidistillée : la première inoculation, intraveineuse, nécessite l’emploi de 5 à 10 grammes du produit, soit de 50 à 100 centimètres cubes de la solution ; la seconde injection — quarante-huit heures après la première — est faite dans la veine ou sous la peau, au taux de 5 grammes de stovarsol ; la troisième inoculation — quarante-huit heures après la seconde — est sous-cutanée, toujours à la dose de 5 grammes de stovarsol. Au total, 15 à 20 grammes de médicament en cinq jours. Ajoutons que nombre de praticiens ont obtenu un résultat négatif de l’emploi de la médication. Il en est de même en ce qui concerne un grand nombre de médicaments employés. Aussi ne peut-on que se ranger à l’opinion exprimée à ce sujet, dès 1904, par Carré et Vallée : « Les formes aiguës sont absolument incurables ; les améliorations ou les prétendues guérisons, obtenues en certains cas sous l’influence du repos absolu, de la suralimentation et d’une médication tonique, sont beaucoup plus apparentes que réelles. »

Signalons enfin que, malgré que l’anémie infectieuse paraisse exceptionnellement transmissible à l’homme — deux seules observations authentiques d’hommes infectés au contact de chevaux atteints — la viande des sujets anémiques n’est point, en France, retirée de la consommation, si la carcasse ne présente, par ailleurs, aucun motif propre de saisie : viande fiévreuse ou hydrohémique, cachexie ou présence d’œdèmes généralisés, par exemple. Le virus ne résistant pas à un chauffage de 58°, nos habitudes culinaires relatives à la cuisson des viandes suffiraient à écarter tout danger de transmission.

Police sanitaire.

— Un décret du 21 novembre 1936 ajoute l’anémie infectieuse des équidés à la nomenclature des maladies contagieuses imposant la déclaration à la mairie des cas constatés. Un arrêté du 7 décembre 1936 prescrit les mesures à prendre, notamment : la déclaration d’infection des locaux, enclos, herbages, etc., dans lesquels se trouvent les animaux atteints ou contaminés, l’interdiction de répandre sur les pâturages les fumiers et purins provenant de l’exploitation infectée, ainsi que de laisser les purins s’écouler dans les ruisseaux et les mares.

Interdiction de se dessaisir des animaux malades et des contaminés, si ce n’est pour les faire abattre ; d’introduire ou de laisser pénétrer dans les locaux, cours, herbages ou pâturages, renfermant des animaux atteints ou contaminés, d’autres animaux des espèces susvisées.

Enfin l’arrêté de déclaration d’infection ne peut être rapporté par le préfet que six mois après l’abatage ou la mort du dernier animal malade et après l’exécution de toutes les mesures relatives à la désinfection, ordonnées par le directeur départemental des services vétérinaires.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 110