Nous avons été consulté récemment au sujet d’une situation
qui n’est certes pas unique, et l’examen des conséquences susceptibles d’en
résulter nous paraît de nature à intéresser les lecteurs de cette Revue qui
veulent bien suivre nos causeries. Au surplus, sans même que l’on se trouve
dans une situation identique, on peut avoir la curiosité de savoir comment, si
l’on s’y trouvait, on pourrait en sortir. Sans donc entrer dans des détails qui
ne changent rien à l’affaire et pour nous en tenir aux grandes lignes et aux
points essentiels, voici ce dont il s’agit.
Au mois d’avril 1939, six personnes ont constitué entre
elles une association en vue de l’exercice de la chasse sur un territoire assez
étendu comportant, comme il convient, des bois et de la plaine ; deux des
associés apportaient à l’association des terres dont ils avaient la
propriété ; un troisième apportait le bail de chasse pour le surplus du
territoire de chasse, qui en constituait la partie la plus étendue et la plus
intéressante. Chacun des associés avait, en outre, apporté une cotisation
relativement importante en vue de travaux, aménagements et dépenses diverses,
prévus tant pour la transformation de certains locaux que pour l’organisation
de la chasse.
En fait, courant août, l’un des membres de l’association, vu
la tension diplomatique, fut appelé sous les drapeaux ; aucun des travaux
ou aménagements prévus ne furent exécutés ; puis, lors de la mobilisation
générale, un autre des associés, officier de complément, alla rejoindre son
corps. Au surplus, la chasse n’ouvrit pas.
Dans ces conditions, deux des membres non mobilisés de la
société ont exprimé le désir de dissoudre l’association comme n’ayant plus
d’objet et de reprendre les fonds qu’ils ont versés aux mains de l’un des
associés, trésorier de la société, puisqu’on ne peut en faire l’emploi prévu.
Ce dernier, pas plus que les autres associés, sauf un, ne sont absolument
opposés à cette solution, mais ils craignent de procéder irrégulièrement à la
liquidation, d’encourir certaines responsabilités. Enfin, l’associé apporteur
du bail de chasse s’oppose à toute dissolution ; il estime que, puisqu’il
reste lié par le bail de chasse, malgré la guerre, la société qui lui est
substituée, du fait de l’acceptation par elle de l’apport du bail qu’il lui a
fait, ne peut se libérer, pas plus qu’il ne le pourrait lui-même, en raison du
seul fait de la survenance de l’état de guerre avec toutes les conséquences qui
en découlent.
C’est sur cette situation que nous avons été sollicité de
donner un avis.
Un premier point n’est pas douteux : dès lors qu’un des
membres de la société s’oppose à la dissolution, cette dissolution ne peut
s’opérer à l’amiable, les statuts n’ayant pas prévu qu’une majorité des membres
pourrait l’imposer aux autres. Il résulte de là que, pour aboutir, ceux des
associés qui voudraient faire dissoudre et liquider la société seraient obligés
d’engager à cet effet, devant le tribunal civil, une action en justice contre
les autres membres de la société. D’autre part, deux des membres de la société
étant mobilisés, il n’est possible de les assigner devant le tribunal qu’avec
l’autorisation du président, ou leur consentement. Leur non-consentement et le refus
d’autorisation du président du tribunal élèveraient un empêchement absolu à
l’exercice de toute action en justice, et, par suite, à toute dissolution de la
société.
Admettons maintenant que l’action en dissolution puisse être
formée ; est-il à prévoir que le tribunal y ferait droit et déclarerait
l’association dissoute ? Il faut noter, d’abord, qu’aucune disposition des
statuts ne prévoit de motifs de dissolution anticipée susceptibles d’être
invoqués en la circonstance, en sorte que ce serait uniquement par application
des règles de droit commun que cette dissolution pourrait être prononcée. Nous
n’allons pas chercher à exposer ici une théorie complète des causes de
dissolution des sociétés ; cela nous emmènerait trop loin et serait sans
grand intérêt ; nous nous contenterons d’indiquer qu’à notre avis les
circonstances relevées plus haut ne suffisent pas pour entraîner une
dissolution anticipée. Si, en effet, il n’est pas loisible aux associés de
chasser, puisque la chasse reste interdite et peut le rester encore pendant un
temps indéterminé, il reste aux associés la possibilité de se livrer à la
destruction des animaux nuisibles. D’autre part, rien ne prouve que la chasse
ne sera pas ouverte pendant la saison prochaine ou l’une de celles qui
arriveront avant la date prévue pour l’expiration de la société, constituée
pour dix ans. D’un autre côté, la mobilisation de deux des associés ne saurait
permettre à des associés non mobilisés de faire prononcer la dissolution
anticipée de la société ; les mobilisés eux-mêmes ne pourraient
vraisemblablement la faire prononcer, s’ils la demandaient sur le fondement de
leur mobilisation, car ceci ne constitue qu’un empêchement temporaire, comme
celui qui résulterait d’une maladie ou autre circonstance accidentelle.
Supposons maintenant qu’on en vienne à la dissolution
anticipée de la société, soit du consentement unanime des associés, soit par l’effet
d’une décision de justice. Il nous reste à rechercher comment il pourrait y
être procédé, et quelles en seraient les conséquences.
C’est là, sans doute, le point le plus délicat et sur lequel
il est le plus difficile de donner une solution certaine. En effet, suivant que
les associés seraient ou non d’accord, les choses pourraient se passer très
différemment.
L’idée de notre correspondant serait de procéder, non pas
comme en matière de dissolution anticipée, mais comme si la société était
annulée à la date de sa constitution : il envisagerait de remettre les
choses dans l’état où elles se trouvaient avant la constitution de la
société : le bénéficiaire du bail le reprendrait pour lui seul, les
propriétaires conserveraient pour eux seuls le droit de chasse sur leurs
propres terres, et chacun des associés reprendrait la somme d’argent qu’il a
remise au trésorier, sauf à répartir entre tous les quelques dépenses qui ont
été faites.
Cette solution ne serait à envisager que si tous les
associés étaient d’accord pour qu’il soit ainsi procédé. Si un tel accord se
réalisait, nous ne pensons pas qu’aucune objection puisse être formulée contre
cette manière de procéder. Une seule question pourrait se poser : celle de
la forme à donner à un tel acte et de l’éventuelle publicité qu’il y aurait a
prévoir pour le rendre définitif au regard des tiers. Nous ne nous arrêterons
pas à le rechercher, cette solution amiable ne paraissant pas prévisible en
raison de l’opposition, irréductible de l’apporteur du bail qui ne veut, à
aucun prix, en conserver la charge pour lui seul.
En dehors de cette solution, il nous paraît que la
liquidation comporterait d’assez sérieuses difficultés. Si, en effet, on peut
admettre la reprise par chacun des propriétaires du droit de chasse sur ses
propres terres, il en va autrement pour les droits et obligations dérivant du
bail de chasse : ce bail, dont la cession n’est autorisée par ses clauses
que sous forme d’un apport à société, ne pourrait être cédé à un tiers ni
amiablement, ni par voie de mise en adjudication. Tout au plus pourrait-on
envisager son adjudication par voie de licitation entre les associés.
D’ailleurs, dans les circonstances actuelles et tant qu’il ne sera intervenu
aucune disposition de loi ou aucune jurisprudence, permettant, en raison des
hostilités, d’obtenir, soit la résiliation, soit la réduction du loyer, ce bail
constitue, pour celui qui en est bénéficiaire, une charge assez lourde et sans
compensations qui y correspondent, en sorte qu’il serait fort malaisé à la
société qui en est devenue bénéficiaire de s’en débarrasser.
Enfin, pour les apports en espèces, même leur redistribution
à ceux qui les ont réalisés n’irait pas sans difficulté, et nous n’oserions
affirmer qu’elle puisse être opérée sans risques. Il existe, en effet, une
théorie suivant laquelle l’actif des associations dissoutes ne peut être
distribué entre les membres de l’association, mais doit être attribué à
d’autres associations ayant un but similaire. Il y aurait beaucoup à dire sur
cette dernière question, spécialement sur l’application susceptible d’être
faite de ce principe aux sociétés de chasse. Mais nous nous contenterons de
signaler cette difficulté qui vient s’ajouter à toutes celles que nous venons
de mentionner.
Et nous arrivons à cette conclusion, en laquelle se résume
le conseil que nous avons cru devoir donner à notre correspondant. Le mieux
est, pour le moment, de laisser les choses en l’état, de conserver à la société
le bail et le droit de chasse sur les terres des deux membres propriétaires,
sauf à profiter des droits que la loi pourra accorder par la suite aux locataires
de chasse. Enfin, en ce qui concerne les sommes remises au trésorier en vue de
travaux devenus pour le moment inutiles, rien n’empêche de prendre une
délibération, aux termes de laquelle, vu l’ajournement, à une date
indéterminée, des dépenses en vue desquelles ces sommes ont été versées, elles
seront, au moins en partie, restituées a ceux qui les ont versées, sous
l’obligation pour eux de les reverser en vertu d’une délibération ultérieure
des membres de l’association.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’Appel de Paris.
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