Un lecteur du Chasseur Français nous interroge sur la
question de la densité limite à laisser, en fin de saison, sur un terrain de
chasse, de manière à assurer une bonne reproduction pour l’année suivante, sans
que l’on ait à craindre éventuellement des dégâts de culture. La chose vaut, en
effet, la peine d’être discutée, étant donné que, pour le lapin, et c’est
précisément ce qui intéresse particulièrement notre correspondant, l’année 1939
ne paraît pas, tout au moins dans le centre de la France, avoir tenu les
promesses du printemps.
Nous examinerons donc successivement la question de la
densité théorique maximum et celle des procédés de destruction qui permettent
le mieux d’apprécier en fin de saison ladite densité, car il est inutile de se
fixer un chiffre abstrait, même après avoir mûrement réfléchi à son importance,
si nous sommes, d’autre part, incapables d’appliquer avec certitude notre
théorie.
En ce qui concerne le lapin de garenne, il est courant
d’entendre les experts émettre, en cas de dégâts, les opinions les plus
divergentes sur le nombre d’individus ayant commis lesdits dégâts. En réalité,
nous avons acquis la conviction que de telles opinions pêchent toujours
beaucoup plus par excès que par défaut, et que, quand les cultures sont mal
placées et mal défendues, il suffit de très peu de rongeurs pour commettre des
délits très importants.
Dans une propriété bien administrée et dans laquelle les
espaces cultivés sont convenablement répartis par rapport aux parties boisées
ou incultes, on arrive facilement à une assez grosse densité de gibier sans
compromettre les cultures. Il est courant, en Sologne, par exemple, que, dans
un domaine de 500 hectares dont 200 à 250 en culture en deux ou trois fermes,
on puisse, chaque année, retirer 3.000 à 4.000 lapins par la bourse ou le
fusil, en laissant la graine pour l’année suivante, sans avoir autre chose que
des dégâts insignifiants. Mais, pour arriver à ce résultat, il convient de
connaître son terrain, d’éliminer des terres cultivables certaines parcelles mal
placées et indéfendables contre la dent du rongeur, et de posséder les six ou
huit mille mètres de grillages indispensables. Et encore faudra-t-il effectuer,
au bon moment, les destructions nécessaires et ne pas attendre, pour faire un
fermé, que les dégâts soient par trop apparents au voisinage immédiat.
Le choix du procédé de destruction n’est pas non plus
indifférent : on se trompe grossièrement sur la densité réelle du lapin
dans un bois ou dans une bruyère, en y pratiquant une battue rapide et un peu
large. Pour peu que le gibier ait l’expérience de ces sortes d’expéditions, il
saura parfaitement se dissimuler, glisser dans les pièces voisines et éviter le
tableau. Nous avons vu assez souvent des battues en hautes bruyères pouvoir
être recommencées trois fois, sans interruption, dans des sens divers, et avec
des résultats équivalents.
Lorsqu’il s’agit de tir, et non de destruction, on voit bien
ce que l’on tue, mais on ne sait jamais ce qui reste au terrier ; s’il
s’agit, au contraire, d’une opération faite pour protéger les récoltes
voisines, il est indispensable de fureter dès la fin d’une battue répétée au
moins deux fois et d’y mettre le temps nécessaire. C’est le seul procédé
certain pour ne laisser à peu près rien au voisinage des céréales, pendant la
période de sensibilité aux dégâts. Après l’hiver, les couverts se repeupleront
petit à petit de reproducteurs provenant des parties du domaine où l’on aura pu
laisser une densité plus importante en raison de l’absence de culture dans le
voisinage immédiat. Tout ceci est une question d’équilibre.
On voit donc qu’il est assez difficile de fixer un chiffre
absolu pour la densité limite à l’hectare : cette densité, sur une même
propriété, dépendant de la situation de l’hectare dans l’ensemble du domaine. Nous
pensons qu’il vaut mieux considérer le domaine en bloc et se fier à
l’expérience, en arrêtant, chaque année, la destruction lorsque le tableau type
est réalisé. Dans une année franchement médiocre, peut-être pourra-t-on mettre
un peu plus tôt fin aux prélèvements, si les dégâts n’apparaissent pas trop
sérieux, et ne pas essayer, dans ce cas, d’atteindre la moyenne. Quant à
l’année favorable, nous la reconnaîtrons de suite en comparant les résultats
mensuels ; par sagesse, arrêtons-nous au voisinage de nos moyennes basées
sur l’expérience.
En opérant à temps les destructions nécessaires à la
protection de la culture et en surveillant attentivement les céréales pendant
l’hiver, on sera assuré d’avoir tiré le maximum du rendement de la chasse.
Vouloir aller au delà du tableau ainsi obtenu serait courir le risque de dégâts
sérieux.
En ce qui concerne l’an dernier, la plupart des chasseurs
s’accordent à déclarer le lapin peu abondant, tout au moins dans le centre de
la France. Nous nous demandons si cette impression ne résulte pas précisément
de l’insuffisance des moyens employés : chiens, gardes et rabatteurs
déficitaires, temps limité pour tous les usagers, jours fixés à l’avance. La
sagesse consiste, en ce cas, à régler définitivement, en mars, le sort de la
population, et cela, d’après les dégâts qui apparaîtront ou n’apparaîtront pas
à ce moment. Et moyennant quoi, nous aurons encore quelques cartouches à brûler
l’an prochain.
Lapin à part, le faisan a pu faire quelques dégâts cette
année, étant donné qu’il était très abondant. En fin de saison il a été permis,
dans quelques départements, de disposer des coqs repris à la mue, l’usage du
fusil restant interdit pour leur destruction. Beaucoup de propriétaires n’ont
pu assurer l’écoquetage faute de personnel et, sur certains domaines, il en
résultera certainement une reproduction médiocre. Dans la plupart des cas,
heureusement, la loi d’espacement rétablira l’équilibre au profit des voisins
et, moins heureusement, les braconniers se chargeront du reste.
Tout cela n’est pas pour désespérer outre mesure de
l’ouverture de 1940, qui nous apportera, souhaitons-le, la Victoire, la Paix et
les plaisirs de la Chasse.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
|