Il y a une très grande différence, entre les chasses où l’on
va « de l’avant », arpentant landes, bois ou marais, à la suite d’un
bon chien, — et qui constituent le sport par excellence, — et celles,
moins fatigantes, où on attend le gibier au lieu de le poursuivre, celles que
j’appellerai, — faute de mieux, — « chasses sédentaires »,
et dont je me propose de passer un certain nombre en revue. Je ne parlerai que
de celles que j’ai pratiquées, mais il y en a beaucoup d’autres, chaque région
ayant trouvé les chasses qui conviennent le mieux à sa configuration, à son
climat, et, surtout, à ses variétés de gibier.
Nous parlerons, pour aujourd’hui, de la chasse des alouettes
« au miroir », qui se pratique à peu près partout en France, et qui
est certainement une des plus attirantes parmi les « Chasses
sédentaires ». Malheureusement, le nombre des alouettes, — comme
celui des cailles, dont je parlais dernièrement, — décroît d’année en
année ! On ne tue pas, par une belle matinée, le tiers des oiseaux qu’on
tuait, il y a une vingtaine d’années, et c’est très regrettable !
Telle quelle, pourtant, la chasse au miroir tranche
agréablement, fin octobre et début novembre, avec la poursuite aux perdreaux
fugaces et aux lapins raréfiés d’arrière-saison ! Voyons donc les conditions
requises pour tirer quelques jolis coups de fusil à l’oiseau « Gaulois »,
qui se défend fort bien, je vous l’assure.
Première condition, sine qua non : un temps
clair, avec du soleil et un vent léger. Par temps nuageux, ou trop venté, il
vaut mieux laisser son miroir dans l’armoire et songer à une autre chasse.
Donc, par beau temps, il faut être sur le terrain de chasse au lever du soleil,
pas avant. Les bonnes places sont connues dans le pays : choisir de
préférence un chaume ou un labour, terrain plat, sans mauvaises herbes pouvant
masquer le miroir, qui doit être vu de loin par les oiseaux : se cacher
derrière un accident de terrain, un fossé, un buisson : placer son miroir
à 20 ou 25 mètres, pas davantage, et dans la direction d’où vient le vent.
La question se pose depuis longtemps de savoir s’il faut
prendre un miroir à ficelle ou un miroir mécanique ; l’un et l’autre ont
leurs qualités et leurs inconvénients, leurs partisans et leurs détracteurs. Le
principal défaut du miroir à ficelle, c’est qu’il faut avoir avec soi un enfant
pour le tourner. Mais, sauf cet inconvénient, je préfère le miroir à main au
miroir automatique, qui m’a toujours paru attirer moins les oiseaux, — peut-être
à cause de la trop grande régularité de son mouvement ? — et qui
présente surtout l’inconvénient de s’arrêter parfois, et, bien entendu, au
moment du plus gros passage, ce qui nécessite un remue-ménage pour le remonter,
qui effraye le gibier.
Une fois le miroir placé, le chasseur se dissimule, sans
qu’il soit nécessaire de trop se cacher, et il attend les alouettes qui, dans
les champs, montent vers le soleil, en chantant leur gai tireli-reli.
Mais, les voici qui aperçoivent, en bas, le miroir, qui
s’agite et brille de toutes ses facettes ! Elles se dirigent peu à peu vers
lui, par une série de vols concentriques. On a beaucoup discuté sur le motif
qui pousse ainsi un oiseau, prudent d’ordinaire, à se porter ainsi vers un
piège, qui le fascine à tel point qu’il n’aperçoit même pas le chasseur aux
aguets ?
On a dit que le tournoiement du miroir évoquait le vol d’un rapace,
que les paillettes de cristal hypnotisaient l’oiseau, qu’il tentait de s’y refléter,
qu’il le prenait pour un soleil, etc. Je crois, pour ma part, qu’il s’agit là
d’un simple acte de curiosité ; les animaux sont curieux, tout ce qui leur
paraît anormal les attire ! Rappelez-vous les effets d’un simple morceau
de drap écarlate, lequel fait venir la plupart des oiseaux, et, sous l’eau, un
certain nombre de poissons ! Il se passe ici le même phénomène ! L’alouette
veut se rendre compte de cet objet bizarre et brillant, elle s’en approche à
tire-d’aile, et, lorsqu’elle se trouve au-dessus, elle exécute un vol plané en
agitant rapidement le bout de ses rémiges, et, comme disent les chasseurs, elle
« fait le Saint-Esprit » !
C’est pendant ce court laps de temps, — une seconde ou
deux, — où l’oiseau demeure immobile, suspendu dans l’air comme au bout
d’un fil, que le tireur doit envoyer son coup de fusil, en plein corps, comme à
la cible. Passé cet instant rapide, le tir de l’alouette est des plus difficile,
et les douilles de cartouches vides s’entassent sans grand résultat !
Le bon passage des alouettes dure environ une heure. Puis,
le soleil montant, il se raréfie, et le chasseur n’a plus qu’à aller ramasser
son gibier. Besogne qui n’est pas toujours très aisée, le plumage gris-roux de
l’alouette se confondant avec le sol. C’est pourquoi il faut tenir la
comptabilité précise des oiseaux tombés. Les deux ou trois derniers sont difficiles
à trouver, parfois même impossibles.
C’est une chasse amusante, dans laquelle le tir joue un
grand rôle, mais il est nécessaire d’y déployer des qualités de patience, de
calme, et surtout, de connaissance du gibier, qui, selon la direction du vent,
peut venir de côtés différents. Est-ce une chasse « qui paye », comme
on dit ? En d’autres termes, quel est le « tableau » qu’un
chasseur moyen peut faire ? C’est la question que me posent nombre de mes
jeunes confrères en Saint-Hubert. Je leur répondrai sincèrement qu’aujourd’hui
un chasseur peut se déclarer satisfait s’il rapporte, pour sa matinée, une
douzaine d’alouettes. C’est peu, me direz-vous ? Je vous assure qu’une
douzaine d’alouettes, cuites à la broche, devant un grand feu de sarments, ça a
bien sa valeur !
Jean RIOUX.
|