Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°597 Mars 1940  > Page 143 Tous droits réservés

Le chien

 (1)

Le nombre de personnes qui parlent du Braque Dupuy sans l’avoir jamais vu, et qui ne le verront jamais est inimaginable ! Les uns écrivent « du Puy », le prenant, sans doute, pour une variété du Braque d’Auvergne (quelqu’un prit bien, jadis, le Pirée pour un homme), d’autres le traitent de « Braque » à tours de bras. Certains donnent à cette race des origines aussi fantastiques que variées ... le tout avec la certitude, sœur jumelle de l’incompétence dont font étalage ceux qui, par une grâce très spéciale d’en haut, ont été dispensés de tout travail et gratinés de la « Science infuse » ! Beati pauperes.

Disons donc, d’abord, que le département de la Haute-Loire n’a rien de commun avec la race qui nous occupe. « Dupuy » est le nom d’une famille, la famille Saget-Dupuy, dont les membres, tous chasseurs de père en fils, utilisaient un braque assez commun désigné sous le nom de Braque du Poitou qui, en définitive, n’était rien autre qu’un braque français du type lourd transporté en Poitou. Le chien Dupuy actuel — je dis bien chien Dupuy et non braque Dupuy, on verra pourquoi tout à l’heure — fut créé par M. Omer Dupuy, vers 1816.

Ce chien est un produit de croisement voulu, et ce n’est plus un braque, au sens absolu du mot, puisqu’il ne s’agit pas d’un croisement entre braques.

Mais quelle est donc cette alliance bizarre qui a donné cependant d’excellents résultats ?

Avant de parler du croisement réel, parlons un peu des croisements supposés. Ils nous montreront encore une fois que l’imagination du public est beaucoup plus riche que sensée et toujours, comme il y a deux cents ans ou plus, portée, peut-être inconsciemment, vers les choses les plus extraordinaires. Mais ce qui était admissible il y a deux ou trois siècles ne l’est plus aujourd’hui, ne devrait pas l’être, du moins. Le temps où l’on admettait le croisement fécond du tigre et de la chienne est déjà éloigné de nous. Mais il en reste encore quelque chose cependant, dans l’esprit du vulgaire, s’entend. Écoutez plutôt les suppositions qui ont été faites sur l’origine du chien Dupuy. La première et la deuxième sont, et de beaucoup, les moins invraisemblables, mais la troisième et la quatrième révèlent une imagination et une simplicité d’esprit vraiment fantaisistes :

    1° Mâle et femelle braques : celle-ci d’origine incertaine ;
    2° Mâle braque français, femelle Saint-Germain ;
    3° Mâle griffon à poil dur, femelle braque française ;
    4° Mâle chien courant Larrye, femelle braque française.

La vérité est tout autre. Les frères Dupuy reprochaient à leurs braques lourds de manquer de train. Les braques lourds ont assez souvent ce défaut que j’ai constaté moi-même. Comment faire pour donner à ces chiens plus d’allure, tout en leur conservant leurs autres qualités ? Telle était la préoccupation constante des frères Dupuy ; mais comment y parvenir ? Le hasard leur fournit la solution du problème.

Un ami de la famille Dupuy, grand amateur de chiens courants de la race de Poudras, le comte Henry de la Porte du Teil de Forges, possédait aussi quelques lévriers. L’un entr’autres, nommé Rémus, se distinguait de la plupart des autres graioïdes en ce qu’il avait du nez et pistait tous les animaux. C’était en outre un très bel animal bien fait, aux formes élégantes et puissantes, de couleur blanche et fauve bringée, à grandes taches. MM. Dupuy eurent alors l’idée de donner à ce chien deux de leurs lices braques. Ils conservèrent toutes les chiottes qui présentaient la robe des mères braques. Finalement ils ne conservèrent que les trois ayant le meilleur nez et les firent couvrir par un braque. C’est de cette union que naquit le prototype de la race, nommé Rémus comme son grand-père le lévrier qui, allié à une braque française, donna les célèbres Médor et Diamant, considérés comme les ancêtres de cette nouvelle race.

Bien qu’issu de greyhound à l’origine, le Dupuy doit être considéré comme un chien français, puisqu’il a été créé en France ; mais, comme je l’ai dit plus haut, ce n’est plus un Braque et il ne mérite plus cette appellation.

Certes, le sang greyhound s’est fondu dans le sang braque. Les célèbres Diamant et Médor ne comptaient déjà plus qu’un huitième de sang lévrier et sept huitièmes de sang braque ; mais le greyhound a apposé sa marque indélébile. Le Dupuy est nettement lévroïde ; sa coupe générale, sa tête (le type est dans la tête, ne l’oublions pas), la longueur du crâne, le chanfrein, l’oreille, le regard, le corsage, la queue rappellent le lévrier. Cela est l’évidence même. Et c’est pourquoi, dans son pays d’origine, on le qualifie de chien Dupuy et jamais de Braque Dupuy. Ceci est parfaitement logique.

Le Dupuy est un grand chien blanc marron, au poil très fin, quelquefois avec mouchetures. Le manteau, à la condition qu’il ne soit pas trop envahissant, est aujourd’hui toléré, il ne l’était pas autrefois.

Après 1840, la race fut délaissée, et de ceci les chiens d’arrêt anglais furent la cause principale. Il restait à peine deux ou trois éleveurs qui s’occupaient encore sérieusement de la race. Ce fut avec leurs chiens qu’en 1880 on s’attacha à la reconstitution de la race.

Aujourd’hui, le Dupuy est devenu très rare, depuis la mort surtout de M. Hublot du Rivault, éleveur très averti de cette race.

Malgré son ancêtre lévrier, le Dupuy arrête merveilleusement. M. O. Pineau disait d’eux : « Quand ils sont dressés, ils arrêtent très bien ; quand ils ne le sont pas, ils arrêtent trop ».

Le lévrier n’a donc aucunement amoindri les qualités de nez et d’arrêt.

Le Dupuy est un chien très doux et, partant, d’un dressage très facile. C’est, malgré la finesse excessive de son poil, un intrépide au fourré ; il ne craint ni les ajoncs, ni la brande. C’est aussi un excellent chien de plaine, dur à la fatigue et supportant bien la chaleur. Par contre, il craint le froid. Il tient cependant du lévrier une tendance à chasser en loup.

Dans les chiens d’arrêt à poil court de races françaises, il nous reste encore à parler du Braque d’Auvergne et du Saint-Germain.

Une chose qui saute tout d’abord aux yeux, c’est que ces braques, contrairement à ceux que nous avons étudiés jusqu’ici, ne sont pas marqués du marron classique des Braques. À cela il y a évidemment une cause. Je ne suis certes pas un coloromane, bien loin de là. La couleur est d’importance secondaire, disent les zootechniciens, et je suis parfaitement de leur avis. Cependant il ne faut pas oublier que toute couleur a une cause et, chez les chiens de race pure, n’est jamais le fait du hasard. Or, si le noir chez le Braque d’Auvergne, si l’orange chez le Saint-Germain sont à la base même de la race, il y a une raison.

L’aspect général nous montre chez le Braque d’Auvergne un animal nettement Braque, beaucoup plus braque que le Saint-Germain. À cela aussi, il y a une raison.

C’est à l’an 1708, date de la dissolution de l’ordre des Chevaliers de Malte qu’on fait remonter l’apparition du Braque d’Auvergne en France. On prétend, en effet, que le Braque d’Auvergne serait une importation de chiens bleus que les chevaliers, dont une bonne partie était originaire d’Auvergne, auraient ramenés avec eux à leur retour de l’île de Malte. Or, M. J. de Coninck affirme nettement qu’antérieurement les chevaliers avaient importé des Pointers de Galles et de Cornouailles. Si le fait est exact, la couleur noire ne serait pas difficile à expliquer.

Cependant, certains ne voient dans le Braque d’Auvergne qu’un Braque français modifié par l’habitat et la sélection. Opinion qui est parfaitement admissible, surtout si l’on suppose qu’il y a eu quelque croisement. Or, ne nous a-t-on pas dit aussi que, pour arriver à fixer le type, on s’est servi-du sang de Pointers bleus.

Bleu ! C’est aussi le qualificatif fréquent du Braque d’Auvergne. Que signifie-t-il au juste ? Il serait bien difficile de le dire, chacun interprétant ce mot à sa manière. Les uns disent que les tâches noires bien détachées sur fond blanc ont des reflets bleus sous une certaine lumière. D’autres, au contraire, qualifient de « Bleus » les chiens charbonnés. Enfin il en est qui disent que le bleu est produit par les petites mouchetures noires de la peau qui sont d’un noir bleuâtre et transparent à travers le poil. Voilà pourquoi j’estime qu’il vaut mieux s’en tenir à l’appellation classique et beaucoup moins imprécise de « Braque d’Auvergne ».

Ce qui est certain, c’est que le Braque d’Auvergne est un excellent chien d’arrêt à tout faire, dur à la fatigue et d’un dressage facile. Il a le caractère très braque ... sauf cependant chez les sujets améliorés de Pointer dans une très large mesure qui quêtent en loup et ont souvent un fichu caractère.

J. DHERS.

(1) Voir nos 588 et suivants.

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 143