La saison du saumon, vous ai-je dit l’autre jour, débute à
l’ouverture du 15 janvier. Elle se termine à la fin du printemps, plus ou
moins tôt suivant les saisons et les régions. Mais, en général, on peut dire
que fin avril tout est à peu près terminé.
En mai, on fait encore quelques captures, surtout dans les
gaves pyrénéens. L’été, il y a toujours quelques saumons, surtout des petits de
première montée (6 à 7 livres), mais il est très exceptionnel d’en
prendre.
La pêche du saumon exige une patience, une persévérance, une
ténacité peu communes.
Je ne connais qu’un sport qui puisse lui être quelque peu
comparé sous ce rapport : c’est la chasse à tir du sanglier, dans les
régions trop nombreuses où ce roi des gibiers est devenu rarissime.
Un de mes amis a coutume de dire : « Pour pêcher
le saumon, il faut être piqué ! » et je vous assure que lui il le
pêche, le saumon !
Pour fixer vos idées, si vous pouvez prendre un congé de
quinze jours au meilleur moment et aller dans un des meilleurs coins (cela
représente de gros frais de voyage, d’hôtel, de guide-pêcheur, etc.), et si,
pendant vos quinze jours de pêche à raison de dix heures par jour, vous avez eu
quatre touches et pris deux poissons, vous pouvez en rentrant dire que vous
avez eu de la veine et fait une saison magnifique !
Oui, je sais, on vous citera un tel et tel autre qui ont
pris l’un cinq saumons en un après-midi, l’autre huit dans sa journée. Cela
arrive. Mais, il y a aussi tous les ans une dizaine de types qui gagnent cinq
millions à la Loterie Nationale.
Le saumon, même dans les rares bons endroits qui nous
restent, n’est jamais surabondant. De plus, il est très rarement disposé à
mordre. Il faut que les eaux soient juste à hauteur convenable et ni trop
louches ni trop claires, et les circonstances atmosphériques appropriées. De
plus, même si tout est en ordre, un certain saumon n’aura pas ce jour-là envie
de mordre pendant plus de quelques minutes. De sorte qu’il faut se trouver là
juste à temps et présenter à ce moment précis au poisson un des appâts qui
peuvent lui plaire et de la façon qui peut le tenter. Vous comprenez que ce
résultat ne peut être obtenu que grâce à une patience et une ténacité confinant
à l’obstination.
Un pêcheur, je ne dirai pas novice, mais
« nouveau » dans un pays, opérant sans un guide expérimenté et sans
renseignement sur les coins de la rivière où il est possible de prendre un
saumon, et la hauteur d’eau favorable suivant ces divers coins, a toutes les
chances, à moins d’un miracle, de connaître de persistantes bredouilles.
En effet, dans chaque cours d’eau, il est des places bien
connues où le saumon mord et d’autres où il y a du saumon, mais où jamais on
n’en a pris un. Et cela sans qu’aucune explication puisse être trouvée. En tout
cas, souvenez-vous d’une chose : si vous tombez sur une de ces journées
où, par eaux trop basses, des saumons s’efforcent de sauter jusqu’à complet
épuisement pour tenter de franchir un barrage, il est absolument inutile de
leur expédier quelque appât que ce soit. Tout à leur idée fixe, pas un d’eux ne
songe à mordre et n’y songera.
Tout au contraire, si vous voyez dans un « pool »
(remous au bas d’un courant vif) ou en plein courant un saumon monter en
surface en bombant le dos, « faire le marsouin », c’est qu’il est
disposé à se faire prendre. Il faut l’essayer longuement, par tous les moyens
en votre pouvoir, et, si vous ne le tentez pas maintenant, revenez deux ou
trois heures après.
Quand il s’agit de pêcher au spinning truite, perche ou
brochet, il est rare qu’il soit utile de persister bien longtemps sur la même
place. Si le poisson n’a pas mordu après une dizaine de lancers, c’est ou qu’il
est absent ou qu’il n’a pas faim, et il vaut mieux aller ailleurs.
Au contraire, s’il s’agit du saumon, on ne saurait trop
s’acharner et lancer et relancer longuement sans se décourager. C’est ainsi
qu’à la longue on amène un poisson à s’accrocher.
Si vous connaissez une place comme bonne, ou si vous avez vu
un poisson qui paraît chasser, vous avez intérêt à essayer longuement, sans
vous décourager ni vous déplacer.
La pêche du saumon n’est pas difficile en ce qui concerne le
fait d’amener le poisson à mordre. Elle l’est extrêmement, au contraire, eu
égard à la violence de la bagarre qui précède la capture.
Le saumon, qui n’est dans les eaux douces qu’un hôte de
passage, se méfie peu de l’homme et n’est pas un poisson aussi timide que la
truite et à plus forte raison que le chevesne. C’est pourquoi on peut le pêcher
très efficacement d’amont en aval, contrairement à ce qui se pratique pour les
poissons méfiants.
Après ces quelques considérations, passons à l’application
du lancer léger à la pêche du saumon.
Il y a plusieurs dizaines d’années que ce sport se pratique
en Grande-Bretagne. Au début, cela paraissait une gageure impossible à tenir.
Comment ? on avait déjà bien de la peine à venir à bout du saumon avec un
matériel extra-solide, cannes à toute épreuve, soie triple en épaisseur de
celle qu’on emploie pour la truite, racines extra-grosses dites
« Impériales » qu’on employait même doublées ou triplées. Et grands
hameçons forgés armant de grosses mouches, de grandes cuillers ou devons, des
montures à poissons morts ou à crevettes. Et ainsi monté sur un matériel qui
aurait pu « tenir un cheval » on n’avait pas toujours le dernier mot.
Et, en cas de victoire, il fallait compter en moyenne « une minute par
livre », c’est-à-dire qu’un saumon de 30 livres ne se rendait pas en
moins d’une demi-heure. Et, si jamais il vous est arrivé de tenir un poisson
une vraie demi-heure, vous devez savoir que ça paraît long !
Et on avait la prétention d’utiliser pour cette pêche
brutale une canne pesant dans les 250 grammes, un petit moulinet de rien
du tout et un fil tout juste bon à faire un corps de ligne à gardon ! Cela
paraissait fou ; mais, devant les résultats obtenus, on fut bien forcé de
s’incliner.
Ce n’est pas à dire que le « light spinning »
puisse être employé dans toutes les eaux à saumons. Le lancer lourd, avec poids
allant jusqu’à 60 grammes, reste nécessaire dans certains coins où le
courant est brutal et profond.
Mais, dans les courants modérés, dans les pools, dans les
cours d’eau d’importance moyenne, le lancer léger reste, après la mouche, bien
entendu, la méthode la plus belle et la plus sportive pour la capture du
saumon. La difficulté de se rendre maître d’un poisson aussi brutal et aussi
courageux avec une ligne aussi mince ne doit pas être exagérée.
Pour peu que l’espace soit suffisant, le frein réglable à
roue libre dompte l’adversaire à peu près aussi vite qu’on avait coutume de le
faire avec l’ancien matériel extra-robuste. Bien entendu, il n’est pas question
de pêcher le saumon avec le matériel extra-léger employé pour la truite dans
les petites rivières. La « 200 grammes » n’a pas ici son emploi. Il
n’est pas impossible de lutter contre un saumon avec la 400 grammes, le
cas échéant. Mais ce n’est guère que la « 900 grammes »,
c’est-à-dire la canne établie pour lancer de 9 à 18 grammes, qui constitue
déjà une arme bien appropriée à cette pêche. Une canne un peu plus forte,
lançant 20 à 25 grammes, serait même préférable. Mais en eau basse et
claire, quand il s’agit de pêcher avec de petites crevettes faiblement
plombées, la 400 ou la 600 sont à préférer.
Quant au moulinet, qu’il soit à frein très progressif et que
sa bobine puisse contenir au minimum cent yards de gut assez fort : au
moins 30/100.
A. ANDRIEUX.
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