Un exemple à suivre.
— Il y a quelque quinze ans j’habitais la charmante
bourgade de D ..., arrosée par l’Ouanne, un des affluents du Loing.
Comme toutes les rivières un peu torrentueuses, coupées par
des biefs et des sous-biefs échelonnés, où se manifestent des mouvements d’eau,
par le jeu des écluses, et sujettes à de fortes crues pendant les débords, l’alevinage
du poisson s’y fait plutôt mal, les œufs des cyprins étant souvent
détruits par leur exposition prolongée à l’air ou au soleil, conséquence des assecs.
Dans le pays dont je parle, il y avait une bonne
douzaine de ces rentiers d’avant-guerre, vivant péniblement sur les marches des
inflations toujours plus sévères, et qui s’efforçaient de maintenir leur budget
en équilibre en allant « taquiner le goujon », avec l’espoir de
capturer une friture.
Malheureusement, pour les raisons ci-dessus énumérées, et
aussi du fait du braconnage, l’Ouanne ne contenait plus que quelques rescapés,
toujours plus clairsemés, et il en résultait des bredouilles de plus en plus
fréquentes.
C’est alors que vint à l’un d’entre nous l’idée de créer un bassin
d’alevinage, dans le but de favoriser le réempoissonnement de notre rivière
dépeuplée. L’idée ayant reçu un bon accueil, nous passâmes à la réalisation,
sous l’égide d’une société créée à cette intention, « Le Gardon douchycois ».
Avec un accord parfait, et sans bourse délier, les terrassements furent
effectués exclusivement par les sociétaires et le bassin se trouva creusé en
moins d’un mois.
Distribution de la pièce d’eau.
— Je n’entrerai pas ici dans le détail des travaux
effectués, à proximité d’un bief de moulin, dans un terrain attenant, à peu
près improductif, appartenant à la commune, et où croissaient des herbes
ligneuses, dans le genre des carex, des roseaux et des joncs.
Après un nivellement général, effectué à l’emplacement le
plus bas, et le piquetage du futur tracé de la pièce d’eau, avec une prise
d’eau sur le bief, et le profilement de la digue, pourvue d’une bonde de
vidange et d’un déversoir régulateur de niveau, nous pûmes
entreprendre nos terrassements et obtenir les profondeurs prévues. La coupe
ci-contre montre la digue terminée, avec sa tuyauterie de vidange, ayant son
orifice au-dessus de la pêcherie, la cuvette destinée à retenir les alevins,
en avant de la décharge, d’ailleurs garnie d’une toile métallique qui s’oppose
aux évasions, le canal d’alimentation étant lui-même grillagé finement.
Les terres extraites servirent à exhausser les abords de la
pièce d’eau et à constituer les deux talus de la digue, le déversoir en
maçonnerie étant au centre, avec une cloison séparative en madriers
coulissants, se superposant et pouvant être retirés pour la vidange.
La surface globale du bassin était environ d’une dizaine
d’ares, de forme apparemment elliptique, mais assez irrégulière, avec un îlot
conservé au centre, lequel devait être planté en saules pleureurs. La
profondeur à la pêcherie fut fixée à 1m,50 ; l’étang allait
sans cesse en diminuant, à mesure que l’on se rapprochait des berges, mais sans
descendre au-dessous de 25 centimètres.
Sachant que les cyprins pondent invariablement sur les
herbes immergées, on eut soin, avant de procéder au remplissage du bassin, de
repiquer un peu partout des plantes aquatiques, arrachées dans les marais
avoisinants, notamment des lobélias, des myrophyllums, des potamogétons,
des callitriches, toutes plantes pouvant également servir à la
nourriture des alevins. En bordure, nous repiquâmes des potamots, des berles,
des macres et des véroniques devant attirer les insectes et les
mollusques (chironomes, éphémères, phryganes, crevettes,
cyclopes, daphnies, mulettes, planorbes, etc.) dont
les poissons sont friands.
Peuplement et reproduction.
— Les travaux effectués à l’arrière-saison, avant la
période des hautes eaux, le bassin fut rempli aussitôt, mais l’immersion des
reproducteurs n’eut lieu qu’au printemps, avant le frai.
Le premier peuplement ne comporta que quatre pièces de
cyprins, deux mâles et deux femelles de chaque sorte, choisies parmi celles qui
paraissaient le mieux adaptées à la rivière l’Ouanne, savoir : 4 chevesnes,
4 gardons, 4 vandoises et 4 brèmes.
Les femelles de ces cyprins pouvant pondre 50.000 œufs et
plus, la multiplication se fit au delà de nos espérances. Au bout de dix-huit
mois, sans nous être donné la peine de retirer les reproducteurs, qui sont des
gobeurs d’alevins, sans distinction d’origine, la pêcherie fut trouvée
grouillante de petits poissons : les plus gros, âgés de 16 mois,
pesaient entre 30 et 40 grammes, alors que ceux de la dernière promotion
avaient depuis quelque temps déjà résorbé leur vésicule ombilicale.
Pour bien faire, il aurait seulement fallu s’emparer des
gros alevins de 16 mois, et laisser les autres encore un an dans le bassin
d’alevinage, afin qu’ils soient moins vulnérables. La capture faite à la petite
épuisette fut à peu près complète ; les alevins, sans distinction d’âge,
furent transportés, avec des seaux ou des arrosoirs, dans les coupons de
rivière dépeuplés, en choisissant les endroits les plus tranquilles où l’eau
était aussi peu courante que possible.
Dans l’impossibilité de faire du dénombrement, nous avons
estimé qu’il n’avait pas été déversé, lors de notre premier essai, moins de
200.000 alevins, tant petits que gros.
Vu que la même opération peut être répétée tous les deux
ans, et qu’il est possible d’obtenir des alevins plus forts et plus nombreux,
en retirant les reproducteurs après chaque frai, et en faisant des
distributions d’aliments, on comprend l’importance des repeuplements, surtout
si, sur le même affluent, plusieurs sociétés créaient un bassin d’alevinage.
Comme nourriture complémentaire à distribuer, on peut
recourir aux sons et remoulages, aux fumiers de porcs et de chevaux, aux
déchets de cuisine et de jardin, aux fruits avariés ; en ajoutant un peu
de sang cuit. Comme ennemis des alevins, que l’on s’efforcera d’extirper des
bassins d’alevinage, parce qu’ils s’attaquent aux œufs, il faut citer les ditiques
et les vérons.
J-B. NICOLAS.
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