Anvers-Bruxelles, 45 kilomètres, 2 août.
— Levés de bon matin, le change fait, nous allons
consacrer notre matinée à la visite de la ville. Rien ne nous paraît plus
reposant qu’une visite au célèbre Zoo. Situé en pleine ville, il réunit presque
toutes les espèces de la faune du globe. De réalisation déjà ancienne, il
présente les animaux en cages dont certaines sont immenses, telle celle des
lions. Mais Anvers est surtout une ville d’art et un centre commercial de
premier ordre. Dans son livre L’Empreinte du Dieu, M. van der Meersch
a magnifiquement dépeint le double caractère de cette ville. La vaste rue de
Keyser, qui mène de la gare à l’Escaut, est bordée de magnifiques magasins, et
même un insolite gratte-ciel d’une vingtaine d’étages s’est construit par là.
La cathédrale, fière de sa haute tour et des célèbres toiles de Rubens qu’elle
possède, est à quelques pas de l’ancien hôtel de ville et domine de sa masse
imposante les quais de l’Escaut où viennent accoster les paquebots. De ce quai,
où une promenade a été construite en terrasse sur les magasins du port, la vue
est vraiment belle sur le fleuve qui, vers le Nord, donne accès aux nombreux
bassins du grand port. Un tunnel, de construction récente, permet l’accès de
l’autre rive ; pour mieux dire, il existe deux tunnels : l’un pour
voitures, l’autre pour piétons. Par curiosité, nous allons voir ce
dernier : il ne nous en coûte aucune fatigue ; par paliers
successifs, des escaliers roulants nous y mènent. Toutes les parois sont
revêtues de carreaux de céramique blanche et l’éclairage est parfait. Ne
désirant pas aller sur la rive opposée, nous nous laissons remonter par
l’escalier roulant et avec quel plaisir ! nos genoux sont ankylosés depuis
tant de jours que nous pédalons. De retour vers le centre, nous jetons un
rapide coup d’œil à la Bourse, d’architecture quelque peu arabe, à l’église
Saint-Jacques et au théâtre situé en bordure de magnifiques et larges avenues
ombragées.
La route de Bruxelles est excellente et déjà le terrain est
légèrement ondulé. De petites côtes se présentent et de bien timides descentes
nous permettent d’essayer la roue libre : il y a longtemps que nous avons
été à pareille fête ! Les cultures de céréales et de betteraves sont
abondantes, le sol est riche et surtout bien cultivé, mais les maisons de
brique n’ont plus la coquetterie hollandaise. La haute tour, sans flèche, de la
cathédrale de Malines apparaît bientôt. Cette tour possède le plus célèbre
carillon du monde et porte sur chacune de ses faces un cadran de 41 mètres de circonférence :
ce doit être un record du monde dans le genre. Bruxelles n’est plus qu’à 21
kilomètres, et la route de ciment longe la voie ferrée que sillonnent de
rapides trains électriques. Après maints détours, nous voici dans la capitale
belge près de la gare du Nord. Alors que nous pouvons espérer retrouver notre
langue, un garçon d’hôtel nous interpelle en hollandais, s’excusant d’ailleurs
de nous avoir pris pour des « fromages ».
La fâcheuse impression de l’arrivée ne dure pas ; la
femme de chambre de l’hôtel où nous descendons parle le français comme une
Parisienne et avec quelle volubilité !
C’est la troisième fois que je vois Bruxelles et je retrouve
avec satisfaction sa cordialité hospitalière et son air bon enfant qui en font
le charme. Le temps est beau, pas de fatigue, et Bruxelles, c’est déjà un peu
la France pour des oreilles habituées depuis quelques jours à un langage
étranger ; aussi l’optimisme règne parmi notre petit groupe. De la gare du
Nord à la place Brouckère, le boulevard est toujours aussi animé. En parfaits
connaisseurs, nous voici devant l’hôtel des postes où Pierre fait achat de
timbres de collection, puis c’est le théâtre royal de la Monnaie, et enfin nous
débouchons sur la Grand’Place célèbre à juste titre par la beauté des monuments
qui l’encadrent : c’est d’abord l’hôtel de ville surmonté de son haut
campanile et, lui faisant face, la Maison du Roi avec ses galeries à colonnes
et ses deux étages de fenêtres à meneaux de pierre et, sur les autres côtés,
les anciennes maisons, dites des Corporations, dont les façades diversement
décorées s’harmonisent arec les autres monuments. Ici bat le cœur de la vieille
ville, et aucune construction moderne ne vient troubler cet heureux ensemble.
De là on gagne par de petites rues le célèbre Manneken-pis que nul touriste de
passage ici ne manque de venir voir. Par une rue à forte déclivité, nous
montons pour atteindre la large perspective qui s’ouvre sur le Palais de
Justice, construction babylonienne surmontée d’un dôme et qui domine toute la
ville de son énorme masse. Musées, sièges des ministères et enfin le Palais
royal, sobre construction aux lignes pures qui étale sa façade sur un joli
parc, tout se trouve sur cette hauteur. À mi-pente, un jardin en terrasses
successives offre un admirable panorama sur toute la ville basse éclairée en
oblique par cette fin d’après-midi et baignée dans une brume légère et
transparente. Et nous redescendons pour retrouver le centre bruyant, laissant
derrière nous la cathédrale Sainte-Gudule qui dresse ses deux tours carrées.
Nous empruntons maintenant la pittoresque rue Neuve, débordante d’activité,
lieu de prédilection de nombreuses salles de spectacles et qui communique avec
le boulevard Max par des passages couverts bordés de somptueux magasins.
Après un excellent repas, nous ne pouvons résister au
plaisir de flâner par cette douce soirée. Tentés par les brillants étalages des
magasins de tabac, nous allumons un respectable cigare ; ma foi, tant pis
pour le souffle, nous sommes au pays du tabac à bon compte ! Les terrasses
de café sont accueillantes : nous dégustons le café servi avec
l’inséparable petit pot de crème et un petit-beurre, le tout accompagné d’un
retentissant « s’il vous plaît ! » du garçon.
Bruxelles Cambrai, 120 kilomètres, 3 août.
— Cette étape, qui doit nous ramener en France, s’opère
comme une épreuve pleine d’embûches. Nous allons parcourir la région minière du
Borinage, puis emprunter les célèbres routes du Nord. À huit heures, Bruxelles
est peu animé et la brume basse qui assombrit le ciel, loin d’être inquiétante,
présage une belle et chaude journée. La sortie par le faubourg d’Anderlecht est
encombrée de voitures et camions qui reviennent des Halles et, avec cela, la
chaussée le plus souvent pavée jusqu’à Hal.
Ensuite la campagne réparait et le relief du sol se
manifeste de façon visible. De sérieux raidillons se présentent et, pour la première
fois depuis bien des jours, nous utilisons le dérailleur ; fort heureusement
le pavé cède la place à la piste de ciment plus roulante. Braine-le-Comte,
Soignies nous offrent l’aspect de petites bourgades propres et accueillantes. Puis,
signalée par un ciel sombre de fumées, Mons, la capitale du Borinage, nous
apparaît, et nous y faisons une entrée fertile en émotions. À toutes pédales,
une jeune cycliste veut nous doubler, elle dérape et vélo et occupante
descendent du trottoir en de multiples cabrioles, pendant que de son côté
Raymond, freinant brusquement, engage sa roue avant dans un caniveau :
avec un ralenti impressionnant la machine se soulève, et la tête la première
Raymond plonge par-dessus le guidon. De part et d’autre, aucune égratignure à
déplorer, pas le moindre dégât matériel : c’est une chance, mais nous
avons eu chaud ! Un repas frugal, mais copieux, nous remet d’aplomb. Le
beffroi de Mons est surmonté de curieux petits dômes en ognons qui font songer
aux clochers des Balkans et l’énorme Collégiale Saint-Waudru présente un aspect
bien inattendu avec son minuscule clocher en pointe, nullement en rapport avec
l’importance de l’édifice qu’il surmonte.
(À suivre.)
A. BIHOREL.
1) Voir nos 583 et suivants.
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