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Lettres de ma plate-bande

Melons précoces et succulents.

Plaintes et doléances.

— Des interlignes, aux Lettres de ma plate-bande, j’extrais, à propos des melons, des appréciations poivre et sel, peu élogieuses. En voici deux qui méritent d’être signalées et discutées :

    « 1° Les melons que j’obtiens ont une vague odeur de citrouille, mais ils manquent de saveur et de parfum » ;

    « 2° Mes melons mûrissent toujours trop tard, en septembre, à l’époque où les autres fruits abondent : ils sont loin d’être appréciés comme s’ils venaient en juin, juillet et août ... »

Une mise au point.

— Les lignes ci-dessus résument admirablement les soucis des amateurs de melons, souvent déçus dans leurs prévisions, ayant à se plaindre des mérites gustatifs de la cucurbitacée capricieuse, celle qui fit perdre au duc de Mayenne la fameuse bataille d’Ivry. Cela vaut bien un petit bout d’article. Car, à quoi bon couver de soins assidus, pendant quatre à cinq mois, une plante frileuse et délicate, comme le melon, si c’est pour en obtenir des fruits insipides, manquant d’arôme, dans le genre du concombre.

En l’occurrence, on commencera d’abord par choisir un melon de race délectable, à la chair fine, juteuse et savoureuse, comme goût et saveur, à l’exclusion des variétés communes ou dégénérées, manquant de bouquet. Si l’on produit pour le marché, on donnera la préférence aux melons les plus demandés sur la place, ou qui ont la meilleure cote. Pour sa propre consommation, on s’inspirera de ses préférences personnelles, en choisissant, parmi les plus réputés des cantaloups, les cavaillons à chair rouge, les prescotts, ou encore les kroumirs (cantaloup obus).

Cela n’est pas suffisant : on devra toujours sélectionner les variétés que l’on cultive, en prenant sa graine, exclusivement, aux melons de l’espèce la plus régulière comme forme, les mieux développés, les plus savoureux et les plus précoces. Il est donc recommandé à l’amateur, aussi bien qu’au professionnel, de produire eux-mêmes la graine qu’ils sèmeront, en en se rappelant que celle-ci a un pouvoir germinatif d’au moins cinq ans, lorsqu’elle a été conservée et récoltée dans de bonnes conditions.

Production hâtée.

— Sachant que les melons tardifs, ceux venus à une époque où le soleil ne brille plus qu’au ralenti, ne sont plus guère estimés, parce qu’ils manquent généralement de saveur, on s’efforcera toujours de les faire venir en bonne saison, en commençant le plus tôt possible. Pour bien faire, on devrait s’efforcer d’avoir des melons bons à manger en mai, ou tout au moins en juin, et d’échelonner la production en juillet-août.

Bien entendu, la production hâtée ne peut être obtenue, du moins dans la région moyenne de la France, sans le concours soutenu des couches chaudes. Pour la pleine saison, on peut se contenter d’élever les plants sous châssis, et de les repiquer en pleine terre, mais en prévoyant des abris par mesure de prudence.

Les melons de primeur (mai) sont fournis par les semis de janvier, ceux qui mûrissent en juin proviennent des semis de février-mars. En principe, pour ces semis précoces, il faut des variétés précoces Prescott hâtif ou Noir des Carmes.

Le semis se fera de préférence dans des godets de 8 centimètres de diamètre, que l’on enfoncera dans le terreau d’une couche chauds, stabilisée entre 25° et 30°, température la plus favorable pour la germination. En mettant trois graines en triangle dans chaque pot, les cotylédons (fig. 1 ) ne tardent pas à se montrer ; on conserve alors le pied le plus vigoureux et l’on arrache les deux autres.

Le plant étant garanti des froids diurnes par d’épais paillassons, aéré quand le temps le permet, et arrosé modérément suivant l’état du terreau, on voit se développer successivement (fig. 2) deux premières feuilles alternes, munies d’un bourgeon à la base, puis deux autres feuilles et une cinquième en formation. Le moment est venu de monter la nouvelle couche, dans laquelle on repiquera le plant, après avoir procédé à son étêtage.

Étêtage et repiquage.

— Lorsque les melons en godet ont l’aspect de la figure 2, on tranche la tige principale, à l’aide d’un canif, en ayant soin de saupoudrer sur la plaie un peu de poussière sèche, pour arrêter l’épanchement séveux. Cette première taille, appelée étêtage, a pour objet d’activer le développement des bourgeons axillaires situés à la base des deux feuilles conservées. À la suite de cette opération, on voit apparaître les deux bras secondaires. (fig. 3), qui continuent à s’allonger, en donnant naissance à de nouvelles générations de feuilles alternes. L’étêtage fait gagner un mois au moins sur l’époque de la formation des fleurs femelles, qui n’apparaissent jamais que sur les rameaux secondaires.

Lorsque les plants ont été étêtés, on attend encore quelques jours, puis on les repique dans les couches chaudes de production, le coup de feu passé, celles-ci ayant été chargées d’un mélange de terre de jardin et de terreau de couche. Suivant la compacité de la terre, on mettra moitié moitié, ou seulement un tiers de terreau.

Les melons sont dépotés avec précaution, après un fort mouillage qui empêche le terreau de s’effriter, en mettant les racines à nu. On les répartit au milieu de la couche, à raison de deux par châssis maraîcher, mesurant lm,30 sur 1m,30. C’est un peu après le repiquage que l’on voit se développer les deux bras, sur lesquels naîtront les rameaux fructifères. Les deux bras doivent être dirigés à l’opposé, suivant une direction perpendiculaire aux deux rives longitudinales du coffre.

Deuxième et troisième tailles.

— Lorsque les bras ont développé cinq ou six feuilles (fig. 3), on les taille, suivant leur vigueur, au-dessus de la troisième ou de la quatrième feuille. On verra naître ensuite, à l’embase de chaque feuille, les rameaux secondaires capables de fructifier, et qui s’allongeront de plus en plus (fig. 4). Ces rameaux seront dirigés de chaque côté des bras, à droite et à gauche, en évitant qu’ils ne se croisent, afin que l’on puisse s’y reconnaître, et éviter toute confusion lorsqu’on pratiquera la troisième et dernière taille. Cette taille se fera à un centimètre environ au-dessus de la troisième feuille (fig. 4), puis l’on s’en tiendra là, en surveillant la nouaison des premières fleurs femelles.

Par temps froid, en mars-avril, lorsque les insectes butineurs ne sortent pas, les fleurs femelles avortent souvent, le transport du pollen ne se faisant pas. On obvie à cet inconvénient en pratiquant la fécondation artificielle, à l’aide d’un plumeau que l’on passe indistinctement sur les fleurs mâles et les fleurs femelles. Un procédé plus efficace encore consiste à installer une ou deux ruches au jardin. Les abeilles se chargeront d’assurer la fécondation des melons, en récoltant miel et pollen en tout temps.

Façons culturales.

— Aussitôt que les fruits sont noués, et qu’ils ont la taille d’une grosse noix, on en adopte deux, un sur chaque bras ; l’un des deux étant toujours plus avancé que l’autre, il pourra être cueilli quelques jours plus tôt. On supprimera, ensuite toutes les branches encombrantes, qui se développent de-ci de-là, sans toutefois être trop radical, car, si l’on ne doit pas laisser la sève dévier de son objet, qui est le grossissement des fruits, on ne doit pas perdre de vue que les feuilles élaborent du sucre et bonifient la pulpe. Il ne faut donc pas trop « sevrer » les melons.

Les soins consistent en arrosages modérés, donnés avec à-propos, toujours à l’eau douce, ou au moins dégourdie. Il n’y a rien de plus préjudiciable qu’une aspersion d’eau froide, sur un pied de melon chauffé par le soleil. Cela le réfrigère à la glace, conséquence de l’intense évaporation qui en résulte. C’est pour cela qu’il est instamment recommandé d’exposer au soleil l’eau des arrosages, ou de l’entreposer longtemps à l’avance dans un endroit tempéré.

Quant à l’aération, sans être trop poussée, elle devra, néanmoins, être suffisante : il suffira de soulever le châssis du côté opposé à la direction du vent. Ne pas omettre, pendant les nuits froides, de jeter sur les châssis des paillassons protecteurs épais.

Grâce à ces mesures conjuguées, l’amateur pourra récolter, au plus tard en juin, ces melons de première saison qui seront appréciés. Pour la production de juillet-août, on élèvera le plant de la même manière, mais le repiquage pourra se faire en tranchées, les châssis étant remplacés par des cloches, ou laissés en plein air, lorsque la température est suffisamment adoucie.

Adonis LÉGUME.

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 157