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Assolements de guerre et plantes sarclées

Le rôle des plantes sarclées est bien défini, leur titre même constitue tout un programme : le sarclage de la terre, expression générique, est synonyme de soins d’entretien pendant le cours de la végétation. Immédiatement, apparaît le caractère plus particulier de ces cultures, si l’on envisage l’exécution du sarclage, et ce serait s’abuser que de parler de sarclage sans en envisager les moyens.

L’état de guerre dans lequel est placé le pays se dessine ici sous un jour impressionnant : la main-d’œuvre est insuffisante pour que l’on puisse entretenir convenablement les cultures disposées à intervalles convenables en vue du passage des houes. Sans doute, il existe le binage à la main et le binage mécanique, mais il est rare que l’on puisse uniquement travailler mécaniquement : qu’il s’agisse de betteraves, de pommes de terre, de haricots ou de mais, il faut toujours qu’à un moment donné un fer léger ou lourd se glisse entre les plantes et atteigne — sur le rang ou au pied même de la plante cultivée — la mauvaise herbe qui se croit à l’abri.

Il est vrai qu’en terres de long entretien bien fait, le passage de la binette peut être supprimé ; j’ai le souvenir, à la ferme extérieure de Grignon, d’une culture de pommes de terre venant cependant après céréales, mais dans une pièce dont l’état était si poussé qu’il fut inutile de biner à la main. C’est rare, et l’on ne peut se baser sur une exception de ce genre. En effet, sur la même ferme, deux ou trois ans après, le tour des pommes de terre les plaçait sur une terre de la périphérie, par conséquent moins bien traitée dans les temps anciens ; à un moment donné, le printemps humide aidant, on se trouva devant une invasion de sanves qui coûta cher à faire disparaître.

En agriculture, il faut compter beaucoup plus sur les situations extrêmes que sur les situations moyennes qui ne se présentent qu’accidentellement ; il est donc sage de songer aux possibilités de binages avant d’établir la proportion des plantes sarclées. De sorte que, si l’on était enclin tant soit peu au pessimisme, on trouverait infiniment plus simple de laisser la terre en jachère, même au prix de la réduction du produit brut de la ferme, mais simplement par tranquillité d’esprit ou par lassitude ou par crainte.

Répétons-le toujours : il convient de se placer en face des réalités ; chacun fait ce qu’il peut ; si on ne le contraint pas outre mesure, s’il comprend nettement le but à poursuivre, si enfin son effort est récompensé ou encouragé, il donnera le maximum. Espérons donc que tous ces facteurs de réussite seront honnêtement en jeu pour que le résultat soit conforme aux espérances du pays.

Elles sont grandes, les espérances du pays ; elles grandissent chaque jour, car à l’effort prolongé pourra correspondre un résultat plus complet ; alors, apparaissent les exigences de la situation. Il faut de l’alcool, il faut du sucre, il faut des pommes de terre, il faut des haricots, il faut également assurer une base alimentaire suffisante à l’alimentation des animaux, car, après les gros prélèvements en cours ou en perspective, la reconstitution du cheptel doit constituer un souci du temps de guerre.

Au cours de l’autre guerre, le sucre manqua ; les bateaux l’amenèrent, mais l’or sortit en compensation, et la canne à sucre de remplacement bouleversa l’économie betteravière jusqu’aux accords provoquant le contingentement. Les légumes secs firent défaut ; de divers points du globe, il en arriva, là encore contre de l’or ; la propagande en faveur de ces cultures de haricots, de pois, de lentilles, commençait seulement à porter quelques fruits au printemps 1939.

Dans ces conditions, on est amené à rechercher des combinaisons pour rendre la tâche plus facile. Ainsi, au lieu de semer les betteraves à sucre à 40 centimètres, on peut écarter de 5 centimètres supplémentaires ; je sais que les semoirs construits pour un écartement donné ne s’adaptent pas très bien à ce changement ; théoriquement, à la ferme, la clef en main, c’est possible ; mais, dans les champs, on réalisera moins aisément cette marche parfaite qui ne permet pas de distinguer les trains voisins ; les houes ne seront plus au point. On perdra des pieds à l’hectare ; c’est un peu fâcheux lorsqu’on sait que notre production n’est pas parfaite à ce point de vue. Pour compenser, il faudrait laisser plus serré sur les lignes, solution à étudier à cause des difficultés d’exécution.

Le champ est plus large pour la betterave fourragère ; abandonnons passagèrement nos vues sur l’utilité de rapprocher pour avoir des racines mieux constituées ; on passe de 50 à 60 et la houe circule mieux ; la binette a plus d’aisance. Le même raisonnement peut être tenu pour toutes les cultures sarclées.

Ou bien, on adopte une autre attitude, on ne change rien aux habitudes, mais on proportionne la surface aux possibilités. C’est un glissement en réduction, la solution se défend ; et le terrain non consacré aux cultures sarclées sera mis en céréales, laissé en jachère pour ne pas contrarier la part du blé l’année prochaine. Au fond, c’est peut-être plus logique. On fait bien, très bien en petit, au lieu de faire assez bien ou mal en grand. Rien n’est modifié dans les procédés habituels, et l’on concentre l’effort au lieu de le disperser.

Pour les pommes de terre, on peut parfois opérer autrement ; si les dimensions du champ le permettent, on dispose la plantation aux intersections de lignes se croisant et tracées à l’avance ; ainsi la houe marche dans deux sens perpendiculaires ou obliques et, au dernier passage seulement, le buttoir reformera des lignes parallèles en vue de l’arrachage. Si l’on plante plus écarté, on économisera de la semence qui va coûter cher ce printemps ; on aura des tubercules plus gros à la récolte et d’une valeur marchande plus grande, le ramassage sera plus facile : bon point si l’on arrache mécaniquement, ou même à la main.

Rechercher le dispositif en quinconce pour le haricot. En un mot, s’ingénier à faciliter l’exécution des travaux avec deux objectifs, obtenir une abondante récolte bien propre et préparer la terre pour le blé de l’automne 1940.

En vue de l’entretien des cultures sarclées, user au besoin des moyens chimiques, mais modérément : sels de cuivre en pulvérisation sur les champs de betteraves envahis par les sanves ; user de la herse dans les pièces de pommes de terre. Encore un moyen préventif à utiliser : dès que la terre le permettra, façonner le terrain, chercher à faire germer des graines de plantes adventices que l’on détruira avec la herse, le cultivateur ou même le polysoc avant de semer ou de planter.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole, Professeur à Grignon.

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 162