(Maison aux canards).
Une visite inénarrable.
— Il y a bien une dizaine d’années, par une belle
matinée d’automne, alors que j’effectuais le grand nettoyage de mes clapiers,
je vis tout à coup devant moi un couple de visiteurs disparates, à lunettes rondes
en écaille, qui me parurent être des étrangers. Lui : grand, mince, la
figure à lame de couteau, avec un teint couleur cuir de Cordoue. Elle :
courte, boulotte, épanouie, rose comme une tomate Mikado.
Mes interlocuteurs n’étant guère plus ferrés en français que
je ne l’étais en anglais, nous finîmes par nous comprendre en employant la
langue de Calderon, J’appris alors que mes touristes étaient des Américains du
Sud, de l’État de Petulana et qu’ils venaient me demander l’autorisation de
visiter mon élevage de canards, pour y prendre des notes et des photographies.
À cette époque tardive, je ne possédais plus qu’une
demi-douzaine de canes Coureur, conservées intentionnellement pour la
ponte d’hiver, lesquelles étaient d’ailleurs parties en vadrouille dans une
quelconque rigole. Je ne pouvais leur faire voir que leur logement, une modeste
hutte en clayonnage, enduite de pourget, mélange pétri de glaise et de
bouse de vache. Mon élevage habituel était non moins modeste, puisqu’il avait
pour objet de produire quelques canetons assez étoffés, en donnant à mes canes
un mâle Pékin ou de Rouen.
Sur mon air surpris, mes interlocuteurs me remémorèrent mes
écrits, et notamment une petite brochure de trente-deux pages, que j’avais
publiée jadis sur les canards, concernant l’élevage familial ; cependant,
mes explications ne les avaient pas convaincus, parce que, en Amérique, on sait
mieux s’adapter aux exploitations avicoles pour en tirer profit. J’appris alors
qu’il y avait des élevages où l’on produisait mensuellement 12.000 à 15.000
canetons et que, partout ailleurs, on ne se limitait pas aux besoins de la
consommation personnelle.
Les usines à canards.
— Devant mon étonnement, nuancé de scepticisme, mes
visiteurs se mirent en devoir de me fournir des explications adéquates,
accompagnées de vues photographiques, et d’une documentation aussi technique
que convaincante. D’abord, la dame m’apprit être venue au monde dans une
« canarderie » colossale, située près de la côte, et présentement
exploitée par un de ses frères. Pour l’édification de mes lecteurs, je condense
de mon mieux les enseignements de mes hôtes de passage, sur la
« fabrication » des canards en grande série.
Comment, dis-je, expliquez-vous que l’on puisse produire
10.000 canetons et plus par mois, sans anicroches ? Cela représente un
effectif global de 20.000 sujets, puisque la mise au point de chacun d’eux
exige au moins deux mois. Où trouvez-vous les œufs nécessaires au chargement
alternatif de vos mammouths, à la cadence de 3.000 par semaine, et comment
évitez-vous la mortalité qui est l’apanage des grandes agglomérations ?
Tout dépend du logement.
— En Amérique, reprit mon aimable visiteuse, où l’on
fait tout en grand, il y a longtemps que l’on s’est affranchi des préjugés
avicoles ; aussi l’ère des tâtonnements est-elle maintenant dépassée, car
tous les éleveurs savent que les canetons, de même que les poulets, ne peuvent
vivre et prospérer s’ils manquent de confort.
Il est absolument nécessaire d’observer les prescriptions
prophylactiques, et de changer les pensionnaires de place tous les deux jours,
après un nettoyage à fond des locaux et une pulvérisation antiseptique, si l’on
veut éviter toutes les causes d’infection. Vouloir faire autrement, c’est
courir au-devant d’un insuccès certain ; qu’il s’agisse d’élever
simultanément 10, 100, 1.000 canetons ou plus, les mesures à prendre restent
les mêmes. Ils attraperont toujours la coccidiose, ou d’autres affections
morbides, si on les néglige.
On doit, en outre, tenir compte que, en prenant de l’âge, les
pensionnaires exigent plus d’espace. Les parcs devront donc être de plus en
plus spacieux, sans oublier qu’il faut aux jeunes davantage de chaleur, pas
moins de 25 degrés, alors que la température de 15 degrés n’a plus de risques
pour eux vers la fin du deuxième mois.
Quant à la production des œufs à couver, elle est assurée
par les fermes spécialisées du côté de la ponte et où l’on soigne les canes
pondeuses en conséquence.
Un « topo » explicatif.
— Regardez le plan ci-dessous, constitué par quatre cercles
concentriques, de rayon variable suivant le débit de votre usine à canards.
Supposons 2 mètres, 3 mètres, 6 mètres
et 12 mètres, comme rayons respectifs, en admettant un peuplement de 100
canetons tous les deux jours, soit 2.900 en tout.
Vous comprenez que le rond-point du milieu A, auquel on
accède par une allée de service E, ait vue sur la totalité des parcs, et
qu’il soit réservé à la confection de la pâtée homogène, devant être distribuée
à raison de cinq ou six repas par jour, dans des augettes de dimensions
variables, tenues dans le plus parfait état de propreté.
La partie couverte, représentée ombrée, est l’éleveuse
proprement dite, parcourue par un courant d’eau chaude ou de vapeur, ayant son
arrivée en 1, avec retour à la chaudière en 29, de sorte que chaque
compartiment est de plus en plus tempéré, à mesure que les canetons avancent en
âge et qu’ils ont moins besoin de chaleur.
Du cercle central, ayant vue sur tous les parquets, on peut
exercer une surveillance continue. Tous les petits parcs intérieurs, d’une
superficie de plus en plus grande, sont séparés par des grillages peu élevés,
mesurant 30 à 40 centimètres de hauteur seulement, de manière que l’on puisse
les enjamber avec facilité. Il en est de même des parcs extérieurs P, P’ ;
mais ces derniers sont fermés, suivant R, S, par une clôture grillagée
défensive, de 1m,70 de hauteur.
Conduite de la canardière.
— Un examen attentif du plan fait comprendre la marche
à suivre pour le chargement et les mutations de canetons, qui viennent peupler
successivement chacun des parquets 1, 2, 3 ... jusqu’à 29.
Tous les deux jours, il faut libérer le compartiment n° 1,
afin de pouvoir y mettre les 50, 100, 150 ... jeunes canetons, éclos dans
une couveuse alternative, tous les deux jours également, ou dans des couveuses
séparées, lorsque les petits sont ressuyés.
Supposons que tous les parquets soient peuplés. La veille de
l’éclosion, on livrera à la consommation les canetons du parc 29, qui sont âgés
de 60 jours, et pèsent environ 2 kilogrammes. Aussitôt libéré, ce
parc est nettoyé à fond, puis on y pulvérise une solution désinfectante,
crésylée ou javellisée, à 2 p. 100. On y épand ensuite une litière sèche,
paille hachée, bales de céréales, sable sec, tourbe, sciure de bois, etc.
Cela fait, on y fait passer les pensionnaires du parc 28,
lequel est nettoyé, désinfecté et lité à son tour, pour recevoir les canetons no 27,
et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’on ait libéré le premier compartiment. Tous
les deux jours, on effectue la même manœuvre, toujours dans le même ordre.
Ces soins de propreté et les mutations étant effectués
ponctuellement, les risques d’infection et d’infestation par voie
excrémentielle sont à peu près nuls, surtout si l’on a la précaution de
retirer, pour les mettre dans une infirmerie, les canetons qui auraient l’air
de clocher. Si les œufs mis en incubation sont de bonne souche, et s’ils sont
bien embryonnés, on est à peu près certain qu’il sortira presque autant de
canetons au point que l’on en aura mis dans le Brooder-House au sortir
de l’œuf.
La question nourriture.
— En Amérique, poursuit mon aimable interlocutrice, on
ne cherche pas seulement à réduire la mortalité ; on s’efforce en outre de
combiner un rationnement aussi profitable et aussi économique que possible.
Pour cela, on associe les aliments les plus divers, après
avoir étudié la valeur nutritive de chacun d’eux, puis l’on divise et l’on
pétrit le tout, dans des moulins et des mélangeurs, de façon à obtenir une
pâtée intime, dont tous les éléments sont associés et humidifiés, de manière à
faciliter la préhension et la déglutition. L’humidification s’obtient avec du
lait écrémé, du babeurre, du sérum ou, à défaut, avec de l’eau ; mais le
laitage fournit une pâtée bien plus nourrissante et mieux appétée des canetons.
Il faut que la ration contienne toutes les substances
nécessaires à la constitution des tissus osseux, viandeux, graisseux et
plumeux, en proportion convenable, tout en observant une juste proportion entre
la protéine, les hydrates de carbone, les substances minérales
et les principes vitaminés. Dans tous les cas, on s’efforce de réaliser
une relation nutritive aussi voisine que possible de 1/4, ce qui représente 1 partie
de matières azotées pour 4 parties de matières hydrocarbonées et grasses.
Une bonne pâtée passe-partout, pour les canetons âgés de
trois semaines à deux mois, peut être constituée ainsi qu’il suit :
Farine d’orge |
20 |
kilogrammes. |
Farine de maïs |
15 |
— |
Petit son ou remoulage |
12 |
— |
Tourteau de soya |
10 |
— |
Lait écrémé frais |
30 |
— |
Verdures finement hachées |
10 |
— |
Stimulants minéraux |
3 |
— |
Total |
——— 100 |
kilogrammes. |
À défaut de lait écrémé, on emploie 2 kilogrammes de
farine de viande et autant de farine de poisson ou, s’il s’agit de tout jeunes
canetons, âgés de moins de trois semaines, on met à la place la même quantité
de poudre de lait écrémé ou de babeurre. Enfin, si les verdures vitaminées
manquent, on incorpore dans la pâtée, par 100 kilogrammes, un litre d’huile de
foie de morue.
Pour relation conforme :
Mondiage D’ARCHES.
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