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Les fermes laitières

Perplexités.

— Y a-t-il un cultivateur, petit, moyen ou gros, fermier ou propriétaire exploitant, auquel ne soit venu en l’esprit l’inquiétant problème des orientations culturales, ayant pour objet de tracer les directives les plus avantageuses, soit que l’on se spécialise dans la production des céréales, ou dans celle des plantes sarclées, industrielles et légumières, en se demandant s’il ne vaudrait pas mieux s’adonner à la culture herbagère, qui permettrait d’augmenter le cheptel bétail ? On peut, en outre, se demander si la production de la viande, qu’il s’agisse de bœuf, de mouton, de porc, etc., sera aussi avantageuse et laissera autant de bénéfices qu’une orientation strictement laitière, ayant pour objet la production intensive du lait.

Le problème est extrêmement complexe. En effet, après avoir supputé les rendements probables que l’on peut obtenir avec le froment et les céréales secondaires, ainsi que ceux à espérer des plantes industrielles (pommes de terre de féculerie, betteraves à sucre, etc.,) en défalquant le coût de la main-d’œuvre et les frais généraux, on calculera s’il ne serait pas préférable de réduire l’étendue de ces cultures au profit de la production fourragère. Si oui, on augmentera la sole des prairies naturelles, artificielles et des pâturages, en y ajoutant des cultures fourragères (betteraves, choux, navets, etc.), permettant de nourrir le bétail sans être obligé d’acheter des denrées de complément.

Supposons que l’on décide de créer, non pas une vacherie de nourrisseur, qui exige le renouvellement des laitières avant leur tarissement, mais une vacherie destinée à la production simultanée du lait et des veaux de boucherie ou d’élevage, il reste à déterminer ce que l’on fera de son lait, c’est-à-dire si on le vendra en nature, ou si on le transformera en beurre et en fromage.

Chacune de ces trois affectations a ses avantages, mais aussi ses inconvénients. Comme elles sont plus ou moins rémunératrices, suivant la situation de la ferme, la clientèle et les débouchés, la marche à suivre ne peut être déterminée qu’après une étude très attentive des divers facteurs, et la tenue des marchés locaux.

Un examen rétrospectif s’impose.

— Avant de prendre une décision, on consultera les mercuriales de la région, afin de connaître les cours pratiqués sur les produits laitiers, tout au moins pendant la dernière année. Connaissant le prix moyen auquel on pourra vendre le lait en nature, soit directement à la clientèle, soit en passant par les intermédiaires, ramasseurs ou coopératives, on aura déjà un premier point de repère.

Bien entendu, ce mode de livraison est le plus expéditif, celui qui occasionne le moins de travail, puisque les manipulations ne vont pas plus loin que la traite et le mesurage ; mais il ne faut pas perdre de vue qu’il ne laisse pas le moindre résidu utilisable par le petit bétail, principalement pour les veaux, les porcelets et les volailles.

Avant de prendre une décision ferme, on comparera le revenu brut fourni par la vente du lait en nature avec celui que l’on obtiendrait en fabriquant du beurre ou du fromage de différente nature, à la crème, frais, affiné, à pâte molle, à pâte sèche, etc., en tenant compte des dépenses de main-d’œuvre et des frais généraux.

Le problème à résoudre est donc plus complexe qu’on ne se l’imagine et, pour le démontrer, comparons les diverses orientations laitières pouvant être envisagées suivant les cas :

Vente du lait en nature à la clientèle directe À 1 franc le litre.
Vente du lait en nature à une coopérative laitière À 75 centimes le litre.
Transformation du lait en beurre de table À 18 francs le kilogramme.
Transformation en camembert À 2 fr. 25 l’unité.
Transformation en munster À 800 francs les 100 kilos.
Transformation en comté À 1.000 francs les 100 kilos.

Les cours ci-dessus se rapprochent assez de ceux pratiqués pendant l’année 1939 ; ils sont donnés à titre d’exemple. Mais il y a des localités où le prix de la matière première, en l’occurrence le lait, a eu une valeur supérieure ou inférieure au prix de 1 franc et 75 centimes, en admettant que le minimum payé comporte comme ristourne la cession gratuite du lait écrémé au producteur.

Dans le cas où les prix payés seraient inférieurs aux chiffres ci-dessus, on envisagerait sans hésitation une autre affectation plus rémunératrice, en fabriquant du beurre ou du fromage.

Les calculs de rendement.

— La vente du lait aux particuliers, sur le pied de 1 franc le litre, et la vente aux industriels à 75 centimes, peuvent être considérées comme à peu près équivalentes, si ces derniers rendent le lait écrémé. En effet, dans une exploitation agricole où l’on sait tirer parti de ce résidu, soit pour élever des veaux, avec le concours du manioc, soit pour combiner des rations pour porcelets et pour volailles, on peut donner au lait récupéré une valeur de 20 à 25 centimes. Il en est de même si on fabrique du beurre à la ferme. Dans un cas comme dans l’autre, il faut ajouter, au rapport du beurre, la valeur du lait écrémé.

Maintenant, pour savoir si l’on a intérêt à fabriquer son beurre soi-même, ou à passer par un syndicat ou une coopérative, on déterminera d’abord quel est le rendement quantitatif du lait que l’on produit, car celui-ci peut varier du simple au double, suivant la richesse du lait en matière grasse. S’il fallait, par exemple, 25 litres de lait pour obtenir un kilogramme de beurre, valant 18 francs, le litre de lait ressortirait à un peu plus de 71 centimes, tandis que le rapport brut dépasserait 81 centimes, s’il n’en fallait que 23 litres. On devrait y ajouter la valeur du lait écrémé et celle du babeurre récupérés, mais on retrancherait les dépenses de main-d’œuvre et les frais généraux.

On se tâterait alors le pouls pour savoir ce que l’on doit faire, s’il est plus avantageux de vendre en nature ou de fabriquer à ses risques et périls. Toutefois il va sans dire que les prix de misère offerts par les ramasseurs, dans certaines localités, ne seront jamais pris en considération : les producteurs ne doivent pas faire profiter les intermédiaires du plus clair de leur bénéfice.

Outre le beurre, il y a les fromages, et l’on ne manquera pas de se demander si l’une ou l’autre des spécialités fromagères ne serait pas plus rémunératrice que la beurrerie, notamment dans la catégorie des fromages frais (simples crèmes, doubles crèmes et triples crèmes), les deux derniers laissant comme résidu des quantités appréciables de lait écrémé, tandis que les fromages de lait entier, qu’ils soient frais ou passés, n’abandonnent que du sérum, lequel ne contient guère que de la lactose dans sa matière sèche. Aussi, ne peut-on pas lui attribuer, comme valeur alimentaire, plus de cinq centimes par litre, en l’employant au pétrissage des pâtées destinées à la nourriture des porcs et des volailles.

Comparaison entre les fromages.

— De toutes les spécialités laitières, celle qui rapporte le plus, et fait ressortir le litre de lait au maximum de rendement argent, c’est le petit suisse, ou toutes ses imitations en triple crème, dont la teneur en graisse, dans la matière sèche, ne doit pas être inférieure à 75 p. 100. Ces spécimens sont surtout recherchés pendant la saison chaude. En hiver, la vente tombe, parce que l’on préfère généralement les fromages affinés. Mais, s’il est vrai que le petit suisse puisse faire ressortir le litre de lait à 1 fr. 50, 1 fr. 75, 2 francs et plus, on ne se lancera dans cette fabrication que si l’on a des débouchés assurés, de manière à ne pas être obligé de livrer ses invendus au rabais, afin de ne pas les laisser perdre.

La comparaison se fera surtout entre les diverses spécialités de fromages affinés à pâte molle ou à pâte ferme, qui sont d’une consommation plus courante que les fromages frais. Si on considère, par exemple, le camembert, qui exige pour sa fabrication 2 litres environ de lait, et que son prix de vente moyen soit de 2 fr. 25, le litre de lait ressortira, brut, à 2 fr. 30, en y ajoutant la valeur du sérum ; mais il faut retrancher les frais de fabrication, qui sont assez élevés lorsque la main-d’œuvre n’est pas d’origine familiale.

D’autres fromages, tels que le Munster et le Comté, peuvent exiger pour leur fabrication, par kilogramme de pâte affinée, le premier 8 litres de lait et le deuxième 10 litres, parce que le rendement des pâtes cuites et pressées est toujours inférieur à celui des fromages à pâte molle. En admettant des prix de vente moyens de 8 francs et de 10 francs, les deux spécimens feront ressortir le prix du lait à peu près au même prix, c’est-à-dire à 1 franc ou 1 fr. 05, en ajoutant la valeur du sérum. En général, le litre de lait est payé un peu moins cher dans la fabrication des gros spécimens que dans celle des petits ; mais, comme ceux-ci exigent proportionnellement plus de main-d’œuvre, ceci compense cela, et le résultat reste à peu près le même. Cependant, il y a de nombreuses exceptions.

Récapitulation.

— Après avoir pesé le pour et le contre, et comparé le rendement argent des diverses spécialités, en tenant compte des avantages et des inconvénients respectifs de chaque mode d’écoulement, on prendra, après mûre réflexion, une décision ferme. Le lait sera vendu en nature, transformé en beurre ou en fromages, d’un type approprié à la région que l’on habite, à moins que l’on décide d’exporter ses produits, si l’on peut en obtenir un prix plus élevé ailleurs.

Sans imiter la girouette, il ne faut cependant pas persister dans une résolution, lorsque les résultats ne semblent plus assez rémunérateurs. C’est ainsi que l’on peut abandonner la vente en nature, le beurre et aussi le fromage, pour entreprendre des spécialités de meilleur rapport, par exemple, la production de la crème de table, celle des crémets d’Angers ou d’ailleurs, du mascarpone, de l’ice cream, et surtout celle des fromages triple crème.

Indiquons encore la fabrication du fromage bulgare (yaourt), une préparation thérapeutique jouissant présentement d’une grande vogue, et diverses boissons hygiéniques, à base de lait ou de sérum, telles que le koumys, le képhyr, le champagne, le cidre et le vinaigre de petit-lait. Ce sont des spécialités surtout à leur place comme annexes de beurreries et de fromageries industrielles.

C. ARNOULD.

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 168