Éclairage de guerre.
— Ces articles ne sont publiés que plusieurs semaines
après avoir été rédigés. Celui-ci sera peut-être devenu sans objet quand il
paraîtra : si la guerre était terminée ? Grand espoir ! Mais on
peut aussi envisager l’autre hypothèse : que nos cruels ennemis redoublent
d’activité aérienne, ce printemps. Les renseignements suivants pourront alors
être encore utiles aux lecteurs qui habitent les régions exposées.
Si, en temps normal, il n’y a que des avantages à réaliser
un éclairage artificiel aussi intense que possible, il en va tout autrement
durant la guerre moderne, où triomphent toutes les formes de camouflage. Et il
n’est pas nécessaire d’être monté en avion pour se rendre compte, à la
campagne, qu’en l’absence de tout obstacle opaque, une faible lumière est
visible à une très grande distance, la nuit ; à plus forte raison,
l’ensemble des lumières d’une ville.
Dans les appartements privés, il est généralement facile
d’obturer les fenêtres, chaque soir, avec des rideaux, des panneaux mobiles ou
des volets ; il suffit de prendre quelques précautions : les rideaux
doivent être en étoffe serrée, assez épaisse et de teinte sombre, de préférence
en double épaisseur ; les panneaux (tout en bois contreplaqué, ou bien
formés de carton ou même de plusieurs épaisseurs de papier fort fixé sur un
cadre léger) doivent bien s’appliquer sur le cadre des fenêtres, en débordant
largement les vitres ; de même, les volets seront rendus bien étanches à
la lumière en bouchant soigneusement les fentes et ouvertures. On peut ainsi
conserver l’éclairage normal, la nuit, sans être privé de la lumière solaire
dans la journée.
Mais il y a aussi des ouvertures qu’il est pratiquement
impossible d’obturer chaque soir, à cause de leurs dimensions excessives, ou
surtout parce qu’elles sont à peu près inaccessibles, comme les vasistas ou
verrières souvent placés tout en haut des cages d’escaliers (et ce cas est
particulièrement fréquent dans les locaux industriels, éclairés par des
toitures vitrées). On peut d’abord, évidemment, réaliser une obturation
permanente, qui oblige seulement d’utiliser l’éclairage électrique constamment,
même pendant la journée : solution acceptable pour des endroits peu
fréquentés, où l’on ne séjourne pas. On peut aussi recouvrir les vitres d’un
enduit bleu ; c’est la solution la plus employée depuis le début de la
guerre : la lumière bleue, en effet, facilement absorbée par l’atmosphère,
devient invisible à une certaine altitude, mais à condition pourtant que son
intensité ne soit pas trop forte : si l’on veut conserver l’éclairage
artificiel normal, il faut que l’enduit soit très épais, d’un bleu très
foncé ; mais alors, l’éclairage naturel du soleil devient souvent
insuffisant en plein jour, où il faut continuer d’allumer les lampes. Et,
pendant un raid d’avions, il peut arriver que l’explosion d’une bombe brise
tous les vitrages dans un assez grand périmètre, ceux qui sont peints en bleu
comme les autres : on comprend le danger si, au début de l’alerte, on a
oublié d’éteindre dès que tout le monde s’est réfugié dans les abris.
Aussi, préfère-t-on souvent garnir les vitres d’un enduit
moins épais, et réduire l’éclairage intérieur au minimum. On avait préconisé
pour cela des ampoules en verre bleu assez foncé ; mais nous savons que le
filament des lampes à incandescence produit surtout un rayonnement rouge et
jaune, avec très peu de radiations bleues, de sorte que le rendement lumineux
est déplorable, et le résultat peu agréable à l’œil. On peut souvent conserver
un éclairage blanc ou bleu clair, mais en le réduisant au minimum, en
intensité, et aussi en direction. Pour diminuer l’intensité, il n’est
pas toujours suffisant de remplacer les ampoules par d’autres du même genre,
ayant seulement une puissance moindre : les plus faibles sont encore trop
fortes ; on peut choisir des ampoules spéciales, ou simplement des
ampoules ordinaires, mais prévues pour un voltage sensiblement plus fort, qui
se trouveront donc sous-voltées, ce qui diminue leur puissance lumineuse
— et aussi leur rendement : dans les installations importantes, où la
question économique n’est pas négligeable, on a recours à des ampoules à bas
voltage, alimentées par de petits transformateurs. Mais il importe aussi de
régler l’éclairage en direction, en munissant les lampes de réflecteurs
ou d’écrans opaques, pour qu’aucun rayonnement ne vienne frapper les vitrages
directement, ni même indirectement, après réflexion sur des parois claires.
Quand il est absolument nécessaire de conserver un éclairage
assez intense, de jour et de nuit, on peut réaliser un filtrage lumineux, basé
sur l’emploi de couleurs complémentaires. À l’intérieur, on utilise un
éclairage coloré, soit par des lampes spéciales (lampes à vapeur de sodium,
donnant une lumière monochromatique jaune), soit par des ampoules
ordinaires entourées d’écrans spéciaux : et les vitres sont peintes ou
munies d’écrans d’une couleur différente, complémentaire, assez claire, qui
laisse passer la plus grande partie de la lumière solaire, mais intercepte
presque complètement la lumière colorée des lampes. Mais ce système exige une
exécution extrêmement soignée : par exemple, un écran vert, ne laissant
passer que des rayons dont la longueur d’onde correspond à la couleur verte du
spectre, sera bien opaque pour une lumière orangée, ne produisant que des
rayons monochromatiques ; au contraire, si la couleur verte de l’écran
provient d’un mélange de bleu et de jaune, et si la lumière orangée comporte
des rayons rouges et jaunes, ces derniers passeront librement à travers l’écran
de mauvaise qualité.
Des progrès techniques récents laissent espérer qu’on pourra
peut-être utiliser, dans des conditions analogues, une lumière blanche, mais
dont certaines propriétés sont modifiées par filtrage à travers des écrans tout
à fait particuliers ; les physiciens l’appellent : lumière polarisée,
et on a déjà préconisé son emploi pour éviter l’éblouissement dû aux phares
d’automobiles ; mais la réalisation pratique est assez délicate.
(À suivre.)
J. KAEPPELIN,
Ingénieur E. S. E.
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