Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°597 Mars 1940  > Page 180 Tous droits réservés

La grippe

Le terme de « grippe » est un de ces diagnostics commodes qui cachent souvent notre ignorance réelle ; à vrai dire, ce diagnostic est presque toujours imposé par le malade lui-même, qui qualifie de grippe toute affection qui le frappe, principalement à la fin de la saison froide.

Or une maladie se caractérise par un ensemble de symptômes qui, lorsqu’ils sont réunis, ne laissent aucune place au doute, ce qui n’est pas le cas dans ce qu’on est convenu d’appeler la grippe.

Dans la forme la plus courante, il s’agit d’une infection survenant brutalement, avec fièvre, coryza et atteinte des voies respiratoires supérieures, nez, larynx, trachée et bronches ; rien, si ce n’est peut-être l’intensité des malaises, ne distingue ces cas d’un rhume de cerveau, d’une laryngite, d’une trachéite ou d’une trachéo-bronchite banales.

L’allure de la fièvre n’a rien de particulier, son intensité est des plus variable.

Les maux de tête, parfois si violents, sont dus, le plus souvent, à des sinusites, complications habituelles de l’infection nasale ; si cet état coexiste avec une extrême sensation de fatigue, d’abattement, on parle de « grippe nerveuse ».

La maladie ne se localise pas toujours aux grosses bronches ; le poumon peut être pris à son tour ; il réagira alors par des broncho-pneumonies ou des pneumonies, causées par les microbes habituels de ces affections. On a même parlé autrefois de « pleurésies grippales » ; on sait aujourd’hui les rattacher à leur vraie cause.

Enfin, sous le nom de « grippe intestinale », on a décrit des troubles gastro-intestinaux ayant tous les caractères d’une infection colique, d’une entéro-colite.

Ce qui permettrait de réunir ces différentes formes morbides, de les identifier, serait de pouvoir les rattacher à une cause unique, à un microbe réellement spécifique ; malgré toutes les recherches bactériologiques, on n’y est pas encore arrivé ; aucun des germes incriminés n’a prouvé sa spécificité, y compris le fameux cocco-bacille de Pfeiffer, et, lorsqu’on examine les sécrétions au microscope, au moyen de cultures ou d’inoculations, on ne retrouve jamais que les microbes banaux, les hôtes habituels du rhino-pharynx ou de l’intestin.

Le grand argument de ceux qui croient à une maladie réellement spécifique est le caractère épidémique qu’elle présente, soit sous forme de petites épidémies sporadiques, comme on en voit chaque année, soit sous forme de grandes pandémies, envahissant de proche en proche tout un continent, comme en 1889 et en 1918. L’argument n’est pas sans valeur ; mais on peut lui objecter que les individus atteints se trouvaient dans les mêmes conditions atmosphériques, et que le froid, surtout le froid humide, les changements brusques de température, les brouillards et diverses conditions encore inconnues, agissent en même temps sur des individus voisins.

Il y a, en effet, des conditions encore mystérieuses, qui font que certains microbes, habituellement inoffensifs, qui se trouvent toujours dans la bouche, dans l’intestin, dans les fosses nasales, deviennent tout à coup virulents et agressifs.

Après ce qui vient d’être dit, on voit qu’il est difficile de tracer un tableau clinique de la grippe. Le plus souvent, le début est brutal, parfois avec un frisson et les symptômes apparaissent très rapidement ; les narines sont rouges et gonflées, les yeux sont congestionnés et larmoyants, ce qui donne à l’ensemble de la physionomie un aspect qu’on qualifie de grippal ; une angine, avec gêne de la déglutition, une laryngite, une trachéite avec leur toux sèche, irritante et quinteuse succèdent, rapidement, au coryza initial et, ce qui semble plus caractéristique, est l’extrême fatigue, l’asthénie dans laquelle se trouvent les sujets atteints.

Cet état d’abattement et de faiblesse persiste pendant la convalescence et prédispose à toutes sortes de complications.

En résumé, la brusquerie de l’attaque, la rapidité d’évolution des symptômes, le faciès grippal, la fréquence des complications, la lenteur de la guérison sont les signes les plus caractéristiques de ce qu’on appelle la grippe.

Quelles sont les grandes lignes du traitement ?

Tout d’abord une condition absolue : le repos à la chambre pour peu qu’il y ait de la fièvre, même légère, la chambre étant bien aérée et bien chauffée.

L’alimentation sera très légère, le malade n’ayant d’ailleurs, en général, aucun appétit ; le lait pur est souvent mal toléré ; il l’est mieux sous forme de bouillies, de purées claires ou de potages. La soif, qui tourmente les malades, doit être combattue par des boissons chaudes et stimulantes, tisanes aromatisées d’une cuillerée de bon cognac ou de rhum, et surtout par cet excellent remède qu’est le vin chaud, épicé de cannelle et de citron. Un peu de sulfate de soude dégagera l’intestin, s’il en est besoin. Les autres médications seront commandées par les symptômes prédominants ou par les complications.

En cas de forte fièvre, même avec des symptômes pulmonaires, l’enveloppement dans un drap mouillé est un traitement aussi simple qu’héroïque, de beaucoup préférable aux cachets d’antipyrine ou analogues.

Lors d’une des dernières épidémies, un médecin de grand bon sens, le Dr J. Camescasse dit avoir obtenu les meilleurs résultats avec des cachets d’une formule très simple qui eurent, on ne sait comment, une vogue extraordinaire ; ils se composaient de : poudre de quinquina, 40 centigrammes ; sulfate de quinine, 5 centigrammes ; salicylate de soude, 5 centigrammes, dont il prescrivait un cachet toutes les trois heures, avec un potage ou une tasse d’infusion de bourrache.

À Titre préventif, il en donnait, à l’entourage du malade, un cachet matin et soir.

Il ne peut être question ici d’envisager toutes les médications proposées ; c’est au médecin traitant qu’il appartient de juger les symptômes qu’il s’agit de combattre, et ceux qu’il faut respecter, sinon favoriser ...

La convalescence doit être surveillée de très près, l’asthénie combattue par les toniques habituels, et l’on sera très attentif aux complications pouvant survenir à cette période ; c’est une notion commune que les spécialistes, chirurgiens, oto-rhino-laryngologistes, etc., n’ont jamais tant à faire qu’après une épidémie de grippe.

Dr A. GOTTSCHALK.

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 180