Le terme de « grippe » est un de ces diagnostics
commodes qui cachent souvent notre ignorance réelle ; à vrai dire, ce
diagnostic est presque toujours imposé par le malade lui-même, qui qualifie de
grippe toute affection qui le frappe, principalement à la fin de la saison
froide.
Or une maladie se caractérise par un ensemble de symptômes
qui, lorsqu’ils sont réunis, ne laissent aucune place au doute, ce qui n’est
pas le cas dans ce qu’on est convenu d’appeler la grippe.
Dans la forme la plus courante, il s’agit d’une infection
survenant brutalement, avec fièvre, coryza et atteinte des voies respiratoires
supérieures, nez, larynx, trachée et bronches ; rien, si ce n’est
peut-être l’intensité des malaises, ne distingue ces cas d’un rhume de cerveau,
d’une laryngite, d’une trachéite ou d’une trachéo-bronchite banales.
L’allure de la fièvre n’a rien de particulier, son intensité
est des plus variable.
Les maux de tête, parfois si violents, sont dus, le plus
souvent, à des sinusites, complications habituelles de l’infection
nasale ; si cet état coexiste avec une extrême sensation de fatigue,
d’abattement, on parle de « grippe nerveuse ».
La maladie ne se localise pas toujours aux grosses
bronches ; le poumon peut être pris à son tour ; il réagira alors par
des broncho-pneumonies ou des pneumonies, causées par les microbes habituels de
ces affections. On a même parlé autrefois de « pleurésies
grippales » ; on sait aujourd’hui les rattacher à leur vraie cause.
Enfin, sous le nom de « grippe intestinale », on a
décrit des troubles gastro-intestinaux ayant tous les caractères d’une
infection colique, d’une entéro-colite.
Ce qui permettrait de réunir ces différentes formes
morbides, de les identifier, serait de pouvoir les rattacher à une cause
unique, à un microbe réellement spécifique ; malgré toutes les recherches
bactériologiques, on n’y est pas encore arrivé ; aucun des germes
incriminés n’a prouvé sa spécificité, y compris le fameux cocco-bacille de
Pfeiffer, et, lorsqu’on examine les sécrétions au microscope, au moyen de
cultures ou d’inoculations, on ne retrouve jamais que les microbes banaux, les
hôtes habituels du rhino-pharynx ou de l’intestin.
Le grand argument de ceux qui croient à une maladie
réellement spécifique est le caractère épidémique qu’elle présente, soit sous
forme de petites épidémies sporadiques, comme on en voit chaque année, soit
sous forme de grandes pandémies, envahissant de proche en proche tout un
continent, comme en 1889 et en 1918. L’argument n’est pas sans valeur ;
mais on peut lui objecter que les individus atteints se trouvaient dans les
mêmes conditions atmosphériques, et que le froid, surtout le froid humide, les
changements brusques de température, les brouillards et diverses conditions
encore inconnues, agissent en même temps sur des individus voisins.
Il y a, en effet, des conditions encore mystérieuses, qui
font que certains microbes, habituellement inoffensifs, qui se trouvent
toujours dans la bouche, dans l’intestin, dans les fosses nasales, deviennent
tout à coup virulents et agressifs.
Après ce qui vient d’être dit, on voit qu’il est difficile
de tracer un tableau clinique de la grippe. Le plus souvent, le début est
brutal, parfois avec un frisson et les symptômes apparaissent très
rapidement ; les narines sont rouges et gonflées, les yeux sont
congestionnés et larmoyants, ce qui donne à l’ensemble de la physionomie un
aspect qu’on qualifie de grippal ; une angine, avec gêne de la
déglutition, une laryngite, une trachéite avec leur toux sèche, irritante et
quinteuse succèdent, rapidement, au coryza initial et, ce qui semble plus
caractéristique, est l’extrême fatigue, l’asthénie dans laquelle se trouvent
les sujets atteints.
Cet état d’abattement et de faiblesse persiste pendant la
convalescence et prédispose à toutes sortes de complications.
En résumé, la brusquerie de l’attaque, la rapidité
d’évolution des symptômes, le faciès grippal, la fréquence des complications,
la lenteur de la guérison sont les signes les plus caractéristiques de ce qu’on
appelle la grippe.
Quelles sont les grandes lignes du traitement ?
Tout d’abord une condition absolue : le repos à la
chambre pour peu qu’il y ait de la fièvre, même légère, la chambre étant bien
aérée et bien chauffée.
L’alimentation sera très légère, le malade n’ayant
d’ailleurs, en général, aucun appétit ; le lait pur est souvent mal
toléré ; il l’est mieux sous forme de bouillies, de purées claires ou de
potages. La soif, qui tourmente les malades, doit être combattue par des
boissons chaudes et stimulantes, tisanes aromatisées d’une cuillerée de bon
cognac ou de rhum, et surtout par cet excellent remède qu’est le vin chaud,
épicé de cannelle et de citron. Un peu de sulfate de soude dégagera l’intestin,
s’il en est besoin. Les autres médications seront commandées par les symptômes
prédominants ou par les complications.
En cas de forte fièvre, même avec des symptômes pulmonaires,
l’enveloppement dans un drap mouillé est un traitement aussi simple
qu’héroïque, de beaucoup préférable aux cachets d’antipyrine ou analogues.
Lors d’une des dernières épidémies, un médecin de grand bon
sens, le Dr J. Camescasse dit avoir obtenu les meilleurs
résultats avec des cachets d’une formule très simple qui eurent, on ne sait
comment, une vogue extraordinaire ; ils se composaient de : poudre de
quinquina, 40 centigrammes ; sulfate de quinine, 5 centigrammes ;
salicylate de soude, 5 centigrammes, dont il prescrivait un cachet toutes
les trois heures, avec un potage ou une tasse d’infusion de bourrache.
À Titre préventif, il en donnait, à l’entourage du malade,
un cachet matin et soir.
Il ne peut être question ici d’envisager toutes les
médications proposées ; c’est au médecin traitant qu’il appartient de
juger les symptômes qu’il s’agit de combattre, et ceux qu’il faut respecter,
sinon favoriser ...
La convalescence doit être surveillée de très près,
l’asthénie combattue par les toniques habituels, et l’on sera très attentif aux
complications pouvant survenir à cette période ; c’est une notion commune
que les spécialistes, chirurgiens, oto-rhino-laryngologistes, etc., n’ont
jamais tant à faire qu’après une épidémie de grippe.
Dr A. GOTTSCHALK.
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