Les produits du palmier constituent la richesse de la région
portonovienne, comme de tout le Bas-Dahomey ; d’un bord à l’autre des
frontières, c’est une immense palmeraie, par endroits bien entretenue, mais ce
n’est pas encore la plantation rationnelle de spécimens sélectionnés à laquelle
il faudra venir, si l’on veut que, dans un temps, les huiles et les amandes de
palme africaines soutiennent la concurrence contre les produits
d’Extrême-Orient qui proviennent, eux, de la culture et de l’exploitation
raisonnées.
Des progrès ont cependant été accomplis (et tout ceci vaut
également pour la Côte d’Ivoire). Si la fabrication de l’huile avec le
péricarpe du fruit s’opère toujours à peu près de la même façon, dans beaucoup
de villages le concassage des noyaux de ces fruits à l’intérieur desquels se
trouve l’amande ou palmiste se fait à l’aide de petites machines à mains,
machines rustiques, solides, et il arrive rarement qu’aux abords d’une
agglomération de cases, on marche sur des centaines de mètres de sentiers
tapissés de noix de palme inutilisées faute de temps et de main-d’œuvre. En
effet, autrefois, partout ces noix étaient cassées une à une, entre deux
pierres, par les femmes et les enfants. On juge des heures qu’il fallait pour
obtenir un certain tonnage. L’outil mécanique presque généralisé remplace ce
travail manuel pour le plus grand profit de l’indigène.
Mais, se demandera-t-on, si les palmiers sont si nombreux
dans les palmeraies denses, pourquoi ne pas traiter industriellement les
fruits ? Au Dahomey, comme en Côte d’Ivoire, on a fait plusieurs essais et
depuis longtemps. Aucun obstacle technique, même avec le matériel le plus
moderne. Mais, on se heurte, en bien des régions, à des difficultés d’ordre
social, familial, peut-on dire. Ce sont les hommes qui vont, au sommet du
palmier, à l’interstice des branches, cueillir les « régimes »,
eux-mêmes très huileux, dans lesquels sont encastrés les fruits, et les
transportent au village. Les femmes fabriquent l’huile et concassent les
noyaux. Quelle sera la rémunération de chacun dans ces pays où la division des
biens est généralement la règle ? Question difficile à résoudre et qui a
enrayé l’extension des usines qui d’ailleurs ne travailleraient pas toute
l’année ; mais ceci n’est pas un obstacle dirimant.
Quoi qu’il en soit, le Dahomey donne bon an mal an une
grosse quantité d’amandes et d’huile fabriquée par les autochtones. Il est
certain qu’au moyen du système des plantations, on pourrait tirer davantage de
la palmeraie africaine, cueillette plus facile et plus rapide, les arbres étant
moins élevés et, à distance égale, le transport plus commode, d’où économie de
temps et de main-d’œuvre. Au surplus, la possibilité d’industrialisation
permettrait d’obtenir les produits à meilleur compte et standardisés. Malgré
tout, huile et amandes dahomiennes sont très appréciées sur les marchés
européens, car les transactions sur place sont très surveillées depuis près de
quarante ans. Pour éviter les fraudes, qui déprécient la marchandise, le
Syndicat des exportateurs, c’est-à-dire les firmes européennes, avaient
institué une inspection commerciale ayant des agents assermentés, et les
pourcentages d’impuretés (mélange d’autres matières grasses pour les huiles, de
bois très dense des noyaux, siccité des palmistes) étaient strictement limités.
En plus maintenant fonctionnent des sociétés de prévoyance et de crédit mutuel
agricole indigène, qui surveillent de leur côté ; ces initiatives sont
heureuses, car elles permettent de maintenir la qualité.
Quant à la quantité, on n’a aucune crainte à avoir, pas de
surproduction à redouter, car, avec les progrès de la chimie moderne, ces
matières grasses ont des débouchés pratiquement illimités jusque dans
l’alimentation humaine. Rien d’étonnant à cela. Fraîche, l’huile de palme est
utilisée dans la cuisine indigène, et le plat national, si j’ose dire, le
« calalou », est à base d’huile de palme, dans laquelle on fait
cuire, assaisonnés d’herbes grasses et aromatiques, quelquefois de petites
tomates de brousse, et naturellement du piment, plusieurs poulets (un poulet
par personne, car ils ne sont pas bien gros). La mixture n’est pas mauvaise,
mais bien lourde, même pour un estomac solide, surtout qu’en guise de pain, le
complément obligé du calalou est le gâteau de manioc simplement cuit à l’eau.
On peut remplacer le poulet par de l’excellent poisson de la lagune,
spécialement le « capitaine », sorte de mulet.
Toute cette banlieue de Porto-Novo, si attrayante, est une
des régions les plus peuplées, et ses habitants, gros et gras, paraissent
heureux. Ils évoluent assez vite et ne sont pas indifférents aux côtés
matériels de la civilisation. Ils ont des bicyclettes, des machines à coudre,
des lampes à pétrole. Ces détails, petits en soi, ne sont pas
indifférents : ils démontrent une certaine aisance et une réelle aptitude
à s’adapter au mieux-être. C’est un premier pas. Naturellement, je parle de la
campagne. Les gens des villes (Porto-Novo, Ouidah-Allada, Abomey-Calavi, Grand
Popo) ont dépassé ce stade. Où est le temps où ces indigènes, étonnés et ravis
de voir marcher (à son début, 1902) le petit chemin de fer de Sakèté, se
précipitaient aux gares, demandaient pour cinquante centimes ou un franc de
billet, escaladaient, au milieu des vociférations et des bousculades, les
plates-formes du railway pour se faire promener. Aujourd’hui, ils l’utilisent
pour se rendre et revenir des marchés.
Quittons l’Est de la colonie pour la partie Ouest et ensuite
l’intérieur. Nous abandonnons le pays nagot pour le pays dahoméen (qui a donné
son nom à la colonie) en langue indigène le pays djedj, celui du fameux Béhanzin.
Si Porto-Novo et sa banlieue ont été acquis pacifiquement (le roi Sodji demande
en 1862 la protection de la France) il n’est pas de même du royaume d’Abomey.
En 1878, Glé Glé, neuvième et le plus populaire des rois du Dahomey, nous
fait cession du port de Cotonou, mais quelques années après ne veut pas
consentir à l’exécution des clauses du traité. Les choses traînent en longueur,
mais fin 1889, elles s’enveniment. Devant le refus persistant de Glé Glé,
l’occupation militaire de Cotonou est décidée. Sur ces entrefaites, Glé Glé
meurt ; il est remplacé par Béhanzin qui, au débarquement d’un premier
contingent, s’écrie, allégoriquement, comme c’est souvent l’usage au
Dahomey : « Le requin audacieux a traversé la barre ». C’était
la guerre, malgré une ultime tentative d’arrangement. Deux colonnes fut
nécessaires pour mettre Béhanzin à la raison, entrer à Abomey, la capitale, et
capturer Béhanzin. Ce ne furent pas des promenades militaires, les Dahoméens
ayant un commencement d’organisation, étant très bien pourvus de fusils et de
munitions, étant vraiment très courageux. Les fameuses « amazones »
qui combattaient à pied, — les chevaux n’existent pas dans le pays — firent
des prodiges de valeur, cherchant le combat corps à corps, s’y montrant
féroces : telle cette amazone, qui, avant de succomber, arracha d’un coup
de dents le nez de son adversaire.
(À suivre.)
G. FRANÇOIS.
(1) Voir numéro de février 1940.
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