Dans les premières de nos causeries consacrées à
l’initiation du débutant en photographie, nous n’avons pu aborder que les
notions les plus élémentaires, réservant un certain nombre d’aperçus qu’il
aurait été prématuré d’exposer à des lecteurs mal préparés. Par exemple, nous
n’avons pas établi de distinction entre les différents types ou modèles
d’appareils soumis à leur choix par les constructeurs. C’est une lacune qu’il
convient de combler au plus vite, car, si les recommandations visant les
opérations et les manipulations ont un caractère général — puisqu’elles
s’appliquent aux uns comme aux autres — les possibilités d’utilisation et
la perfection des résultats peuvent varier d’un type à l’autre, à qualité
égale, bien entendu, selon qu’ils sont plus ou moins appropriés au travail
qu’on leur demande.
Une vogue irrésistible favorise les appareils de très petit
format, dont les dimensions ont été réduites au point que l’on peut, sans nulle
hyperbole, les qualifier d’appareils de poche. Mais ce n’est pas seulement à la
réduction du format, à la diminution du volume et du poids, que l’appareil
minuscule doit sa fortune ; c’est plutôt, semble-t-il, à ce fait qu’il est
considéré comme privilégié dans l’obtention des instantanés, qui sont, en
réalité, sa pâture habituelle. Nous l’avons constaté maintes fois : on
cause une véritable surprise à un jeune amateur de ce temps, en lui affirmant
que, dans telle ou telle circonstance, il se serait rapproché davantage du
meilleur résultat en accordant à la pose une durée de une demi-seconde — et
même plus dans des cas extrêmes — en utilisant un pied ou un support de
fortune pour immobiliser l’appareil pendant un court instant.
L’instantané est roi ! Son pouvoir tient de la
magie ; nous en trouvons la preuve innombrable dans la profusion des
illustrations qui nous passent journellement sous les yeux. Il serait puéril de
nier sa puissance souveraine, aussi bien que d’entreprendre de relever ses
défaillances et de dénoncer les abus qu’on en fait parfois. Pour nous en tenir
à la photographie d’amateur, une proportion assez importante de
sous-expositions caractérisées se chargent de démontrer que, malgré l’extrême
sensibilité des émulsions et la luminosité considérable des objectifs, il
arrive que des sujets peu actiniques, ou insuffisamment éclairés, n’influencent
pas comme il conviendrait la plaque ou la pellicule, et que l’image résultante
n’est parfois qu’une ébauche dépourvue des relations harmonieuses qui doivent
se retrouver dans une composition homogène et bien équilibrée.
À un autre point de vue, le « grand instantané »,
alors même qu’il a suffisamment impressionné l’émulsion, peut conduire à des
résultats décevants. Tout le monde est d’accord sur ce point que la netteté de
l’image est d’autant plus poussée que le temps d’exposition est plus court, eu
égard au déplacement possible d’un mobile ou d’un être animé contenus dans le
tableau. Ce n’est qu’un aspect de la question, car, neuf fois sur dix,
l’instantané à grande vitesse de mobiles plus ou moins rapides, fournit une image
qui n’a rien d’artistique (c’est déjà fâcheux), ni même d’exact au point de vue
cinétique (et c’est beaucoup plus grave), car elle laisse en suspens un
mouvement ébauché, ou coupe court à une suggestion de réalité et de vie.
En effet, la rapidité de l’opération peut être telle que le
cliché enregistre des aspects que l’œil n’a pas eu le temps de percevoir et de
situer, en raison même de leur extrême brièveté. De ce fait, l’image ne
représente pas ce qui frappait notre organe visuel : elle le trouble et le
déçoit. Un écrivain de talent, M. Paul Gsel, dans un ouvrage consacré à
Rodin, cite ce mot du maître : « Mouvement signifie transition
d’une attitude a une autre », et il développe cette pensée à peu près
comme suit : Dans les instantanés comportant des personnages en marche, ceux-ci
ne paraissent pas se mouvoir ; ils semblent plutôt se tenir sur une jambe,
ou bien donnent l’impression de sautiller, ou enfin paraissent frappés de
paralysie soudaine.
En fin de compte, il apparaît que la suggestion de continuité,
de mouvement, de vie, doive se trouver dans un contour modérément enveloppé, où
l’on pourrait trouver une certaine analogie avec le lacis des tracés très
légers et presque sans matière, jetés sur le papier par le dessinateur en vue
d’en dégager par synthèse le trait caractéristique, le contour souple et
ondoyant, générateur de relief et de vie ... Il nous aura suffi de
signaler cet écueil pour mettre le lecteur en garde contre toute exagération de
la rapidité d’opération, par ailleurs superflue. Aussi bien, nous ne voudrions
pas faire grief à l’appareil minuscule de ce qui constitue essentiellement sa
qualité dominante ; nous reconnaissons au contraire qu’entre des mains
expérimentées, il peut fournir le travail le plus sérieux dans presque tous les
genres, et offrir aux talents les plus qualifiés la possibilité de donner leur
mesure, tant dans le domaine artistique qu’en matière de photographie
anecdotique ou documentaire.
La simplicité apparente des opérations n’exclut pas
d’ailleurs tout effort de réflexion ou d’adaptation à des circonstances
particulières. Il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter, par la pensée,
aux toutes premières difficultés auxquelles se heurte le débutant dans la
chasse aux instantanés : appréciation exacte des distances ; mise au
point adéquate et cadrage dans le viseur ; détermination du temps de pose
convenable en tenant compte de l’éclairage, de l’ouverture relative de
l’objectif et de la sensibilité de l’émulsion, etc.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que, malgré
l’extrême brièveté des opérations, il est nécessaire de maintenir l’appareil
dans une immobilité aussi complète que possible, et que le choix des moyens
n’est pas indifférent. Il n’est pas recommandé d’appuyer fortement l’appareil
sur la poitrine, car c’est un appui qui est soumis à des mouvements
inconscients provoqués par la respiration, les pulsations du cœur, les
contractions musculaires, etc. Il ne faut pas, non plus, tenter de s’équilibrer
sur les deux jambes écartées, en faisant porter le poids du corps sur l’une et
sur l’autre ; au contraire, il est préférable de se servir de l’une
d’elles comme support principal, l’autre servant de contrefort pour assurer
l’équilibre et l’immobilité. L’appareil est alors appuyé sur le flanc droit, où
il est supporté et maintenu sans effort apparent le déclencheur étant actionné
par l’une des mains, suivant le mode de propulsion de son déclic. Si la forme
et le mode d’emploi du viseur exigent que l’appareil soit tenu à la hauteur des
yeux — et c’est maintenant le cas le plus général — il est recommandé
de lui faire prendre appui sur le front on sur l’arcade sourcilière, afin
d’éviter tout mouvement de bascule provoqué par le léger effort dépensé pour
actionner le déclencheur. Enfin, on constate que l’immobilité du corps est plus
facilement réalisée après une large aspiration, qui remplit et stabilise
momentanément l’appareil respiratoire. Nous terminons sur ces quelques conseils
pratiques et tout à fait terre à terre, nous en convenons.
Jacques BÉRYL.
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