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Philatélie

Les vieux Espagne.

Précédemment nous parlions des timbres au point de vue placement de capitaux, et nous disions que l’intérêt financier d’un pays ou d’un groupe était en raison directe de la popularité du moment. Mais il n’en est pas du tout de même au point de vue intérêt philatélique, et des vignettes, parmi les plus intéressantes qui soient, peuvent fort bien être absolument délaissées. Dans ce groupe sacrifié, les vieux timbres d’Espagne figurent en bonne place, en tête même, serions-nous tentés de dire. Pourquoi cet ostracisme général ? Tout d’abord cette règle absolue, que nous avons déjà signalée ; qu’un groupe philatélique, non régulièrement soutenu par ses nationaux, devient peu à peu un désastre financier ; or, cette situation est essentiellement celle de l’Espagne, la pauvreté générale du pays n’ayant guère favorisé la formation de cohortes philatélistes, comme il s’en trouve presque partout ailleurs. À cette raison primordiale, ajoutons-en une autre, l’absence d’études philatéliques importantes et surtout récentes, car autrefois il n’en fut pas de même. Il n’est qu’à consulter l’index des articles ou études parues dans la presse philatélique internationale depuis dix ans pour voir que ceux relatifs à la vieille Espagne tiennent en quelques lignes contre de nombreuses pages pour les autres pays favorisés. Il ne faudrait pas croire que tout a été trouvé, et que tout a été dit sur ces timbres délaissés, tout au contraire !

Quelques mots rapides sur les diverses émissions intéressantes. La grande période, celle des raretés, va de 1850 à 1854 ; mais, en réalité, toutes les séries qui suivent, et ce jusqu’à la fin du règne d’Isabelle en 1868, présentent un intérêt soutenu, et, malgré la rareté d’un grand nombre de ces timbres plus récents, les prix sont restés excessivement bas. Pour quelle raison la plupart des premières émissions sont très difficiles à trouver, au point que le moindre regain de faveur internationale les rendrait absolument introuvables ? Tout d’abord le volume réduit du courrier espagnol à cette époque, très peu de personnes étant alors à même de correspondre par lettres, et les rapports commerciaux avec l’étranger étant encore des plus sommaires. La source de ravitaillement en vignettes postales a été surtout constituée par les envois de fonds à l’étranger, ce qui nécessitait de grosses sommes d’affranchissement ; d’où ce résultat paradoxal, que nombre de timbres très rares existent en bandes ou en très larges blocs en quantité proportionnellement très importante, et beaucoup plus pour les grosses valeurs que pour les petites. La seconde cause de rareté est que les émissions n’étaient prévues que pour un an, et qu’un type nouveau était mis en circulation le 1er janvier de chacune des premières années. D’où, par la combinaison de ces deux influences, les quantités excessivement réduites de timbres vendus.

La première émission de 1850 est la plus recherchée, et ses prix sont proportionnellement à la rareté beaucoup plus élevés que pour les séries suivantes. La raison en est fort simple ; seule cette émission est susceptible d’être planchée, et presque seule, pour ainsi dire, renferme-t-elle des variétés de fabrication, de retouches, etc. Le terme de reconstitution de planches est d’ailleurs erroné, chaque pierre de 255 timbres ayant été constituée par le report successif d’un groupe de 24 empreintes, toutes différentes (ou 35, ou 40, ou 30, etc., selon les valeurs), la reconstitution d’un groupe complet étant seule recherchée. Total des timbres vendus ; 6 cuartos, environ 6.500.000 (ceux de la première planche étant considérés comme dix fois plus rares que ceux de la seconde) ; 12 cuartos, environ 780.000 ; 5 réales : 162.000 ; 6 réales : 43.000 ; 10 réales : 70.000. Par curiosité, comparer le prix de ces timbres tous planchables, avec ceux de la première émission des États-Unis, le 5 cents n’étant pas planchable encore, et le 10 ne l’étant que depuis peu, le tirage du 5 cents 1847 ayant été d’environ 4.400.000 et celui du 10 cents de 1.050.000. Terminons notre comparaison de la valeur par rapport à la rareté par ce petit tableau des émissions suivantes (ne l’oublions pas, non planchables, les timbres étant typographies et non lithographies, comme pour la précédente) :

Émission :
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1851
———
1852
———
1853
———
Madrid
———
1854
———
1 cuarto       284.000  
2         195.500
3       100.130  
6 7.671.000 11.252.800 12.768.942   14.700.000
12 459.000 145.014 133.684    
1 réale         399.500
2 3.910 3.394 3.875   690.000
5 11.560 79.484 67.553   187.600
6 11.900 21.665 13.900   98.000
10 5.100        

(ces chiffres sont ceux originellement fournis par M. Hugo Griebert, lesquels ont été confirmés par d’autres spécialistes).

Depuis près d’un siècle, combien de ces timbres ont disparu à jamais, et combien en est-il aujourd’hui de disponibles pour les philatélistes ? Aucun des dos Réales ne dépasse 4.000 exemplaires vendus. Au point de vue rareté, nos nationaux un franc vermillon ou carmin font piètre figure à côté ; ce qui n’empêche que la cote au catalogue.

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Reprenons notre émission de 1850. La nomenclature de notre catalogue est en général, suffisante, comme d’ailleurs pour les suivantes. Indiquons en passant que les exemplaires sur papier mince valent environ le double de ceux sur papier épais. Comme faux, se méfier d’une soi-disant retouche du no°1, type II, et de pures imitations, facilement décelables, à l’exception d’un 6 réales, plus dangereux. De même, comme toujours, faire attention aux timbres lavés, beaucoup plus rares ici que pour certaines colonies anglaises par exemple.

L’émission de 1851 est celle des grandes raretés. Toutes les couleurs indiquées existent en différentes teintes, les nuances foncées étant les plus chères, le 6 réales bleu très foncé à l’état de neuf étant d’ailleurs un des timbres les plus rares du monde. Des faux assez nombreux circulent, mais ils ne sauraient tromper les collectionneurs avertis.

La troisième série de 1852 présente davantage de variétés, papiers, nuances, point omis, etc. Les différences de nuances sont assez nombreuses, et comme précédemment certaines teintes foncées sont très difficiles à se procurer en exemplaires neufs. Quelques faux, aucunement dangereux.

Peu de choses à dire des timbres de 1853, si ce n’est de faire très attention avant d’acheter la variété du 6 cuartos sur papier azuré, la plupart des exemplaires présentés comme tels ayant été changés par manipulation chimique. À côté de ce truquage, toute la série a été imitée par des faussaires qui ont été aidés par l’aspect plus fruste du dessin, et ont produit plusieurs pièces, vraiment dangereuses, particulièrement en 2 réales.

Les timbres locaux de Madrid sont parmi les plus difficiles à trouver. Ils furent l’objet d’une réimpression en 1870 ; mais la couleur diffère nettement de celle des originaux. Il en est de même pour une falsification, facilement reconnaissable grâce au papier plus épais, alors que les authentiques sont imprimés sur un papier excessivement mince, presque pelure.

L’émission de 1854 termine la grande série classique avec le 1 réale bleu pâle sur papier épais azuré, qui est la grande vedette des vieux Espagne, et qui, réellement neuf ou même oblitéré, est l’un des timbres les plus rares parmi les rares. Aussi a-t-il fait l’objet des soins attentifs des faussaires, d’autant plus qu’il existe une certaine quantité d’exemplaires annulés avec barres, comme il est expliqué dans le catalogue. Transformer un timbre de 50 francs environ en une pièce d’exposition d’au moins 60.000 francs est vraiment tentant, il faut bien l’avouer ; et cela a été tenté. Dans cette même série, d’excellentes imitations du 4 cuartos existent aussi, malgré le peu de valeur du timbre.

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Comme nous le disons plus haut, c’est une grande erreur que de se limiter à ces premières émissions. Les suivantes, tout en étant bien meilleur marché, sont au moins aussi intéressantes par suite des variétés de planches, de papier, de retouches, etc.

Les timbres sur lettres sont particulièrement désirables. En passant, rappelons cette variété de « combinés », timbres étrangers, et espagnols sur la même enveloppe. Les relations postales de l’Espagne et des pays étrangers jusqu’aux environs de 1870 offrent un champ de recherches pour ainsi dire vierge, et dans le fonds peu onéreux ; surtout, si l’on tient compte de la rareté de pièces qu’il est actuellement encore possible de se procurer pour des prix de famine. À une vente récente, nous avons vu adjuger, pour quelques centaines de francs, de magnifiques vieux Espagne sur lettres dont la rareté était certainement l’équivalent des « combinaisons » de vieux États-Unis identiques. Mais, à cette seule différence qu’en Amérique, à la vente Emerson, par exemple, de telles raretés nationales s’échangèrent pour plusieurs centaines de dollars, quand le millier ne fut pas largement dépassé.

À côté de ce champ non encore exploité de l’étude des premiers courriers étrangers d’Espagne, il y a la collection classique en exemplaires de choix, très intéressante au prix actuel. Et d’autant plus passionnante que, même avec tout l’argent possible à sa disposition, de nombreux spécimens sont bien difficiles à trouver. Pour celui qui aime la difficulté, et dont les moyens ne sont pas limités, un but en apparence facile est à fixer : réunir les trente-trois premiers numéros du catalogue en exemplaires de premier choix et neufs, avec toutes les variétés de nuances reconnues. Voilà de quoi remplir de nombreuses années en recherches en tous lieux, avec la certitude de posséder, pour finir, un ensemble dont il n’existera que bien peu de répliques dans le monde. Quant à ceux de moyens plus modestes, qu’ils se contentent des séries suivantes jusqu’à la Révolution de 1868 ; ils auront aussi de quoi s’occuper !

M.-L. WATERMARK.

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 190