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Les chasses sédentaires

La cabane « aux empaillés ».

Cette chasse, variée et pittoresque, se pratique au moment de la migration des échassiers, de préférence fin octobre-novembre et mars : si le gibier convoité n’est pas très estimé des gourmets, si sa pratique est plutôt un exercice de tir qu’un véritable sport cynégétique, elle n’en présente pas moins des agréments incontestables !

Elle a lieu en plein jour, dans un joli cadre, par vent du Nord ou du Nord-ouest un peu frais, et dure toute la matinée, et parfois, par temps de passage, une partie de l’après-midi ; elle s’adresse à des oiseaux aussi nombreux que variés : tous les échassiers et longirostres en sont tributaires : courlis, charlots, charlotines, avocettes, barges, toutes les espèces de chevaliers, culs-blancs d’eau ou espagnolets, pluviotes ou pluvierottes, pluviers, bécasseaux, bécassons, parfois même des vanneaux et tant d’autres que j’oublie !

Il faut choisir, de préférence, les plages de sable, les bords d’étangs, les étendues sablonneuses en bordure de mares ou de cours d’eau, tous terrains où les échassiers peuvent voir de loin et veiller sur leur sécurité, car ils sont fort méfiants.

On dresse alors une cabane basse, au ras du sol, en joncs et en branches de saule, où l’on puisse se tapir pour guetter le gibier : mieux encore, un trou dans le sable, masqué par des broussailles à son orifice. Il importe que ces abris soient dressés en évitant tout interstice entre les brindilles qui les recouvrent, car les échassiers ont l’œil vif et s’effrayent facilement. Nous en verrons un exemple tout à l’heure.

D’ailleurs, tous ces préparatifs sont bien connus des nombreux chasseurs aux empaillés, et les terrains propices à cette chasse sont repérés depuis des générations.

Par un joli matin clair, le chasseur se dirige, au soleil levant, vers son abri, en portant, dans un ou plusieurs paniers, les accessoires indispensables à cette chasse : ce sont des échassiers, aussi nombreux et variés que possible, soigneusement naturalisés, et reposant, en guise de pattes, sur la fourche d’une branchette dont l’extrémité pointue s’enfonce sans peine dans le sable.

Arrivé à la cabane, le chasseur dispose ses empaillés en ayant soin de les placer dans la direction du vent, et surtout — précaution indispensable — « bec au vent ». Tous mes confrères en saint Hubert savent, en effet, que les oiseaux au long bec ont toujours cet appendice tourné vers le vent, et tous les empaillés du monde ne feraient pas venir un seul oiseau, s’ils avaient la tête et le bec tournés dans une autre direction que celle du vent qui souffle !

On place ces appelants à une distance de 25 mètres environ, en ayant la précaution de former des groupes d’échassiers de la même espèce et de ne pas mélanger courlis et avocettes, pluviers et barges ...

Puis, les paniers dûment dissimulés, le chasseur se glisse dans son abri, en ferme soigneusement la couverture et ouvre bien grands ses yeux et ses oreilles.

C’est habituellement, en effet, par leur cri d’appel particulier, que les oiseaux, encore hors de vue, annoncent leur arrivée : plainte mélancolique ou sifflement aigu, une longue habitude de cette chasse d’attente permet au chasseur de reconnaître immédiatement, en l’entendant, l’espèce du vol qui a repéré les empaillés dans lesquels il croit voir des frères qui ont découvert un coin d’élection ...

Puis, à travers les broussailles du toit, le chasseur voit les oiseaux arrivants décrire plusieurs ronds concentriques au-dessus de leurs faux congénères, dont l’immobilité leur semble suspecte. Se poseront-ils ou non ? Minutes angoissantes et qui sont un des charmes les plus vifs de cette chasse ! Et soudain, obéissant on ne sait à quel mobile, le vol s’éloigne à tire-d’aile, ou, au contraire, se pose, avec la vitesse et l’impétuosité d’avions minuscules, à côté des appelants.

À ce moment, il ne faut pas hésiter : tirer aussi vite que possible, en choisissant deux ou trois oiseaux dans la même ligne de tir ; le deuxième coup, immédiatement après le lever du vol.

Certains praticiens de cette chasse prétendent qu’il vaut mieux attendre, laisser les oiseaux courir à droite et à gauche, qu’ils finissent ainsi par se grouper et vous permettent d’en démolir beaucoup plus à votre premier coup. C’est ainsi qu’ils arrivent à faire parfois des coups de dix et plus ...

Pour moi, qui n’ai jamais été partisan des hécatombes, j’estime que cette façon d’agir est peut-être plus productive, comme résultat, mais moins digne du vrai chasseur ...

Et je vous avouerai même que, le jour où je me suis le plus amusé à la chasse aux empaillés, ce fut dans des conditions qui me vaudront l’anathème des « purs » de ce sport.

J’étais posté au pied d’un tamaris, dont j’avais ramené sur moi les basses branches, de façon un peu rapide, peut-être ; mais j’étais pressé, parce que les oiseaux passaient, nombreux, et qu’il soufflait une brise idéale.

Or, dès l’apparition du premier vol, je m’aperçus que quelque chose clochait dans mon installation ; à peine posés, les oiseaux repartirent à tire-d’aile. J’eus la chance de réussir un doublé, dans des conditions qui ressortissaient beaucoup plus au tir aux pigeons qu’à toute autre chose.

Mis en goût par ce résultat, je résolus de ne rien changer à mon abri, dont l’imperfection allait me permettre de passer une matinée des plus intéressante : en effet, les vols succédaient aux vols, et chacun venait simplement effleurer le sol devant mon abri pour repartir à toute allure ... Et chaque fois, au lieu du massacre qu’un chasseur expérimenté aurait pu faire, je n’avais que la ressource de tirer mes deux coups en plein vol ... J’usai beaucoup plus de cartouches, je tuai beaucoup moins d’oiseaux, mais je vous affirme, dût-on me traiter de profane ! que je m’amusai infiniment plus ...

Jean RIOUX.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 197