Des restrictions, voilà un mot que les Français n’aiment pas
et qui fait, surtout, froncer le sourcil aux chasseurs. Mais qui veut la fin
veut les moyens et, qu’on le veuille ou non, il faudra bien en arriver là. Dans
une société communale, il est bien difficile, disons même impossible, de
limiter, comme dans la plupart des chasses privées, le nombre de pièces de
gibier que peut abattre chaque sociétaire. Et alors, résultat : c’est le
massacre. C’est à qui tuera plus que le voisin. Les compagnies de perdreaux
sont poursuivies tous les jours sans relâche, et deux ou trois chasseurs qui
seront tombés sur l’une d’elles, aux premiers jours de l’ouverture, ne
s’estimeront satisfaits que quand ils l’auront exterminée jusqu’au dernier
oiseau. Ils pourraient bien, pourtant, après en avoir prélevé un ou deux
chacun, changer de secteur et laisser les autres tranquilles pour un autre
jour. Mais non ; on s’acharne, tant qu’on y est, tant que l’on peut. Et, à
cette cadence, que voulez-vous qu’il reste, quand une centaine ou plus de
porteurs de fusil ont opéré de cette façon pendant quinze jours sur tout le
territoire ? Rien, trois fois rien. C’est le vide, le vide absolu. Et,
ensuite, la bredouille journalière pendant trois mois. À titre d’exemple, pour
illustrer ce que j’avance et dont, j’en suis sûr, tout le monde convient, je
vous dirai que je connais un pays qui serait fort giboyeux, surtout en
perdreaux, car il l’était il n’y a pas si longtemps, et qui ne l’est plus
guère, car les perdreaux sont démolis en quinze jours. Quant aux lièvres
surtout ceux qui sont dans la plaine absolument nue durant l’hiver, car c’est
un pays de vignes travaillées et soignées en général comme des jardins et où il
n’y a pas une herbe, ils sont réfugiés uniquement dans les quelques fossés et talus
de bordure. Dès que l’un d’eux a été repéré, il ne se passe pas de jour sans
que plusieurs chasseurs partent à sa recherche. À ce petit jeu, il a vite fait
d’y passer, pour aussi malin qu’il soit. Je vous laisse le soin de conclure.
Donc, si, dans une société communale, il est malaisé de
limiter le nombre de pièces par chasseur, on peut limiter celui des jours de
chasse ; ce qui est, d’ailleurs, à peu près généralement admis, à présent,
dans les statuts de toutes les sociétés, mais, malheureusement, n’est pas
respecté dans beaucoup de cas. La clause figure dans les statuts, car elle est
exigée par l’Administration des Eaux et Forêts pour obtenir les subventions
annuelles en gibier. Mais, dans un grand nombre de sociétés, c’est là sa seule
raison d’être, et on chasse tous les jours. Alors, vous conviendrez facilement
que tout le gibier ou presque disparaîtra, soit par le plomb, soit par
l’abandon, pour des régions plus sûres, de territoires trop dangereux. D’où,
deux choses indispensables : une réserve suffisante où personne ne chasse
et un nombre de jours de chasse restreint. Je sais bien qu’il y aura, toujours,
des mécontents. Tel alléguera qu’il ne peut chasser le jeudi; tel autre, qu’il
peut être appelé à travailler le dimanche (employés de chemin de fer, des
Postes par exemple). Mais, que voulez-vous ? il faut, tout de même, une
réglementation ; il y en a bien d’autres, et de plus dures, et dont il
faut bien prendre son parti.
Et c’est ici que je reviens à ce que j’avais fait entrevoir
au début de ces causeries. Puisque nous sommes en temps de guerre et que le
gouvernement sera obligé, un jour ou l’autre, d’ouvrir la chasse, ce serait une
occasion ou jamais, puisque, en ces périodes-là, toutes mesures exceptionnelles
peuvent être prises de n’ouvrir la chasse par exemple que le dimanche ou deux
jours par semaine. Ce serait une habitude qui, une fois prise et entrée dans
les mœurs, pourrait, le temps de paix revenu, être maintenue, sinon
intégralement, du moins en partie. Les jours de chasse seraient inscrits sur le
permis, avec les autres prescriptions qui y sont mentionnées. La réglementation
étant, alors, légale, et non plus conventionnelle, il en résulterait que tout
chasseur surpris un jour où la chasse ne serait pas autorisée serait verbalisé
comme chassant en temps prohibé, et vous savez ce qu’il en coûte. Je crois
qu’avec trois jours par semaine, on en arriverait à un moyen terme parfaitement
raisonnable et donnant un peu de répit au gibier sédentaire. En outre, on
pourrait, en période d’ouverture générale, autoriser, comme actuellement, la
chasse au gibier d’eau par temps de neige, tous les jours ; et, enfin,
après la clôture générale, la chasse au gibier d’eau tous les jours. Ceci,
parce que le gibier d’eau est essentiellement gibier migrateur et qu’il
pourrait se produire de gros passages certains jours où la chasse serait
interdite, ce dont les chasseurs ne pourraient profiter. Je crois qu’aucun
chasseur, soucieux de la protection de son plaisir favori, ne pourrait élever
d’objections à une telle réglementation, en somme assez large et faite uniquement
dans l’intérêt du gibier sédentaire.
Je la soumets à ceux qui ont la charge de rénover la chasse
française ; ils prendront certainement toutes les dispositions utiles.
FRIMAIRE.
(1) Voir numéro de mars 1940.
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