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Gibier migrateur

Déplacements d’automne et de printemps.

Rien n’est déroutant pour le chasseur comme les variations, souvent inexplicables, qui caractérisent les mouvements de la gent ailée voyageuse, dans ses déplacements d’automne et de printemps.

On a beau observer, noter, comparer, les plus malins s’y trompent, et nul ne peut, à l’avance, fixer une date approximative à l’arrivée dans le pays, des bécasses, bécassines, grives ou vanneaux, pas plus qu’il ne saurait prévoir l’époque probable du départ de ces inconstants visiteurs.

Et je crois fort qu’en la matière, ceux qui prophétisent le moment des passages, tombent souvent aussi juste que les météorologistes dans leurs prévisions du temps.

Et comment ne se tromperait-on pas, en voulant réglementer ce qu’il y a de moins fixe dans la nature : les influences atmosphériques qui président et commandent aux évolutions des oiseaux migrateurs ?

Certainement, ceux-ci portent en eux des appareils météorologiques bien plus perfectionnés que ceux de nos observatoires. Ils n’ignorent pas bien des détails qui échappent à notre observation en ces moments-là, et notre étonnement de les voir demeurer chez nous en grande masse, dans telle ou telle circonstance, n’a d’égale que notre ignorance. Il leur suffit peut-être d’aller faire un tour dans les régions supérieures de l’atmosphère inaccessibles à nos instruments, pour apprécier, par les courants différents des nôtres qui y règnent, le temps qu’il fait dans les régions où ils doivent se rendre. Ceci n’est qu’une hypothèse.

Ce qu’il y a de certain, c’est que le facteur le plus important est à peu près sûrement le vent. C’est presque toujours par un beau vent d’Est, qu’en octobre et novembre la tribu des canards nous arrive, vent froid et sec, très propice à leurs migrations et à leurs évolutions. Tant qu’il règne de la région du Nord et de l’Est, leurs bandes nombreuses sillonnent un peu partout. Car, ne l’oubliez pas, le canard est très inconstant, si le vent s’en mêle. Ainsi, un beau soir, vous avez aperçu de très nombreux oiseaux ; vous gagnez votre lit, plein d’espoir ; que n’allez-vous pas tuer le lendemain ? Et, pendant ce temps-là, le traître de vent a tourné à l’Ouest. Et, à votre réveil, déception, plus rien.

Bien souvent, la sauvagine fait ainsi la navette, une bonne partie de l’hiver allant alternativement du Nord au Sud, suivant que le vent souffle de l’Ouest et du Sud-Ouest ou de l’Est et du Nord-Est. Ces oiseaux, essentiellement migrateurs, vont et viennent ainsi, partant, revenant aussitôt qu’ils jugent que la clémence de la température leur permet un séjour plus ou moins prolongé. Il en résulte que ceux d’aujourd’hui ne seront vraisemblablement pas ceux d’hier, ni ceux de demain, et, en conséquence, que l’allure de cette chasse se modifie totalement d’un jour à l’autre suivant les conditions extérieures. Il ne faut donc, à cette chasse, jamais se laisser aller au découragement.

Pour tuer des canards, tout particulièrement, un vent frisquet, avec gelée ou grosse neige, est très favorable.

Il résulte de tout cela que les vents, que l’on convient d’appeler vents de passage, sont ceux qui contrarient le gibier et le forcent à séjourner chez nous plus longtemps que d’habitude. Leur continuité amène la disette par l’arrêt des colonnes postérieures, et leur intermittence amène la réussite pour les chasseurs.

Toutefois, il ne faut pas étendre et en déduire affirmativement que les choses se passent toujours exactement ainsi. Pour arriver à la vérité, il faudrait encore grossir considérablement les observations, enregistrées cependant en assez grand nombre déjà depuis un certain nombre d’années, avec le même soin et la même exactitude que sont consignées les observations météorologiques. Cela est d’autant plus difficile que ces êtres, si merveilleusement doués par la nature, vont combler les vides faits dans leurs rangs et abriter leurs amours dans des régions immenses, mystérieuses, inhabitées et encore bien mal connues de l’extrême Nord. Il semble que, chaque fois où on les rencontre, ils nous apportent quelque chose d’encore inconnu. Aussi, lorsque le chasseur passionné capture quelque spécimen rare de ces hardis voyageurs dévoyés chez nous, instinctivement et longuement il le tâte, l’examine des pieds à la tête, comme s’il devait lui donner la solution de quelque problème ou lui révéler des choses inconnues.

Mystère ! Mystère ! Ainsi, quand va arriver le passage de mars, pas un chasseur ne sera capable de dire sûrement où en est la montée des bécasses. Les uns assureront que le passage se fait dès le commencement du mois ; les autres prétendront qu’à ce moment, on ne les a pas encore vues et que celles que l’on trouve, en petit nombre, dans le courant de ce mois, sont des oiseaux cantonnés, ayant passé l’hiver.

Si vous objectez aux premiers que l’on en a trouvé quelques-unes durant tout le mois de mars, ils vous diront que c’étaient des retardataires ; tandis que les seconds soutiendront que ce n’était que l’avant-garde du gros de la bande qui arrivera au premier brusque changement de temps.

Oui a raison ? Le pour et le contre sont soutenables. Il se pourrait que la vérité fût entre les deux et que, s’il n’y a pas eu encore de passage, il ne s’en produisît pas plus tard. J’emploie ici le terme passage, dans le sens qu’on lui attribue d’habitude et qui indique exactement le contraire de ce que l’on veut dire. Les oiseaux qui passent, nous ne les trouvons pas dans les bois ; nous n’y rencontrons que ceux qui s’arrêtent. C’est donc un arrêt, et non un passage de bécasses qu’il faudrait dire, quand ces belles dames nous font l’honneur de se reposer chez nous au cours de leur voyage.

Un hiver très tempéré permet aux oiseaux migrateurs de séjourner chez nous et beaucoup ne poussent pas plus loin leur voyage. Depuis octobre jusqu’à mars, il y a toujours eu des bécasses dans nos bois ; elles ne sont pas, comme cela arrive dans les hivers rigoureux, descendues vers le Midi.

Quoi d’étonnant alors que ces oiseaux, disséminés dans le pays, bien portants, n’ayant pas souffert et dans les meilleures conditions pour accomplir leur voyage, soient partis, isolés ou par petits paquets, à diverses dates, et qu’ils aient d’une traite, gagné le Nord, sans nous signaler leur passage ?

D’autres bécasses, en moins grand nombre que d’habitude, ont été au Midi et ont traversé la Méditerranée. Ou bien, elles sont remontées en bloc vers le Nord, dès les premiers jours tièdes, et nous les trouvons nombreuses au commencement du mois. Ou bien leur voyage se fait sans cohésion dans le courant de mars, et elles viennent, au jour le jour, remplacer celles qui ont déserté nos bois au même moment. Ou enfin, nul brusque événement atmosphérique ne venant donner le signal et la température ne s’étant pas encore élevée au point de les obliger à fuir, les bécasses demeurent nombreuses dans les pays d’hivernage, et alors leur passage ne se fera que plus tard, en avril, et sera alors à peu près inaperçu.

R. VILLATTE DES PRUGNES.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 199