Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°598 Avril 1940  > Page 199 Tous droits réservés

Départs pour la chasse

Mon Dieu ! Que j’en ai vu des départs pour la chasse ! Combien ai-je vu de retours ! Les départs étaient toujours pleins de ces belles illusions qui donnent au chasseur l’enthousiasme qui doit si bien le soutenir dans l’action. Le retour, suivant les coins de chasse et aussi, il faut bien l’avouer, suivant l’adresse du tireur, sera triomphal et éloquent ou lamentable et silencieux. Il y aura aussi le chasseur à la chasse moyenne qui sera toujours assez satisfait de lui et qui contera comme pour se consoler des exploits médiocres. Il y a le chasseur qui ne peut pas chanter avec exubérance le perdreau parti très loin et qui cependant est tombé comme une masse en plein dans le coup. Quarante-cinq mètres deviennent souvent quatre-vingt mètres, tant l’amour de la réussite déforme les distances. Là où le vol d’un oiseau est placide, on aime lui donner des attitudes zigzagantes. Et ne me dites pas que ce ne sont là qu’exagération de chasseurs méridionaux ? Ceux du Nord et du Centre aiment aussi vêtir luxueusement leurs exploits cynégétiques. Celui qu’on appelle le petit chasseur campagnard est à ce point de vue très cousin germain du grand fusil des battues de Paris. Cela tient de l’amour-propre, d’un petit goût inné de la perfection dans le tir, et aussi, comme le disait ce si fin chasseur de Gascogne, Fernand Botet de Lacaze ..., de la poésie ... et alors ne devons-nous pas pardonner beaucoup à celui qui a poétisé un peu la réalité et qui en a fait comme une chanson de gestes « cynégétiques ».

Il y a mille façons de conter ses malheurs de la journée de chasse. On peut s’en prendre au chien, qui, dans les hautes fougères, n’a pas été capable de rapporter un perdreau ou deux, cependant tombés « bien raides ». On peut s’en prendre au fusil qu’on vient d’acheter et qui n’est pas encore à votre couche. Le vent violent, la pluie aveuglante, un terrain trop mou, des incidents variés, peuvent avoir fait manquer un gibier pourtant facile : des souliers trop étroits qui vous ont empêché d’une façon fort cruelle de suivre la chasse, une migraine brutale après le premier coup de fusil, des cartouches qui ne portent pas ! Il se peut noter aussi que chacun de ces éléments ait concouru à votre malchance. Nous avons tous eu une fois, dans notre vie de chasse, un fusil mal conformé, des souliers trop étroits, des cartouches médiocres, quelquefois une migraine après le premier coup. Souvenons-nous de nos déboires ! Nous avons eu des déceptions, quand nous avons manqué un oiseau plus vite que nous ne pensions, plus ardent à se lever que nous ne l’espérions, un lapin plus malin que nous et un lièvre moins bête que nous l’imaginions. Avouons tout simplement nos insuffisances dans le tir ou dans notre méthode de chasse.

Je me souviens de cette histoire d’un chasseur qui était un beau fusil de battue, mais qui doublait ou triplait toujours le nombre des perdreaux qu’il avait descendus. Il profitait, en ramassant ses oiseaux, de ceux des voisins. Un beau jour, les voisins décidèrent de lui jouer un bon tour, pour bien lui signifier qu’ils n’étaient pas dupes de ses exagérations. Ils parsemèrent, de perdreaux morts avant la battue, le secteur de notre grand fusil. La chance voulut, pour la réussite de la leçon, que trois perdreaux seulement se présentèrent devant son affût. Il les tira très correctement. Un de ses voisins le félicita de son tir et, négligemment, il annonça sept perdreaux. Devant son affût, on en ramassa douze. Il en fut un peu étonné ... et pour conclure il ajouta : « Quand une battue est un peu chaude, vous savez ... on n’a pas le temps de compter. » Et dans sa réponse il y avait beaucoup de poésie...

J. DE WITT.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 199