Mon Dieu ! Que j’en ai vu des départs pour la chasse !
Combien ai-je vu de retours ! Les départs étaient toujours pleins de ces
belles illusions qui donnent au chasseur l’enthousiasme qui doit si bien le
soutenir dans l’action. Le retour, suivant les coins de chasse et aussi, il
faut bien l’avouer, suivant l’adresse du tireur, sera triomphal et éloquent ou
lamentable et silencieux. Il y aura aussi le chasseur à la chasse moyenne qui
sera toujours assez satisfait de lui et qui contera comme pour se consoler des
exploits médiocres. Il y a le chasseur qui ne peut pas chanter avec exubérance le
perdreau parti très loin et qui cependant est tombé comme une masse en plein
dans le coup. Quarante-cinq mètres deviennent souvent quatre-vingt mètres, tant
l’amour de la réussite déforme les distances. Là où le vol d’un oiseau est
placide, on aime lui donner des attitudes zigzagantes. Et ne me dites pas que
ce ne sont là qu’exagération de chasseurs méridionaux ? Ceux du Nord et du
Centre aiment aussi vêtir luxueusement leurs exploits cynégétiques. Celui qu’on
appelle le petit chasseur campagnard est à ce point de vue très cousin germain
du grand fusil des battues de Paris. Cela tient de l’amour-propre, d’un petit
goût inné de la perfection dans le tir, et aussi, comme le disait ce si fin
chasseur de Gascogne, Fernand Botet de Lacaze ..., de la poésie ...
et alors ne devons-nous pas pardonner beaucoup à celui qui a poétisé un peu la
réalité et qui en a fait comme une chanson de gestes
« cynégétiques ».
Il y a mille façons de conter ses malheurs de la journée de
chasse. On peut s’en prendre au chien, qui, dans les hautes fougères, n’a pas
été capable de rapporter un perdreau ou deux, cependant tombés « bien
raides ». On peut s’en prendre au fusil qu’on vient d’acheter et qui n’est
pas encore à votre couche. Le vent violent, la pluie aveuglante, un terrain
trop mou, des incidents variés, peuvent avoir fait manquer un gibier pourtant
facile : des souliers trop étroits qui vous ont empêché d’une façon fort
cruelle de suivre la chasse, une migraine brutale après le premier coup de
fusil, des cartouches qui ne portent pas ! Il se peut noter aussi que
chacun de ces éléments ait concouru à votre malchance. Nous avons tous eu une
fois, dans notre vie de chasse, un fusil mal conformé, des souliers trop
étroits, des cartouches médiocres, quelquefois une migraine après le premier
coup. Souvenons-nous de nos déboires ! Nous avons eu des déceptions, quand
nous avons manqué un oiseau plus vite que nous ne pensions, plus ardent à se
lever que nous ne l’espérions, un lapin plus malin que nous et un lièvre moins
bête que nous l’imaginions. Avouons tout simplement nos insuffisances dans le
tir ou dans notre méthode de chasse.
Je me souviens de cette histoire d’un chasseur qui était un
beau fusil de battue, mais qui doublait ou triplait toujours le nombre des
perdreaux qu’il avait descendus. Il profitait, en ramassant ses oiseaux, de
ceux des voisins. Un beau jour, les voisins décidèrent de lui jouer un bon
tour, pour bien lui signifier qu’ils n’étaient pas dupes de ses exagérations.
Ils parsemèrent, de perdreaux morts avant la battue, le secteur de notre grand
fusil. La chance voulut, pour la réussite de la leçon, que trois perdreaux
seulement se présentèrent devant son affût. Il les tira très correctement. Un
de ses voisins le félicita de son tir et, négligemment, il annonça sept
perdreaux. Devant son affût, on en ramassa douze. Il en fut un peu étonné ...
et pour conclure il ajouta : « Quand une battue est un peu chaude,
vous savez ... on n’a pas le temps de compter. » Et dans sa réponse
il y avait beaucoup de poésie...
J. DE WITT.
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