Plus tard, en règle avec la loi, et le coup de fusil mieux
assuré, j’ai battu, en vrai chasseur, les flancs de la Gypière tout bruissants
de sauterelles aux ailes rouges. Quelles magnifiques journées du début
d’automne !... À peine le repas de midi achevé : en route ... Si
le soleil est ardent, les compagnies sont blotties dans les creux ombragés ...
De remise en remise, les becs rouges s’en vont, riant du pauvre bipède.
Finalement poussés hors de leur quartier, les voici refusant de continuer le
circuit. Le 16 alors commence à parler. Quels jolis coups dans ces pentes
brutales où l’oiseau, plongeant au ras du sol, ailes fermées, semble défier le
plomb ! ... Certains jours, vrais enragés, ils se posent, piètent
sans arrêt et partent fort loin. Pas moyen d’en mettre un dans le sac ;
mais quel joli tableau, lorsque sur la crête, le col levé, une compagnie défile
en ordre parfait !...
Vers les quatre ou cinq heures, dévalant des ravins abrupts,
je me dirige vers la plaine. Dans les champs herbus, riches en grains oubliés,
les cailles rebondies picorent. Tout doucement, Lola, le nez en l’air, va de
droite à gauche. Attention, la voici figée ... Lourdement, le petit
gallinacé s’envole, file droit, sans se douter que bientôt une gueule
frémissante la rapportera à son point de départ. Notre toutou, satisfait,
continue les recherches, n’oubliant aucune de ces bordures de hautes herbes, où
sont encore tapies les grosses paresseuses, se levant avec peine.
Tiens, que se passe-t-il ! À une allure endiablée, la
bête coule, arrête, repart. Sûrement un « roi des cailles ».
Arriverons-nous à le voir dans cet enchevêtrement de roseaux ? ...
Enfin, il se décide. Comme il paraît embarrassé de ses longues pattes ! ...
Laissons-le s’éloigner un peu.
Si la chance nous sourit en battant chaumes et cultures, une
compagnie de perdreaux gris, se levant à portée, nous permettra d’ajouter le
fer à cheval marron, aux petites reines dodues, qui demain sans retard
tourneront à la broche.
En sillonnant « la Palud », les heures
fuient ; déjà, à l’Ouest, le soleil nous dit de penser au retour. Rentrer
directement l’arme à la bretelle, comme un paisible retraité, lorsqu’on a des
jambes qui ne demandent qu’à continuer ? Impossible. Allons dire bonsoir à
la Gypière. Elle est là-haut, qui nous domine et nous défie avec ses flancs
rudes aux vallons mauves et violets. Alors, en route !... Les fortes
semelles recommencent l’ascension.
Ne pensons plus aux perdreaux qui rappellent sur les
sommets. Suivons les étroits cheminements semés d’excavations au-dessus des
« baous ». Avançons doucement sur les minuscules plates-formes
surplombant la falaise. Bien rare si quelque lapin, surpris, ne déguerpit à
toute allure vers les énormes gueules des terriers. Peut-être, balayant et
effaçant ses traces à coups de long panache, messire Goupil aura la fâcheuse
idée de surgir à bonne portée ...
Le crépuscule plein de mille bruits divers, chargé d’arômes
embaumés, enveloppe maintenant, dans la vaporeuse soierie d’une écharpe
bleutée, la grosse bête aux cent bosses. Il étend sur la plaine un voile plus
opaque. Des chauves-souris, filles de la nuit, quittent leurs obscures
retraites et tracent autour des vieux murs croulants du château féodal, des
arabesques sans fin ... Alors on retire les deux cylindres chargés de
mort, et, l’arme à la bretelle, on se décide au retour. Cependant, dissimulé
dans l’encoignure de cet énorme rocher, l’oreille tendue pour enregistrer la
vraie vie du peuple poilu, que de précieuses notes on glanerait ; coups de
pattes impérieux du lapin maudissant l’intrus, galop sonore, roulement de
cailloux détachés, cris étouffés, hurlements ou joyeuses fanfares de chiens en
chasse, tel est le concert qui vient bercer la Gypière impassible.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les années avec leur cortège de joies et de tristesses m’ont
éloigné du pays natal. J’ai connu des contrées plus giboyeuses : énormes
lièvres des bords du Rhin, tribus aquatiques de Camargue n’ont jamais effacé le
souvenir des premières saisons de chasse. Lorsque j’en ai eu l’occasion,
reprenant les sentiers d’autrefois, j’ai battu ces mêmes parages mais,
hélas ! quel désert ! ...
Traquées dès l’ouverture, les rares compagnies de perdreaux
rouges fuient hors de portée. Journellement poursuivies par des chasseurs
tenaces, elles ne sont plus qu’un souvenir à la Toussaint. Les lièvres ? ...
Sauf dans les marnes presque inaccessibles, attenant à la montagne, on ne
trouve aucune trace de leur présence. Quant aux lapins, malgré des vertus
prolifiques indéniables, ils ont dû crier : pouce ! ... Tous les
terriers où le furet pouvait opérer, visités et revisités, vides de locataires,
devenaient appartements de nuisibles. Heureusement, quelques immenses
retraites, vraies catacombes aux mille sorties, protégeaient la race.
La revalorisation des produits agricoles fit naître une
furie de défrichement. Broussailles et roseaux coupés, arrachés, brûlés,
retournés ; marécages assainis par des drainages, ont été avantageusement
remplacés — pour le propriétaire et non pour le gibier ! — par
d’immenses champs de céréales, de luzerne ou de pommes de terre. Moins de
cailles : sûrement chaque printemps en ramène peu. Parmi ces rares
couvées, plusieurs sont anéanties à la fauchaison. Quelques compagnies en
réchappent : mais, dès l’ouverture, nous voyons arriver des groupes de
chasseurs accompagnés d’excellents chiens. Ils ont tôt fait de glaner les
rescapées, parfois au grand dommage des luzernes réservées pour la graine,
refuges respectés par les habitants du pays.
(À suivre.)
A. ROCHE.
(1) Voir numéro de mars 1940.
|