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Dans le Bas-Dauphiné

La « Gypière » (1).

Plus tard, en règle avec la loi, et le coup de fusil mieux assuré, j’ai battu, en vrai chasseur, les flancs de la Gypière tout bruissants de sauterelles aux ailes rouges. Quelles magnifiques journées du début d’automne !... À peine le repas de midi achevé : en route ... Si le soleil est ardent, les compagnies sont blotties dans les creux ombragés ... De remise en remise, les becs rouges s’en vont, riant du pauvre bipède. Finalement poussés hors de leur quartier, les voici refusant de continuer le circuit. Le 16 alors commence à parler. Quels jolis coups dans ces pentes brutales où l’oiseau, plongeant au ras du sol, ailes fermées, semble défier le plomb ! ... Certains jours, vrais enragés, ils se posent, piètent sans arrêt et partent fort loin. Pas moyen d’en mettre un dans le sac ; mais quel joli tableau, lorsque sur la crête, le col levé, une compagnie défile en ordre parfait !...

Vers les quatre ou cinq heures, dévalant des ravins abrupts, je me dirige vers la plaine. Dans les champs herbus, riches en grains oubliés, les cailles rebondies picorent. Tout doucement, Lola, le nez en l’air, va de droite à gauche. Attention, la voici figée ... Lourdement, le petit gallinacé s’envole, file droit, sans se douter que bientôt une gueule frémissante la rapportera à son point de départ. Notre toutou, satisfait, continue les recherches, n’oubliant aucune de ces bordures de hautes herbes, où sont encore tapies les grosses paresseuses, se levant avec peine.

Tiens, que se passe-t-il ! À une allure endiablée, la bête coule, arrête, repart. Sûrement un « roi des cailles ». Arriverons-nous à le voir dans cet enchevêtrement de roseaux ? ... Enfin, il se décide. Comme il paraît embarrassé de ses longues pattes ! ... Laissons-le s’éloigner un peu.

Si la chance nous sourit en battant chaumes et cultures, une compagnie de perdreaux gris, se levant à portée, nous permettra d’ajouter le fer à cheval marron, aux petites reines dodues, qui demain sans retard tourneront à la broche.

En sillonnant « la Palud », les heures fuient ; déjà, à l’Ouest, le soleil nous dit de penser au retour. Rentrer directement l’arme à la bretelle, comme un paisible retraité, lorsqu’on a des jambes qui ne demandent qu’à continuer ? Impossible. Allons dire bonsoir à la Gypière. Elle est là-haut, qui nous domine et nous défie avec ses flancs rudes aux vallons mauves et violets. Alors, en route !... Les fortes semelles recommencent l’ascension.

Ne pensons plus aux perdreaux qui rappellent sur les sommets. Suivons les étroits cheminements semés d’excavations au-dessus des « baous ». Avançons doucement sur les minuscules plates-formes surplombant la falaise. Bien rare si quelque lapin, surpris, ne déguerpit à toute allure vers les énormes gueules des terriers. Peut-être, balayant et effaçant ses traces à coups de long panache, messire Goupil aura la fâcheuse idée de surgir à bonne portée ...

Le crépuscule plein de mille bruits divers, chargé d’arômes embaumés, enveloppe maintenant, dans la vaporeuse soierie d’une écharpe bleutée, la grosse bête aux cent bosses. Il étend sur la plaine un voile plus opaque. Des chauves-souris, filles de la nuit, quittent leurs obscures retraites et tracent autour des vieux murs croulants du château féodal, des arabesques sans fin ... Alors on retire les deux cylindres chargés de mort, et, l’arme à la bretelle, on se décide au retour. Cependant, dissimulé dans l’encoignure de cet énorme rocher, l’oreille tendue pour enregistrer la vraie vie du peuple poilu, que de précieuses notes on glanerait ; coups de pattes impérieux du lapin maudissant l’intrus, galop sonore, roulement de cailloux détachés, cris étouffés, hurlements ou joyeuses fanfares de chiens en chasse, tel est le concert qui vient bercer la Gypière impassible.

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Les années avec leur cortège de joies et de tristesses m’ont éloigné du pays natal. J’ai connu des contrées plus giboyeuses : énormes lièvres des bords du Rhin, tribus aquatiques de Camargue n’ont jamais effacé le souvenir des premières saisons de chasse. Lorsque j’en ai eu l’occasion, reprenant les sentiers d’autrefois, j’ai battu ces mêmes parages mais, hélas ! quel désert ! ...

Traquées dès l’ouverture, les rares compagnies de perdreaux rouges fuient hors de portée. Journellement poursuivies par des chasseurs tenaces, elles ne sont plus qu’un souvenir à la Toussaint. Les lièvres ? ... Sauf dans les marnes presque inaccessibles, attenant à la montagne, on ne trouve aucune trace de leur présence. Quant aux lapins, malgré des vertus prolifiques indéniables, ils ont dû crier : pouce ! ... Tous les terriers où le furet pouvait opérer, visités et revisités, vides de locataires, devenaient appartements de nuisibles. Heureusement, quelques immenses retraites, vraies catacombes aux mille sorties, protégeaient la race.

La revalorisation des produits agricoles fit naître une furie de défrichement. Broussailles et roseaux coupés, arrachés, brûlés, retournés ; marécages assainis par des drainages, ont été avantageusement remplacés — pour le propriétaire et non pour le gibier ! — par d’immenses champs de céréales, de luzerne ou de pommes de terre. Moins de cailles : sûrement chaque printemps en ramène peu. Parmi ces rares couvées, plusieurs sont anéanties à la fauchaison. Quelques compagnies en réchappent : mais, dès l’ouverture, nous voyons arriver des groupes de chasseurs accompagnés d’excellents chiens. Ils ont tôt fait de glaner les rescapées, parfois au grand dommage des luzernes réservées pour la graine, refuges respectés par les habitants du pays.

(À suivre.)

A. ROCHE.

(1) Voir numéro de mars 1940.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 200