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Le chien

Et voici maintenant un autre chien d’arrêt à poil ras qui est encore dépourvu du marron classique du Braque : le Saint-Germain, chien à poil court blanc et orange. Mais ici l’explication est facile. Bien qu’appelé autrefois « Braque de Compiègne » et plus tard seulement « Braque de Saint-Germain », ce chien très joli, très élégant, trop élégant même, n’est qu’un issu de Braque à 50 p. 100, c’est-à-dire unilatéralement, puisqu’il est le résultat du croisement Braque-Pointer. Le chien obtenu n’est donc ni un Braque ni un Pointer, mais un métis des deux. Il a d’ailleurs été appelé longtemps « Pointer-Saint-Germain », et on est en droit de se demander si cette appellation lui convient mieux ou moins bien que celle de « Braque de Saint-Germain ». En réalité, ces deux termes sont inexacts, car un Braque croisé de Pointer n’est plus un Braque et n’est pas un Pointer.

Tout le monde connaît d’ailleurs l’origine de la race : un Braque français congrûment blanc et marron, Zamor, au comte de l’Aigle, et une chienne Pointer blanc et orange importée d’Angleterre pour le roi de France, furent les premiers créateurs de la nouvelle variété. Le Saint-Germain est donc, sans discussion possible, un chien d’arrêt anglo-français. Mais alors, pourquoi le classe-t-on délibérément dans les continentaux ? Cette façon d’opérer est, pour le moins, très discutable. Très discutable, dis-je, et encore plus discutable aujourd’hui que vers 1830. À cette époque, en effet, le Saint-Germain avait bien réellement 50 p. 100 de sang braque et 50 p. 100 de sang pointer. Aujourd’hui, on a beaucoup trop facilement tendance à favoriser celui-ci au détriment de celui-là. Les sujets ayant seulement 25 p. 100 de sang braque ne sont pas rares, et je crois même que je suis peut-être en dessous de la vérité. Nombreux sont aujourd’hui les Saint-Germain qui ne sont que des Pointers très légèrement mâtinés de Braque. Ils le montrent d’ailleurs par leur extérieur, leur influx nerveux et leur manière de faire sur le terrain.

De tout ceci, il résulte que la façon de chasser des Saint-Germain actuels varie de sujet à sujet, selon la dose de pointer et de braque de chacun. Le Saint-Germain, en lequel domine le sang braque, chasse en Braque ou à peu près. Celui, au contraire, qui est très près du sang pointer, a perdu toutes les qualités du Braque, et, sauf rarissime exception, n’a pris aucune de celles du Pointer. Ce sont, du reste, les appels beaucoup trop fréquents au sang anglais, qui ont mis la race en l’état où nous la voyons bien souvent aujourd’hui.

Mais les Saint-Germain, bien équilibrés, sont, la plupart du temps, de fort bons chiens et de fort beaux chiens, et les deux choses vont parfaitement de pair ensemble, quoi qu’il eût pu en paraître autrement au baron de Vaux qui n’était pas tendre pour le Saint-Germain.

J’ai connu, à trois lieues d’ici, un vieux gentilhomme qui, pendant sa longue carrière, n’a jamais utilisé que des Saint-Germain. Je dois dire qu’il avait toujours d’excellents chiens.

En tête des chiens d’arrêt à poil long de races françaises, nous devons placer : l’Épagneul français.

Je vous ferai grâce, tout d’abord, de l’étymologie du mot « Épagneul ». L’Épagneul qui vient d’Espagne, selon les dires de vieux auteurs qu’ont copié servilement et sans contrôle des cynophiles plus récents, est une vieille rengaine qui pêche par la base : 1° Il n’y a pas d’Épagneul dans la péninsule hispanique, et aucun rapport, aucun texte ancien ne peut nous autoriser à croire qu’il y en ait jamais eu. Pourquoi aurait-il disparu d’ailleurs ? Le Braque espagnol existait, et il s’est parfaitement conservé, puisqu’il existe toujours. Alors ?... 2° Les mots espaignol et espaigneux, employés par Gaston Phœbus, servent à désigner le chien d’Oysel, terme très général s’appliquant à tous les chiens chassant sous l’oiseau. Il n’y a aucune spécification de poil. Le mot Épagneul n’avait pas, à cette époque, le sens qu’on lui donne aujourd’hui.

À vrai dire, les origines de l’Épagneul sont à peu près inconnues. Telle est l’opinion, confirmée par M. Mégnin, du regretté abbé Fournier, grand amateur et éleveur de la race. Cependant il y a de fortes chances pour que l’Épagneul le plus ancien ait une origine française.

Comme le Braque, dont il paraît être le contemporain, l’Épagneul est vêtu de la classique livrée blanc et marron. Les deux chiens ont d’ailleurs eu sensiblement le même sort, à savoir qu’ils ont été l’un et l’autre victimes des croisements les plus variés, dont le résultat le plus certain a été la raréfaction de ces deux excellentes races très répandues en France autrefois.

L’Épagneul français est la personnification du bon caractère, du bon cœur, du brave et loyal serviteur : c’est « le Chien » dans toute la force du terme. Certes, sur cette terre, il n’est pas d’être parfait. Notre brave Épagneul français lui-même n’est pas à l’abri de toute critique. Il a, dans l’ensemble, les qualités du Braque, et quelques autres encore ; cependant il a moins d’allure, il est plus mou et, chose plus grave, il lui est plutôt inférieur au point de vue olfactif.

Que ces critiques toutefois ne nous fassent pas oublier les nombreuses et précieuses qualités de l’Épagneul français. C’est d’abord un chasseur sur tous terrains (plaine, bois et eau) et sur tous gibiers. C’est un chien très doux, intelligent et travailleur sérieux : conséquemment très facile à dresser et utilisable par tous. C’est un chien complet et un chien rustique. Mais c’est aussi l’ami dévoué de son maître pour qui il a une affection sans bornes ; c’est le compagnon décoratif de la maîtresse, au salon comme en voiture ; c’est le camarade de jeux des enfants qu’il aime beaucoup et qu’il aime intelligemment. Mais ce qui paraît primer chez ce chien, c’est le cœur. Hormis le caniche, je ne connais aucun chien aussi sentimental que lui. C’est bien réellement l’ami de tous dans la famille, l’auxiliaire à tout faire sur le terrain. Que celui qui ne peut avoir qu’un seul chien doit être heureux s’il possède un Épagneul français !

L’Épagneul picard est aussi un fort joli chien. Ce n’est, en fait, qu’une variété locale de l’Épagneul français. On le rencontre surtout dans la Somme, et aussi dans les Ardennes.

Il diffère surtout par sa robe de l’Épagneul français : les taches marron, au lieu d’être disposées sur fond blanc, sont disséminées sur un fond grisaille marron moucheté. On voit aussi beaucoup de ces chiens marqués de feu en tête ou aux membres.

Il y a une vingtaine d’années environ, ces marques de feu se rencontraient parfois sur des Épagneuls français d’excellente origine. Elles ne sont plus admises aujourd’hui par le Standard de l’Épagneul français. Ces taches, qui se retrouvent encore maintenant chez l’Épagneul picard, ont certainement la même origine.

L’Épagneul picard est un chien décoratif et puissamment établi. Mais, au point de vue utilisation, je ne lui crois pas l’ensemble des qualités indiscutables qui ont fait la réputation de son très proche parent, l’Épagneul français.

L’Épagneul de Pont-Audemer, marron aussi, est une création française relativement récente. Ce chien répondait à un besoin et a été créé dans ce but. Je dis création française, parce qu’il a été créé en Normandie ; mais le chien lui-même n’est français que dans la proportion de 50 p. 100.

L’Épagneul de Pont-Audemer a été créé spécialement pour la chasse au marais. Mais, la plupart du temps, entre les mains de petits chasseurs, ce chien est mis souvent à toutes les sauces. C’est une erreur, car ce n’est pas un chien à tout faire, ses moyens ne le lui permettent pas. Il ne manque cependant pas d’allure en plaine et a même un goût prononcé pour cette chasse ; mais il n’a malheureusement pas le nez des autres continentaux. Cependant, il est excessivement malin et fureteur, et sa roublardise arrive parfois à suppléer à son manque de nez. Au bois il n’est pas impeccable non plus, et il a une tendance à bourrer qui n’améliore pas la qualité de son arrêt.

Mais il est absolument supérieur au marais. Il aime l’eau, il fouille partout, du nez, des yeux et des pattes, il arrête et il rapporte à la perfection. Tous les Pont-Audemer font, d’ailleurs, d’excellents retrievers.

Cette race a été obtenue par le croisement du petit Épagneul français très répandu en Normandie à cette époque et d’un chien d’eau anglais. Lequel ? Les opinions diffèrent, mais, en tous cas, d’un chien qui n’arrêtait pas.

M. de Coninck supposait qu’il fallait voir en ce chien d’eau anglais un Old English Water Spaniel. Deux cynophiles plus avertis, MM. Mégnin et Beuzeboc, célèbre éleveur et utilisateur de Pont-Audemer, ont prétendu que l’ancêtre incontestable est l’Irish Water Spaniel, et non l’Old English Water Spaniel. Je me range sans hésitation à cette dernière opinion, d’ailleurs beaucoup plus vraisemblable pour l’œil exercé qui examine sérieusement les quatre animaux : Old English Water Spaniel, Irish Water Spaniel, Épagneul français, Épagneul de Pont-Audemer. Il résulte bien nettement de l’examen que le Pont-Audemer est bien le descendant de l’Irish Water Spaniel. D’ailleurs, chez notre petit Pont-Audemer, d’où proviendraient la face rase et le toupet caractéristique, sinon de l’Irish Water Spaniel ?

(À suivre.)

J. DHERS.

(1) Voir nos 588 et suivants.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 205