Ce qu’il ne faut pas faire

C’est tenter d’améliorer nos chiens de chasse par croisements entre courants et chiens d’arrêt. Après le travail définitif, on peut le dire, du commandant de Marolles, sur les origines anciennes des deux entités, il n’est plus permis de les confondre. Il a démontré que l’homme s’est trouvé dès le début en présence de chiens chassant à la surprise et isolés, d’autres forçant leur proie à la course et en meute. De nos jours, ces deux espèces sont encore représentées par divers canidés sauvages. Il est très heureux qu’on puisse produire bien vivante cette pièce à conviction, si on ose dire.

Selon toute apparence, les chiens surpreneurs, chassant près du maître et s’emparant pour lui du gibier, ont été les premiers domestiques. Pour la chasse au filet, c’étaient des auxiliaires précieux. Les plus vigoureux et les plus grands étaient des chiens d’attaque, pour la lutte contre les gibiers volumineux ou dangereux. Que le chien pointant et ensuite arrêtant ferme soit issu du surpreneur, il n’y a rien là que de parfaitement logique. Arhwrigt a dit justement qu’il était aisé de faire arrêter un chien terrier. Celui-ci est, en effet, un surpreneur, guettant longuement et pointant avant de bondir sur l’animal qu’il veut saisir. On ne crée pas un instinct, mais on peut le développer et jusqu’à l’excès par sélection longuement suivie. On a réalisé des chiens, chez lesquels l’arrêt est une fin en soi comme des courants, pour qui suivre une piste est une volupté ; les uns et les autres ont perdu le goût et jusqu’au désir de la prise qui, pour tout carnivore, est le but de l’effort.

On sait, en effet, le peu d’entrain de beaucoup de chercheurs d’émanations directes, comme les pointers très purs, aux attitudes de buveurs d’air pour le rapport, et on peut ajouter leur aptitude réduite au travail des grands « runners ». Ce sont des chiens hautement spécialisés dans leur genre, comme le Bloodhound et tous ceux du type au crâne en dôme et oreille importante et roulée le sont dans le leur, entièrement opposé. Chercheurs d’émanations lointaines, tête haute. d’une part, interrogateurs scrupuleux, tête basse, des pistes de l’autre.

Qu’on ait songé à amalgamer ces vertus, cela devait advenir. Ainsi, nous avons vu marier le braque continental (substrat véritable de l’hyperbraque qu’est le pointer) avec tel représentant de la forme de chien courant la plus représentative du genre, celle au crâne en dôme, etc. Il en est sorti, comme nous l’a dit mon collègue et ami Dhers, deux braques se ressemblant fort par l’architecture et le moral, sinon par la robe, pisteurs à souhait et volumineux aussi, que je lui suis reconnaissant d’avoir qualifiés de corniauds. D’avoir osé le dire, lui, homme du Midi, dans un milieu où vivotent encore ces deux prétendus chiens d’arrêt, il faut lui en savoir gré, car ces seigneurs avaient, aux premiers temps de ce siècle des sectateurs zélés, dont il doit demeurer descendance.

Je vais aller beaucoup plus loin encore, et dire que c’est à ce corniaudage, voulu pour obtenir des chiens à caille supérieurs à tout, qu’on doit l’injuste et déplorable abandon dont est victime l’admirable compagnon qu’est le Braque Français, une des variétés les plus prototypiques du continental. Le public a été amené à confondre ces divers porteurs de poil ras et a été dégoûté de la lenteur et des manières des corniaudés (chiens à tout faire en aucune façon), enfin de leur volume. Je soupçonne fort que le volume dont certains ont voulu affliger aussi celui qui seul avait le droit au titre de chien d’arrêt pur, a eu fâcheuse influence sur sa diffusion en dehors de certaines limites. Pour parler plus exactement, c’est à elle que l’on doit le rétrécissement de l’aire de dispersion d’icelui. On rencontrait autrefois un peu partout le Braque Français, alors que maintenant on ne saurait le dire. Or, malheur aux races dont l’aire de dispersion va en diminuant ! Ne sont assurées de l’avenir que celles ayant clientèle en nombreux pays. Fort heureusement voit-on des éleveurs de ce chien national revenir à la tradition du modèle moyen, en volume et taille, tel qu’il fut et tel qu’il faut être pour obtenir le succès. L’essentiel est de vivre et de proliférer largement ; c’est autrement important que de bysantiniser sur le type lourd et le type léger, le premier une erreur et le second (à prendre le qualificatif au pied de la lettre) une autre.

On me dira qu’à propos de pointer justement, les Anglais ont fait des choses merveilleuses en lui infusant du sang de foxhound. Les plus excités voudront même voir en ce croisement un moyen d’amélioration des pouvoirs olfactifs. Or, comment veut-on qu’un chien brillant par sa vigoureuse structure, sa santé et son équilibre, mais réputé pour la valeur, mettons modérée, de son nez, puisse de ce chef améliorer quoi que ce soit ? Il y avait des pointers, et depuis belle lurette, avant qu’il ne fût question du foxhound. Sans doute a-t-on obtenu le fameux Dash, issu d’un foxhound et d’une pointer, qui fut excellent chien d’arrêt. Là-dessus, on a édifié, une légende, comme il se doit. Arkwrigt lui, a étudié l’affaire en historien, ce qui vaut mieux. Grâce à quoi on sait ce que fut ce météore sans contemporains, ni descendants avouables, On devrait donc condamner pareilles pratiques. J’ai, deux fois au cours de ma carrière, vu à l’œuvre des pointers descendants certains du foxhound : un mâle qui en était un véritable sous poil blanc et foie et une femelle qui ne l’était guère moins. L’un et l’autre étaient privés du don de l’arrêt naturel. Pour des chiens dits d’arrêt, c’est un comble !

Mais, voilà, le goût des fortes ossatures est développé chez certains amateurs ; d’autres redoutent les chiens d’arrêt qui arrêtent trop. Alors le croisement avec ceux qui n’arrêtent pas du tout — ce système révolutionnaire consistant à tout démolir, pour voir ce que cela donnera, — procède de l’esprit de folie destructeur dont l’espèce humaine n’a jamais tiré heureux résultat.

Lorsque la spécialisation à outrance parvient à produire l’hystérie de l’arrêt, on peut trouver, au sein de la race de familles en état de bon équilibre, des facultés dont l’alliance remettra les choses en ordre. C’est plus sage et d’effet plus assuré pour le présent et l’avenir que le recours au chambardement.

Les veneurs, gens observateurs et prudents, procèdent avec sagesse. Quand ils ont vu que les Normands, suiveurs excellents, étaient preneurs médiocres, ils y ont mis du sang des Poitevins, preneurs réputés. Quand ils ont eu des Poitevins lamés à l’excès et bégus en série, ils y ont mis du Normand. Quand ils ont vu que le pur basset du même nom était d’un volume excessif, ils l’ont allégé et vivifié par l’apport du sang d’Artois. On pourrait multiplier les exemples de ce savoir-faire, basé sur l’observation et la réflexion dont les fruits ont été si heureux. Ce n’est pas à eux que l’on doit le corniaud.

Le corniaud répondant à la définition classique est fils de chien d’arrêt et de lice courante. Dans les régions où le chasseur moyen pratique surtout la chasse au courant, il advient, par période, qu’il tente la fabrication du corniaud, pour avoir un collaborateur très lanceur. Il est vrai, ce métis remplit généralement très bien ce rôle mais il mène sans beaucoup de persévérance et confond souvent le contre et le droit, étant de nature emballeur. Sans doute, faudrait-il utiliser les services d’un mâle appartenant à une race d’arrêt renommée pour le travail des pistes, afin de pallier ces défauts. En tout état de cause, on n’obtiendra jamais qu’un chien de braconne. Dans ma région, on avait, il y a quelque quarante ans, pas mal recherché le corniaud ; mais l’essai fut sans lendemain. Le meilleur que j’ai vu était un chien fauve produit de Gordon et de lice fauve du pays. Il chassait bien le renard et avec beaucoup d’entrain ; par ailleurs, il n’était en rien supérieur à ses congénères.

J’ai fait plus haut allusion aux alliances entre mâles courants et femelles d’arrêt. Le produit est appelé le corniaud à rebours et arrête très généralement, se comportant plus en chien d’arrêt qu’en courant. L’alliance foxhound-pointer, pratiquée par certains, n’a eu d’autre but que de renforcer l’ossature du pointer : celle d’un courant très collé à la voie et de notre braque national, d’améliorer les qualités de pisteur de ce dernier.

Akwrigt a formellement condamné la première ; l’épreuve du temps a montré l’inutilité de la seconde.

Notre braque est naturellement un retriever de premier ordre, comme notre grand épagneul l’est aussi. Nul besoin donc d’alourdir et de modifier le moral du premier.

Nos ennemis ont eu un gros braque cousin germain du nôtre. Leur premier soin a été de l’alléger et d’en faire le chien que le monde entier connaît. Ce néo-braque présente des vertus de pisteur célèbre, et pourtant, c’est pour une grande part avec le concours du pointer qu’il a été obtenu. Seulement, il y a pointer et pointer, et la manière de s’en servir en croisement. La sagesse commande donc de ne pas dauber sur une méthode qui a produit tels fruits. Parce qu’on n’a pas su en user, ce n’est pas motif de la condamner, d’autant que les résultats en étant visibles chez le voisin, il y aurait quelque ridicule à ce faire. Chez nous, d’ailleurs, nous lui devons le braque dit de Saint-Germain, sans en compter l’essai avec d’autres qu’on n’avoue pas. Croyez-moi, ce croisement, fait suivant les règles, ne saurait se comparer au funeste corniaudage.

Ce que j’ai voulu montrer en cette causerie, est l’originalité respective des deux genres de chiens de chasse. Le moral et les attitudes sur le terrain en sont si nettement différents, qu’il faut conclure avec Marolles à leur différenciation très ancienne, et peut-être de toujours. Vouloir l’amalgame, c’est tentant ; mais l’expérience prouvant que l’opération est demeurée toujours sans lendemain, mieux vaut y renoncer. On peut en dire autant du croisement avec le lévrier, pourtant assez neutre moralement. La race de chiens d’arrêt ayant avérément sang et silhouette graioïdes a eu une durée éphémère. Je sais aussi, par le regretté maître qu’était M. Hublot du Rivault, qu’un croisement analogue fut tenté avec les courants du Poitou. Personnellement, j’ai vu une lice poitevine, au fouet crocheté et aux oreilles plus ou moins déjetées, très levrettée et vite. Elle brillait surtout dans un à vue et par ailleurs ne valait guère. Dans l’occurrence, il faut redouter la réversion sur le sang du lévrier, très pur et ancien comme le monde. On n’avait pas songé à cela. Avant tout croisement, il est bon de s’informer, de savoir ce que cela a donné et comment il a été procédé. Il est bien rare qu’on s’inquiète de ces deux points, l’un et l’autre essentiels ; car, voyez-vous ? seuls les faits comptent.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 206