Celui-là a un ami, qui a un chien ; il ne peut se dire
déshérité et ne marche pas seul dans la vie.
Un chien !... Quel ami dans l’infortune, dévoué et
fidèle à toutes les heures de l’existence, jaloux d’une affection qu’il a su
mériter, qui vous donne sans retour la sienne, inaltérable comme l’or,
désintéressée vigilante jusqu’à la mort !...
Le chien est à la première étape de l’homme vers la
civilisation. Il est intimement lié à son histoire. Qu’eût fait l’homme sans le
chien à ce moment ? ...
« Chaque matin avant l’aurore, dit Michelet, et quand
rôde encore le tigre, partent les deux camarades, je veux dire l’homme et le
chien. Il s’agit du chien primitif, de ce dogue colossal, sans lequel la terre
eût été inhabitable, être secourable et terrible qui seul vint à bout des
monstres. » Et plus tard : « ... Tout le jour, l’homme dompte la
terre, sous la garde du chien fidèle ... »
Dans leurs guerres contre les Romains, nos ancêtres les
Gaulois lançaient contre l’envahisseur des chiens dressés au combat, rangés à
l’extrémité de leurs lignes et qui n’étaient pas leurs moindres auxiliaires.
Le chien, en effet, fut d’abord, pour l’homme, le compagnon
de ses chasses, et son flair le servit mieux que la merveilleuse sagacité de
l’Indien. Il fut un aide précieux dans ses guerres, un gardien vigilant pendant
ses nuits. Dans la paix, il se fit pasteur et veilla sur ses troupeaux. Ils
partagèrent les mêmes fatigues, les mêmes dangers, le même repas, dans
l’abondance ou la misère. Et ils devinrent inséparables. L’homme apprivoisa le
chien. Avant qu’il se fût confié à son semblable, l’homme et le chien étaient
amis. Et l’on comprend pourquoi la reine Cléopâtre faisait punir de mort celui
qui tuait un chien.
Aux temps reculés du paganisme, chez les Romains comme dans
l’antique Égypte, le chien fut érigé en divinité, dans le ciel, dans les enfers
et sur la terre.
La primitive religion Celtique, comme celle de l’ancienne
Perse, entre autres, avaient institué des règles sur le droit des animaux, les
considéraient comme des frères inférieurs, les comprenaient dans la morale, les
protégeaient contre l’injustice, leur accordaient même une âme, et priaient les
animaux, pour qu’ils les protègent.
Leur mort n’était justifiée que dans le cas de nécessité,
pour les animaux nuisibles, ou pour la subsistance de l’homme, et on ne les
immolait que selon des rites.
Les chiens jouissaient de certains droits au même titre que
les hommes. Tuer un chien gardien des troupeaux, chez les Perses, c’était vouer
son âme au principe du mal, exposer son salut ; le blesser était un
crime ; le mal nourrir, une faute punissable. Et le chien dans chaque
maison était considéré comme le génie tutélaire chargé de garder le foyer et de
la protection des troupeaux.
« Il n’y aurait point de sûreté, dit Zoroastre, pour
les maisons sur la terre créée par Ormuzd, s’il n’y avait pas les chiens qui
veillent pour le bétail et pour les habitations. »
Et le chien inséparable de l’homme, jouissant des mêmes
prérogatives, franchit avec lui le seuil d’une autre vie.
Pythagore et Platon chez les Grecs avaient, de même, doté
les bêtes d’une âme raisonnable, mais qu’elles étaient incapables d’exprimer.
Nos pères n’avaient point appris comme nous à méconnaître le
chien. Jusqu’en des temps plus proches, ils avaient le culte de la reconnaissance
et savaient garder sa mémoire. Devant les mausolées, à l’entrée du sépulcre où
reposait le maître, ils sculptaient son chien, gardien fidèle dans la mort.
C’est ainsi que nous pouvons voir encore, couchés aux pieds de l’image des
chevaliers, étendus sur leurs tombeaux, leurs grands chiens favoris attendant
leur réveil. Il semblait naturel de les placer toujours à côté de ces preux.
Le chien laisse dans le souvenir de l’homme un
attendrissement lointain, dont ne peut se défendre le cœur même du méchant. Qui
n’a aimé un chien ? ... Et qui ne se souvient de la caresse de son
regard si empli d’affection, sa tête couchée sur vos genoux, de son regard
humide qui lit si bien dans le vôtre pour suivre votre pensée, plus tendre que
celui d’une maîtresse, plus affectueux que celui d’un ami.
H. MAZEAU.
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