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Sylviculture

La lune rousse et les arbres.

Pendant la période de la lune commençant en avril, devenant pleine souvent à la fin de ce mois ou dans le courant de mai, il arrive souvent, lorsque le ciel est bien clair et serein, que les feuilles naissantes et les bourgeons des jeunes plants roussissent, bien que le thermomètre marque plusieurs degrés au-dessus de zéro. Ce phénomène se produit quelquefois quand la lune est couchée, et souvent lorsqu’elle est au-dessus de l’horizon. Ce fait est dû plutôt à l’abaissement de la température et au rayonnement vers les espaces célestes. Il se produit quand le ciel est dégagé de nuages, et non par l’action de la lune.

Des gardes-forestiers croient que l’apparition de la lune d’avril-mai a dans les nuits froides une grande influence sur la végétation des arbres et est cause de la destruction des jeunes pousses.

Les jeunes arbres, les exotiques surtout, souffrent de l’abaissement de la température, sans que la lune produise aucun effet réel. Il est un fait certain, c’est qu’avec des circonstances thermométriques toutes pareilles, un petit arbre pourra être gelé ou ne l’être pas, suivant que la lune sera visible ou masquée par des nuages. Mais on se trompe en attribuant l’effet produit à la lumière de la lune, qui non seulement n’est pas la cause du phénomène, mais l’indice d’une atmosphère pure et sereine ; que la lune soit couchée ou levée, le phénomène a lieu tout de même.

Arago, dans le troisième volume de son Astronomie populaire, a parfaitement démontré que les arbres souffrent de l’abaissement de la température, sans que la lune produise aucun effet réel. Nous allons citer quelques explications de l’illustre astronome.

Les forestiers et les jardiniers, a-t-il écrit, donnent le nom de lune rousse à la lune qui, commençant en avril, devient pleine, soit à la fin de ce mois, soit le plus souvent dans le courant de mai. Suivant eux, la lumière de la lune dans les mois d’avril et de mai exerce une fâcheuse action sur les jeunes pousses des arbres. Ils assurent avoir observé que, la nuit, quand le ciel est serein, les feuilles, les bourgeons exposés à cette lumière roussissent, c’est-à-dire se gèlent, quoique le thermomètre dans l’atmosphère se maintienne à plusieurs degrés au-dessus de zéro. Ils ajoutent encore que, si un ciel couvert arrête les rayons de l’astre, les empêche d’arriver jusqu’aux arbres, les mêmes effets n’ont pas lieu, sous des circonstances de température d’ailleurs parfaitement pareilles. Ces phénomènes semblent souligner que la lumière de notre satellite est douée d’une certaine vertu frigorifique ; cependant, en dirigeant les plus larges lentilles, les plus grands réflecteurs vers la lune, et plaçant ensuite à leur foyer des thermomètres très délicats, on n’a jamais rien aperçu qui puisse justifier une aussi singulière conclusion. Aussi, dans l’esprit des physiciens, la lune rousse se trouve maintenant reléguée parmi les préjugés populaires, tandis que certains sylviculteurs et des agriculteurs restent encore convaincus de l’exactitude de leurs observations.

Une belle découverte de M. Wells a tranché la question. Sa découverte consiste en ce que la température des corps solubles, comme de petites masses de coton, d’édredon et de végétaux, peut s’abaisser de 6, de 7 et même de 8 degrés centigrades au-dessous de la température de l’atmosphère ambiante, lorsqu’ils sont exposés la nuit au rayonnement calorique vers les espaces célestes.

D’ailleurs, ces différences entre les deux températures n’atteignent ces limites extrêmes de 6, 7 ou 8 degrés que par un temps parfaitement serein et, si le ciel est couvert, elles disparaissent tout à fait ou deviennent insensibles. Or, pendant les nuits des mois d’avril et de mai, la température de l’atmosphère étant le plus souvent de 4, de 5 ou 6 degrés au-dessus de zéro, les arbres, si le ciel est serein et par conséquent si la lune n’est pas masquée par des nuages, peuvent avoir leur température abaissée à zéro et même au-dessous, et leurs pousses, souffrant de l’abaissement de la température, roussissent, gelant indépendamment du rayonnement lunaire, bien que le thermomètre ne donne pas la température de la glace, si on le place dans l’atmosphère.

M. Arago a donc raison en déclarant qu’avec des circonstances thermométriques toutes pareilles, les pousses d’un arbre pourront être gelées ou ne l’être pas selon que la lune est cachée par les nuages ou bien visible, et ceux qui attribuent le roussissement des pousses à l’effet de la lumière de l’astre se trompent.

La rosée et la vapeur d’eau guérissent les roussissements des jeunes plants. La rosée a pour cause l’abaissement de la température des corps solides placés à la surface de la terre, tout comme le phénomène de la lune rousse: Quand la température est assez chaude, une forte évaporation de l’eau existant sur la surface du sol se produit et, s’il survient une nuit sereine, tous les corps qui ne sont pas abrités vers le zénith produisent de la chaleur vers les espaces célestes, et la température des parties vertes des arbres diminue de quelques degrés au-dessous de l’air ambiant qui dépose sur les pousses la vapeur qu’il a en trop comme une véritable buée.

On voit donc que la rosée est produite par la condensation de la vapeur d’air sur les corps refroidis; elle est donc une irrigation très utile aux jeunes plants et elle leur procure, par suite de la condensation de la vapeur d’eau, un peu de chaleur.

L’humidité des pousses n’est pas toujours un indice de rosée, car il y a des jeunes plants qui transpirent plus ou moins pendant la nuit, et l’eau qu’ils abandonnent ne se transforme pas toujours en vapeur invisible avant le lever du soleil ; elle se pose alors sur les feuilles en gouttelettes ressemblant à celles que la rosée peut y déposer.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 227