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A. O. F. 1939

Le Dahomey.

Le royaume d’Abomey était certainement l’un des États noirs le plus solidement organisés, et cette organisation est curieuse. À la tête, le roi héréditaire de mâle en mâle qui choisit son nom. La légende donne à la dernière dynastie l’origine suivante. Le fils du roi d’Allada, fuyant son pays, vint demander asile au roi des Foys (gens d’Ahomey), Dâ. Ce dernier le reçut bien ; mais, loin de se montrer reconnaissant, le réfugié empiéta sur ce qui lui avait été accordé, fomenta des intrigues ; enfin il fit assassiner le roi Dâ, bâtissant ainsi un royaume sur le ventre (homè) de Dâ : d’où Dahomé. Autre version : le voyant chaque jour prendre plus d’espace qu’il ne lui en avait concédé, Dâ l’aurait fait appeler et lui dit : « Tu bâtiras bientôt sur le ventre de Dâ. » Quoi qu’il en soit de cette origine, une véritable dynastie régnait sur le pays. Au-dessous du roi, des princes très nombreux, ce qui se comprend, le harem royal étant copieusement garni (un millier pour Glé-Glé qui régna quatre ans). Mais ces personnalités n’avaient, sage précaution, aucune part dans la direction du royaume. Les véritables collaborateurs royaux étaient les ministres ou « cabérères », qui formaient avec leurs familles une sorte de noblesse et dont voici les principaux : le Migan, premier ministre, autrefois justicier ; le Méhou, chargé des affaires des pays extérieurs ; le Yévogan, qui assurait les relations avec les blancs (yevo = blanc, gan = chef) ; l’Adjako, introducteur des visiteurs et chef de la police secrète ; le Sogan, manière d’intendant du palais : le Topo, véritable ministre de l’agriculture; l’Akplogan, représentant du roi à Allada. On le voit, il y a là réellement un commencement d’organisation rarement observé en Afrique Occidentale et qui se complétait notamment par celle de l’armée, munie en partie d’armes à feu dès le quatrième roi. Elle posséda même un canon en bronze. Quand elle se mesura contre nous, elle avait à sa disposition un grand nombre d’armes perfectionnées. Les troupes, dont un certain nombre de soldats permanents, avaient une méthode de rassemblement ; elle préparait ses opérations par un espionnage précis pratiqué bien à l’avance chez l’adversaire et, à la guerre, les espions servaient d’éclaireurs. Ghezo (1818 - 1858), grand-père de Behanzin, créa le corps des Amazones, composé au début des femmes du roi, mais le recrutement s’élargit ensuite. Elles gagnèrent un terrible renom par leur courage et leur mépris du danger. Que de récits plus ou moins amplifiés avons-nous entendu sur leurs exploits ! Au lendemain de la conquête, nombreuses sont devenues mères de famille. Elles n’avaient pas, contrairement à la légende, pratiqué, au moment de leur incorporation, l’ablation du sein, car « elles laissent voir des charmes qu’eussent ambitionné bien des nourrices françaises », mais, paraît-il, elles avaient conservé une certaine humeur belliqueuse qui s’exerçait tout particulièrement, nous allions écrire tout naturellement, contre leurs maris.

Pour gagner l’ancien royaume du Dahomey, revenons à Cotonou — et là, au lieu de partir en hamac, empruntons la voie ferrée. Ces voyages en hamac — comme la pirogue sur les cours d’eau — étaient le mode ordinaire de transport (les marchandises étaient acheminées à tête d’homme par charges de 25 à 30 kilogrammes, sur un parcours journalier de 30 kilomètres environ). Ce portage a été justement critiqué, bien que les indigènes y fussent habitués pour eux-mêmes hommes, femmes et même enfants ; il présentait l’inconvénient d’être une sorte de corvée, payée il est vrai, à laquelle étaient astreintes les seules populations des villages situés à proximité des pistes. Il occupait de nombreuses journées de travail en temps inopportun, (semailles des cultures vivrières, récolte), les indigènes ne s’y prêtaient pas volontiers pour nous. Un hamac tissé et fabriqué dans le pays —il en était de très jolis — arrimé à l’extrémité d’un bambou, l’appareil posé sur la tête du « hamacaire », le voyageur à cheval ou en amazone, et l’on parcourait ainsi 25 à 30 kilomètres par journée de marche, sans fatigue pour les porteurs hommes de superbe stature, qui souvent chantaient en marchant, en courant quelquefois. C’est la région de Zagnanado qui fournissait les hamacaires les plus réputés, qui formaient une véritable corporation ; et n’était pas hamacaire qui voulait, car c’était un métier noble. Le progrès leur a porté un coup fatal, il n’y en a plus guère. Aujourd’hui, l’automobile et le chemin de fer les ont remplacés. À Cotonou, après une bonne promenade au bout du wharf pour respirer la brise de mer, une autre sur la plage, l’heure du train est arrivée. La voie longe la côte, lance un petit embranchement sur Ouidah, la vieille ville des anciens esclaves portugais où règne officieusement le « Chacha », personnage important qui, avant notre venue, était en relations directes avec les rois dahoméens et très certainement leur agent commercial pour l’achat d’armes et de munitions. Le Chacha appartenait à la famille da Souza. L’un d’eux, fort apprécié, donna de bons conseils au roi pour la culture du pays. La ville a gardé son cachet et, à quelque distance, le fort portugais, est toujours debout et occupé, survivance très longue, non gênante d’ailleurs. Le railway, reprenant sa course, passe le long de belles cocoteraies, près du La Ahémé, réputé à juste titre pour ses superbes et excellentes crevettes que l’on consomme fraîches ou fumées. Ces dernières font même l’objet d’une exportation vers la Nigeria, comme le poisson, également fumé d’ailleurs, dont les indigènes sont très friands. Et l’on pénètre dans la grande palmeraie, aussi belle, aussi dense que celle de l’arrière-pays de Porto-Novo, et qu’on traverse de part en part en son milieu. Quel joli coin qu’Allada et ses environs ! Et, en quelques heures, on arrive au terminus à Parakou. Mais, auparavant, on est passé près de Zagnanado, où les missionnaires, dans leur superbe installation, ont aménagé une magnifique plantation de cacaoyers avec quelques caféiers, donnant ainsi à leurs élèves et à leurs catéchumènes le goût du travail ; puis, près d’Abomey où subsistent encore quelques vestiges avec des bas-reliefs qu’il faut savoir interpréter ; on pénètre ensuite dans ce qu’on nomme géographiquement le Moyen-Dahomey : ce n’est plus la région côtière avec ses innombrables palmiers ; ce n’est pas encore la savane soudanaise. Il est constitué par la région de Savalou, pays accidenté à la population assez rude (exemple : les jumeaux étaient rituellement égorgés), mais qui s’est assagie depuis. De haute taille, bien découplés, chasseurs enragés, bons agriculteurs cependant, les Mahis — tel est le nom de cette population — sont peu avenants, mais Dieu ! que leurs femmes étaient laides et le sont restées !

Un peu au-dessus de Savalou, une ligne idéale importante : le neuvième degré de latitude Nord. La chute de Behanzin nous avait rendus maîtres du bas pays ; mais, à partir de ce neuvième degré, pour qu’un pays nous fût acquis et reconnu, il fallait une priorité d’occupation, en vertu des conventions internationales. Si nous ne voulions pas que le Dahomey fût étouffé dans ses étroites limites, il fallait atteindre et prendre pied effectivement sur les rives du Niger et assurer la liaison, effective elle aussi, avec le Soudan français : il fallait devancer les Allemands du Togoland pour qu’ils ne nous coupassent pas la route soudanaise, et les Anglais de la Nigeria sur le Niger. Au lendemain de la conquête, Victor Ballot, premier gouverneur de la colonie, fonde, au neuvième degré un poste de départ à Agbassa, qu’il baptise Carnot-ville et donne de sa personne. Le commandant Decœur gagne de vitesse les Anglais dans leur marche sur le Borgou. Il scinde en deux sa colonne : l’une part vers Say sur le Niger, l’autre sur la région de Fada N’Gourma, convoitée par les Allemands, se dirigeant sur l’arrière-pays de notre colonie de la Côte d’Ivoire. L’administrateur Alby tentait de joindre le Mossi. Une autre mission, confiée au commandant, depuis général Toutée, s’installe à Babdjibo sur le Niger. Pour appuyer cette première pénétration, le capitaine Baud fut envoyé au Gourma (Fada) (janvier 1897) et le lieutenant de vaisseau Bretonnet partait (fin 1896), pour le Niger. Portée sur le terrain diplomatique, cette course concurrente aux territoires africains aboutit à une convention avec l’Allemagne (9 juillet 1897) et avec l’Angleterre (14 juin 1898), et ces deux traités nous reconnaissaient l’essentiel des droits acquis dans l’espace, puisque, dans l’Est, le Dahomey avait accès au Niger et, dans l’Ouest, la jonction avec la Côte d’Ivoire et le Soudan qui « encerclait » — le mot n’était pas encore à la mode — le Togo allemand et la Gold-Coast anglaise, était réalisée. Et dire que le public français ne connaît même pas les noms de ces valeureux pionniers, dont les moyens pour faire de grandes choses étaient bien réduits.

(À suivre.)

G. FRANÇOIS.

(1) Voir numéros de février et mars.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 247