Un monstre sensationnel, raconte un de nos confrères d’Outre
Atlantique, devait être présenté à l’Exposition de New-York.
Il s’agissait d’un chien artificiel, un chien « robot »,
doté d’un œil électrique, dissimulé dans sa truffe noire. Grâce à cet
œil judicieusement placé, le chien devait se précipiter sur les visiteurs et
leur planter solidement dans le gras du mollet une mâchoire d’acier !
Malheureusement, le chien trouva un jour la porte ouverte, échappa aux
ingénieurs et périt glorieusement, en chargeant droit sur les phares d’une
automobile !
Quand les machines « voient ».
— Si non e vero ... dit le proverbe !
À défaut des bull-dogs entreprenants, l’œil électrique équipe aujourd’hui des
milliers d’ « automates » industriels, dont la liste seule couvrirait
une page entière de notre Revue !
L’œil électrique arrête les locomotives au pied des signaux
fermés, expédie les photos par T. S. F., répond l’heure au téléphone,
prête sa voix au cinéma parlant, contrôle l’authenticité des tableaux et des
billets de banque, compte les visiteurs des expositions et les sacs dans les
entrepôts, aiguille les bagages vers les trains en partance, surveille le
« cracking » des pétroles, l’impression des papiers peints, la
clarification du vin, le filtrage des eaux, l’opacité des fumées dans les
cheminées des usines, en vue d’éviter de fâcheuses contraventions du service
d’hygiène. Accouplé à une boussole, il guide les avions sans pilote ; dans
les Manufactures de tabac, il se charge de trier les cigarettes à bout doré et d’éliminer
celles qui se présentent à l’envers dans le paquet. C’est un œil électrique qui
assure la « surveillance d’incendie » à bord du paquebot Normandie,
et qui indique avec précision aux photographes le temps de pose nécessaire pour
leurs clichés.
Sans l’œil électrique, nous n’aurions jamais eu cette
réalisation encore embryonnaire, mais déjà prestigieuse, la télévision.
L’œil électrique voit tout ce que voit l’œil humain et bien autre chose
encore ; il voit l’ « infra-rouge », les rayons de chaleur émanés
des corps vivants ; un robot équipé d’un œil électrique peut poursuivre un
homme dans l’obscurité. Il permet aux aveugles de lire les livres imprimés noir
sur blanc, au moyen d’un appareil à picots saillants, nommé « photo-électrographe »,
qui reproduit en relief, sous les doigts de l’aveugle, la silhouette des
caractères d’imprimerie. Il donne la voix aux muets, grâce à un appareil à
touches, le « sténophone » comportant un davier chiffré en syllabes
qui commande un haut-parleur.
Les applications guerrières de l’œil électrique sont
également variées. Dès l’autre guerre, des yeux électriques furent employés,
aux créneaux de tranchées, pour signaler au créneau d’en face une présence
indésirable. Nous ne trahirons aucun secret en disant que les entrées des forts
souterrains de la ligne Maginot, vers l’arrière, sont barrées par des faisceaux
de rayons infra-rouges invisibles, tombant sur des yeux électriques ;
qu’un assaillant se présente, et c’est l’alerte instantanée, le feu aux
poudres !
Les Allemands, qui ne détestent pas les ...
plaisanteries scientifiques douteuses, nous ont laissé dans la forêt de Warndt
un échantillon de leur savoir-faire en tait d’yeux électriques ; un œil,
soigneusement dissimulé, était relié à une mitrailleuse, qui se mit à tirer dès
que nos troupes s’approchèrent ! Une telle réalisation — en admettant
qu’elle soit authentique — n’offre, du reste, aucune difficulté ; on
ne compte plus les voleurs qui ont provoqué l’alarme en glissant leur bras dans
le guichet d’une banque surveillé par un œil électrique ; heureux encore
quand l’œil ne s’est pas empressé de déclencher une robuste herse à dents
aiguës !
Comment fonctionne l’ « œil électrique ».
— Comment est construit l’œil électrique, de son vrai
nom cellule photo-électrique ? Il en est de plusieurs sortes.
Voici la plus répandue. Imaginez une bulle de verre,
analogue à une lampe électrique, dans laquelle on a fait le vide. Le verre est
tapissé intérieurement d’une couche d’un métal sensible à la lumière ; au
centre, se dresse une tige métallique. Deux bornes extérieures sont reliées,
l’une à la tige, l’autre à la couche sensible :
Par une petite « fenêtre » vitrée, ménagée dans la
couche, faisons tomber un rayon lumineux dans l’ampoule ; des électrons,
ou grains d’électricité négative, analogues à ceux qui circulent fort
classiquement dans les lampes de votre récepteur de T. S. F., sont
arrachés par la lumière et viennent bombarder la tige centrale. Instantanément,
grâce à ce phénomène, notre ampoule est transformée en une véritable pile
électrique, une « pile à lumière », dont nous pourrons recueillir le
courant aux bornes.
Ce courant est évidemment ultra-modeste ; il est
compris entre 1 millième et 1 millionième d’ampère (pour vous donner
une idée de cette unité, une lampe de 40 watts consomme un tiers d’ampère
sous 110 volts, et votre démarreur de voiture absorbe momentanément 200 ampères) ;
mais rien ne nous empêche d’amplifier ce courant au moyen d’amplificateurs à
lampes (tout comme dans votre poste de T. S. F., vous amplifiez le
faible courant capté dans l’espace par l’antenne) et de nous en servir pour des
fins utilisables.
Voici un bel exemple ... astronomique, que nous
emprunterons à l’Amérique. Lors de l’ouverture de l’Exposition de Chicago, on
plaça au foyer de la grande lunette de l’observatoire de Yerkes un œil
électrique relié à des amplificateurs ; à l’heure prévue, une belle étoile
de première grandeur, Arcturus, de la constellation du Bouvier, vint se placer
dans le champ de la lunette : l’œil expédia son courant dans les
amplificateurs, qui enclenchèrent les disjoncteurs de la station d’éclairage
électrique (10.000 chevaux) ; et toute l’Exposition s’alluma.
Il est frappant de songer que la lumière, à la fabuleuse
vitesse de 300.000 kilomètres par seconde, emploie 40 ans à nous parvenir
d’Arcturus, en sorte que, quand le rayon avait pris son vol, les ingénieurs
n’étaient peut-être pas nés et l’œil électrique n’était pas inventé !
L’ « œil » sauve des vies humaines.
— Voici quelques applications de la cellule photo-électrique.
Cette double porte (fig. 1) doit s’ouvrir fréquemment
devant des serveurs qui ont les mains encombrées. Un petit projecteur lumineux
et une cellule ont été installés de part et d’autre du passage ; le rayon
du projecteur tombe sur la cellule. Quand une personne vient couper le rayon,
la cellule agit sur un « relais » à électro-aimant qui met en marche
un moteur électrique, chargé d’ouvrir les battants. Le même système est
appliqué dans les garages, avec cette variante que la cellule présente une
certaine « inertie », en sorte qu’elle ouvre la porte pour les
voitures, dont l’ombre est longue, mais reste impassible devant les piétons.
Le fléau de cette balance (fig. 2) vient de même
intercepter un rayon agissant sur une cellule ; ainsi, on peut remplir
automatiquement un sac, un fût, posés sur le plateau de la balance, la cellule
se chargeant d’arrêter le remplissage, ou d’actionner une sonnerie, quand le
poids prescrit est atteint.
La protection contre l’incendie à bord de Normandie est
schématisés par les figures 3 et 4 ; on distingue à droite les tuyaux
aspirants qui partent des cales et aboutissent dans une boîte vitrée placée sur
la dunette. Cette boîte est représentée à gauche ; elle est traversée par
un faisceau lumineux en zig-zag, renvoyé par des miroirs, que le filet de fumée
vient obscurcir : la « cellule de mesure » déclenche alors un
klaxon d’alarme, et il suffit d’examiner le numéro du tube qui fume pour
connaître le local en feu. Une « cellule de comparaison » empêche le
fonctionnement du klaxon, quand la lumière est affaiblie par une cause
étrangère, telle qu’une baisse de voltage. On évite ainsi de fausses alertes.
Mais l’une des plus belles applications des « yeux
électriques » est sans doute la protection des ouvriers travaillant sur
machines dangereuses, dans les usines. Pour le travail sur presse à
excentrique, par exemple, on tend un barrage lumineux devant le
« casse-noisettes » formé par les mâchoires : si l’homme avance
sa main au moment dangereux, la machine s’arrête. Pour les grosses machines,
qui ne peuvent être arrêtées instantanément, il y a mieux encore : l’œil
déclenche une forte barre qui fauche l’imprudent et l’envoie rouler « dans
le paysage » !
L’ « œil électrique » surveillant et protecteur de
l’homme en chair et en os, le « robot » qui punit son maître ...
avouons que c’est là le comble de l’automatisme !
Pierre DEVAUX.
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