J’ai rencontré il y a quelques jours un chasseur qui a
profité des passages de gibier rare en mer pendant les grands froids, si
durables cette année, et amené aussi par les conditions tout à fait spéciales
du comportement des oiseaux fréquentant la mer, causé par la guerre maritime.
Il m’a dit avoir tué quelques milouinans et avoir trouvé qu’ils étaient bien
plus excellents à manger que la plupart des autres canards.
En ce qui me concerne, j’ai rencontré, au cours de ma longue
carrière de chasseur, très peu de milouinans fort rares dans la région que
j’habite et je ne me souviens pas bien de l’impression que m’a causée la
dégustation de leur chair. Le Dr Quinet, mon ami, le gastronome par
excellence, dans son ouvrage sur les oiseaux du bas Escaut, considère le
milouinan comme très rare sur les côtes de Belgique, du bas Escaut ; il en
a tué fort peu, mais ils lui ont fourni l’occasion de faire à leur égard des
observations et des poursuites très intéressantes. Quant à leur valeur
gastronomique, il ne paraît pas avoir été bien enthousiasmé d’eux comme gibier
comestible. Il les déclare seulement très mangeables, ce qui, pour un gourmet
comme l’était Quinet, est un bien piètre compliment pour la chair des
milouinans.
Mais, au point de vue de ce qui nous occupe aujourd’hui,
nous avons comme visiteurs réguliers de nos côtes françaises comme des côtes de
Belgique, bien d’autres espèces de canards qu’il est intéressant de citer au
point de vue de la délicatesse de leur chair. La sarcelle, surtout, puis le
col-vert en jeune âge, pas quand il est trop vieux, puis le milouin, le
morillon, qui se touchent comme espèce ; les souchets, pilets ou autres,
sont mieux que mangeables jeunes à la broche, vieux en salmis, à la condition
que ce salmis soit savamment préparé. Quant au tadorne, ce superbe canard que
les froids et la guerre nous ont amené assez nombreux cet hiver, qui est, pour
beaucoup de chasseurs, avec juste raison,, un coup de fusil magnifique, je
crois que Toussenel avait raison de le considérer comme un rôti médiocre tant
que, conformément à ses prescriptions, « il n’aura pas été domestiqué et
engraissé au point de devenir dans le livre de la « gastrosophie » de
l’avenir une illustration éclatante ».
C’est aussi l’avis d’un de mes très respectables amis, curé
d’une charmante commune située au bord de la mer, auquel on a donné cet hiver
un tadorne, oiseau superbe, mais dont la délicatesse de la chair ne répondait
pas à la beauté de son plumage, ce qui n’empêche que le tadorne est un superbe
gibier et que sa capture est des plus recherchée de tous les chasseurs.
Toutes ces considérations m’amènent à donner aux chasseurs
gastronomes quelques conseils trop souvent utiles. Les canards sauvages, comme
tous les oiseaux de mer et de marais, sont, mon Dieu ! — qu’ils me
pardonnent cette comparaison, — comme les vulgaires poulets de basse-cour.
Ils sont excellents quand ils sont jeunes à la broche et rôtis ; mais,
quand la saison de leur jeune temps est passée, ils préfèrent être mangés en
salmis ou, autrement, ils préféreraient sans doute ne pas être mangés du tout,
mais je ne fais que répéter ici ce que des maîtres ont écrit souvent. Notre
langue française a de ces ironies.
Et, pour bien prouver que des couleurs et des goûts on ne
doit discuter, je dirai en terminant que j’ai mangé du cygne sauvage, ce qui ne
m’avait pas enthousiasmé, jusqu’au moment où on m’a indiqué de faire mariner
seulement les filets de la poitrine de ces grands oiseaux. Or, un de mes amis,
qui a tué plusieurs cygnes cet hiver, m’a assuré en avoir mangé de rôtis tout
simplement ou assaisonnés en salmis et les avoir trouvés excellents. Quant aux
oies sauvages, j’en ai goûté souvent ; il y en a qui sont très mangeables,
mais cela dépend beaucoup du cuisinier ou de la cuisinière, comme pour la
plupart des oiseaux et même de tout le gibier, plume ou poil.
Louis TERNIER.
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