Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°599 Mai 1940  > Page 273 Tous droits réservés

Le lancer léger

Le saumon.

Pêche à la crevette.

— Si vous le voulez bien, nous parlerons d’abord et surtout de la pêche du saumon à la crevette. Pourquoi ? Parce que, d’abord, c’est la méthode qui se rapproche le moins de toutes celles appliquées à n’importe quel poisson. Ensuite, parce que c’est, je crois, le moyen le plus généralement efficace de capture de notre grand poisson, celui qui réussit le plus souvent. Enfin parce que c’est vraiment la méthode qui s’adapte le mieux aux engins du lancer léger.

L’appât est la grosse crevette rose, dite « bouquet », cuite et conservée dans la glycérine.

Par eau moyenne, elle ne saurait être trop grosse, et les plus beaux spécimens seront à rechercher. Mais, si l’eau baisse et s’éclaircit, d’assez petites crevettes seront préférables. Les Anglais commencent même à préconiser dans ce cas les vulgaires crevettes grises « shrimps ».

Quoi qu’il en soit, les crevettes seront cuites sans excès à l’eau salée, puis placées dans une solution de glycérine au tiers. Mais, avant de les abandonner dans leur petit bocal, il faut introduire dans chacune d’elles un petit brin de sorgho extrait d’un balai (c’est ce que je connais de mieux), pour la maintenir bien droite tandis qu’elle est encore souple. Plus tard, en voulant la redresser au moment de s’en servir, on risquerait de la casser. Il faut conserver soigneusement les longues antennes, les palpes, les fragiles pattes du petit crustacé qui semblent exercer un grand attrait sur le saumon.

Il y a des montures plombées. Je crois préférable de laisser à la crevette toute sa légèreté et de n’ajouter le plomb nécessaire qu’à une certaine distance sur le bas de ligne (0m,40 au moins), sous forme d’un petit tortillon de gros fusible. La grosse crevette pèse déjà 2 ou 3 grammes. Il ne faut pas énormément de plomb pour la lancer à bonne distance. C’est au pêcheur de juger de ce qu’il doit en ajouter pour maintenir l’appât à bonne profondeur.

La crevette, traversée dans sa longueur par l’aiguille spéciale, sera ligaturée sur la monture, avec un peu de fil rose. On la monte la queue en arrière, je veux dire dans la direction de la canne, la tête en bas. Ainsi, quand on la tirera dans le courant, elle progressera à reculons, ce qui est l’allure normale d’une crevette vivante qui s’échappe par petites saccades.

Pour explorer les places indiquées comme favorables, ou celles où on aura « vu par corps » le saumon chasser, il faudra lancer la crevette dans la direction de la berge opposée, la laisser décrire un arc de cercle dans le courant jusqu’à revenir en aval du pêcheur, puis la ramener le long de la berge de votre côté. Mais, pendant tout ce parcours, l’appât doit être « travaillé » par de petits mouvements du scion, sans brusquerie, relevé, abaissé par de petits relâchers irréguliers, dévié à droite, à gauche. Cela produit des mouvements des antennes et des pattes très attrayants. La touche est parfois très peu perceptible : le saumon « joue » avec la crevette comme un chat avec une souris, en la tenant très souvent seulement par l’extrémité des antennes. Si on ferre à ce moment, on effraye le poisson et tout est manqué. On manque beaucoup plus de saumons en les ferrant trop tôt qu’en ne les ferrant pas. Même si le poisson a lâché la crevette, ou lui a arraché une antenne, si vous n’avez pas ferré, le poisson reviendra très probablement au prochain passage de l’appât. Quand il l’aura pris franchement et arrêté en plein courant, il se piquera tout seul et vous le sentirez bien ! c’est alors l’instant d’assurer le ferrage et de relever la canne.

Les débutants sont très souvent surpris du peu de violence opposée au premier départ par le saumon. Ils disent :

« Ce n’est que ça ! » mais leur optimisme ne dure pas; quand le grand poisson commence à s’apercevoir qu’il pourrait bien se trouver en danger, c’est fini de rire, et la bagarre est des plus sérieuses.

Avec le matériel de lancer léger, le pêcheur bénéficie d’un « atout » considérable dans son jeu : c’est le frein réglable à roue libre qui fonctionne automatiquement et évite à l’homme d’avoir à prendre de ces décisions ultra-rapides d’où dépend le succès ou l’échec. Selon que le poisson tire ou faiblit, la ligne est rendue ou reprise instantanément. La pression reste constante. Aucun « mou » ne se produit dans le fil. En théorie, tout échec est impossible.

Heureusement qu’en pratique, il n’en est pas du tout ainsi, sans quoi que resterait-il de la « glorieuse incertitude du sport » ?

D’abord, il faut que le réglage du frein soit bien fait, c’est-à-dire assez dur. Sans quoi pas de ferrage, pas de résistance ; le poisson se décroche en moins de deux ou la cérémonie se poursuit jusqu’à la journée consacrée à la fête du bienheureux Glinglin. Mais tout de même pas trop dur. C’est une question de tact. Je vous ai déjà dit ça à propos du brochet. Mais, quand il s’agit d’une grande brute comme le saumon, c’est bien autre chose.

Il faut que le moulinet soit assez doux pour que le fil puisse résister à une très brusque accélération de la vitesse du poisson. En effet, voici comment se passent les choses : vous manœuvrez un poisson vigoureux, mais qui se borne à tirer normalement. Il vous prend du fil, et vous trouvez que tout va bien, puisque votre frein, assez sévèrement serré, semble lui opposer une résistance sérieuse qui va hâter sa capitulation.

Le poisson faiblit. Vous reprenez du fil. Tout à coup la bête comprend le danger, ou bien elle a vu votre figure ... bref, elle part à pleins gaz ... la résistance du frein est brusquement multipliée par le carré de la vitesse et le gut, bien que relativement robuste, claque comme une corde de violon trop tendue ... ; la communication, qu’on avait eu tant de peine à établir, est coupée.

Comment vous dire quelle est la tension maximum à établir ? C’est bien difficile, il y faut l’habitude, la pratique. Pour un débutant, le critérium le moins vague est celui-ci : attachez votre gut à un point fixe, réglez dur et ferrez brusquement.

Le gut casse. Adoucissez le réglage, jusqu’à ce qu’il ne casse plus. À ce moment, le réglage doit être bon. Espérons que les secousses de la marche et du lancer ne le modifieront pas. Cela arrive avec certains moulinets et il faut y veiller.

La vis se desserre toute seule, comme toute vis soumise à des secousses. Et soudain, au moment où un beau poisson vient de s’accrocher, on s’aperçoit qu’on n’a sur lui aucune action ... il est bien temps de serrer la vis ! Il y a gros à parier pour qu’on la serre trop et que ça se termine rapidement par une casse !

Mais supposons que le réglage soit bon. Alors le pêcheur n’a qu’à mouliner imperturbablement, en tenant la canne haute pour parer aux à-coups. Qu’il se maintienne coûte que coûte en aval de son poisson. Celui-ci, tiré en aval, cherche à filer en amont. Si le saumon saute, un bref salut de la canne détend la ligne et la retend aussitôt. S’il file vers un obstacle dangereux, il faut le faire tourner, et pour cela incliner franchement la canne en bloquant la bobine. Casser pour casser, autant essayer sa dernière chance.

Si le saumon « fait le chien » comme un fox qui secoue sa laisse, le frein à roue libre y pourvoira. De même, s’il s’appuye obliquement sur le courant et fait « le cerf-volant ». S’il boude, c’est-à-dire va se coller au fond le nez contre une pierre et déclare qu’il ne veut plus jouer, c’est mauvais, car il va reprendre des forces. Il faut le faire démarrer coûte que coûte. On y arrive parfois avec d’incessantes petites saccades. Parfois en lui donnant « du mou » (c’est dangereux !). Si on a un camarade qui puisse lui lancer des pierres, il n’y a rien de mieux. Si tout va bien, il repart et finit par « montrer le blanc », c’est-à-dire tourner sur le flanc. Il peut encore repartir. Enfin le voici vaincu, et il faut « le pomper », c’est-à-dire, comme je vous l’ai dit, bloquer la bobine, attirer le poisson en levant la canne, mouliner trois tours en la baissant, et recommencer.

A. ANDRIEUX.

(1) Voir numéro d’avril 1940.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 273