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Cidrerie

De la mise en bouteilles.

Lorsqu’elle est bien réussie, la mise en bouteilles est le moyen le plus parfait de conservation des cidres, parce que, en les soustrayant absolument au contact de l’air, qui est le grand générateur de leurs altérations et de leurs maladies, elle les y maintient avec toutes leurs qualités et quelquefois diminue même certains de leurs défauts, d’où la raison de la propager le plus possible en n’y soumettant que d’excellents cidres.

Dans les régions cidricoles, chaque cultivateur se réserve au moins, chaque année, une pièce de cidre pur jus qu’il choisit parmi le meilleur.

La pratique de la mise en bouteilles, qui paraît facile, exige de grands soins.

La première des conditions est une limpidité irréprochable ; si on néglige de l’obtenir, pour peu que le cidre soit louche ou de teinte peu franche, il ne tarde pas à former, dans la bouteille, un dépôt volumineux.

Cette limpidité ne peut être obtenue qu’avec des soutirages pratiqués en temps opportun. Le premier soutirage est effectué aussitôt après le débourbage, lorsque le cidre est entre deux lies ; puis le second, vers mars. Si la clarification est lente, difficile à obtenir, un collage huit jours au moins avant la mise en bouteilles est parfois nécessaire. On se servira, dans ce but, de 10 grammes de tanin à l’alcool par hectolitre que l’on fera dissoudre dans un verre d’alcool ou d’eau-de-vie et que l’on versera ensuite dans le tonneau en agitant.

Si l’on opère sur du cidre doux, il faut arrêter la fermentation en introduisant dans celui-ci, la veille du collage, une solution de 10 grammes par hectolitre de métabisulfite de potasse.

Moment pour la mise en bouteilles.

— Un temps froid, clair, à forte pression barométrique (780), est indispensable pour soutirer un cidre limpide. Les basses pressions favorisent la montée d’éléments légers à la surface et causent un trouble du liquide.

Le densimètre renseigne sur le moment propice de la mise en bouteilles. S’il marque 1.010 ou 10, le cidre sera légèrement pétillant ; à 1.015 ou 15, il sera un peu mousseux ; de 1.018 à 1.020, il sera mousseux ; au delà de 1.020, la casse des bouteilles se produira.

Si un cidre à mettre en bouteilles a une densité trop faible, on ajoute par litre autant de fois 2 grammes de sucre qu’il y a de degrés à obtenir. Si, par exemple, la densité est de 1.010 et que l’on veuille obtenir du mousseux à 1.015, on doit incorporer 1.015 - 1.010 = 5 x 2 = 10 grammes de sucre par litre. Il faut dissoudre le Sucre dans un peu d’eau pour en faire un sirop et verser celui-ci dans chaque bouteille.

Pour les cidres mousseux (1.020), des bouteilles champenoises sont indispensables. Les cidres secs peuvent être conservés en bouteilles ordinaires.

Voici, succinctement, comment la mise en bouteilles doit avoir lieu chez le petit producteur, ou même chez le consommateur :

1° Quand le cidre est sec et ne contient qu’une faible quantité de gaz carbonique, il importe de lui éviter la moindre perte de ce gaz et, par suite, le contact de l’air, en tenant compte, bien entendu, des conditions météorologiques que nous avons indiquées. Dans ce but, on ajoute au robinet du tonneau un tube en caoutchouc qui conduit le cidre au fond de la bouteille.

On la remplit jusqu’à l’épaulement, si l’on ne dispose que d’une machine à boucher ordinaire, et jusqu’à ce que le liquide touche le bouchon, si l’on possède une machine spéciale, permettant le bouchage sans laisser aucune bulle d’air, On ne ficelle pas les bouchons, mais on les paraffine pour les préserver des moisissures si répandues dans les caves humides : puis on les couche ensuite en tas, de manière que le bouchon soit toujours maintenu humide.

2° S’il s’agit de cidres mousseux ou petits mousseux, les bouchons paraffinés sont assujettis avec un fil de fer ou un muselet et les bouteilles couchées, afin d’éviter toute perte de liquide et de gaz.

Le bouchage des bouteilles sans chambre à air est très recommandable. Dans ce procédé, il se forme, grâce au petit nombre de globules de levure contenus dans la bouteille, une fermentation sans air et très lente. La levure, incapable de se reproduire à l’abri de l’air, perd de sa vigueur, fait fermenter seulement une partie du sucre renfermé dans le cidre, laissant intacte l’autre partie destinée à donner au liquide la douceur recherchée. Le gaz carbonique, provenant du sucre fermenté, donne une pression convenable sans amener la casse des bouteilles, ou très rarement. Le bouchage sans air présente enfin un autre avantage : les bouteilles ne laissent jamais échapper violemment leur contenu au moment du débouchage. Toute perte du liquide est supprimée.

Cependant, le remplissage complet des bouteilles n’est à recommander que lorsque celles-ci ne doivent sortir de la cave que pour une rapide consommation, car, si on les soumet à un long transport par une température assez élevée, comme dans le cas de l’exportation dans les pays chauds, il est bien à craindre que la dilatation du liquide supérieure à celle du verre ne le force à s’infiltrer entre le bouchon et le col de la bouteille, ou ne provoque la casse.

Nous ajouterons qu’il importe de ne se servir que de bons bouchons, neufs. Avant de les employer, il faut les assouplir pour leur donner l’élasticité nécessaire pour pénétrer dans le goulot des bouteilles qu’ils doivent fermer, soit en les trempant durant douze heures dans de l’eau froide, ou, quand on est pressé, pendant deux à trois heures, dans de l’eau tiède (20° à 40°), puis pendant un quart d’heure dans du cidre ou dans de l’eau alcoolisée.

Les cidres mousseux bien bouchés se conservent pour ainsi dire indéfiniment en bouteilles parce que le gaz carbonique joue le rôle d’antiseptique ; c’est un conservateur excellent et de plus il fait ressortir l’arôme, la finesse du cidre.

L. LANEUVILLE.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 291