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Production du poil d’angora

Coup d’œil rétrospectif.

— L’élevage du lapin angora a été considéré longtemps comme appartenant au domaine des amateurs ayant du temps à perdre, et peu exigeants sur la question du rapport. C’était à l’époque pas très éloignée où l’industrie des tissus d’angora restait à l’état embryonnaire, parce que, sauf quelques rares privilégiés, le grand public ignorait la valeur thermogène du poil de ce lapin. Il y avait bien, déjà, quelques usines spécialisées dans la fabrication des tissus médicaux, tels que plastrons, chemisettes, genouillères, caleçons, gants, casquettes, chaussettes, tricots, etc., mais elles ne cherchaient pas à étendre leur clientèle, préférant acheter les soies au plus bas prix, en provoquant la chute verticale des cours pendant la saison creuse, alors que les sous-vêtements précités étaient moins demandés, ce qui décourageait passablement les producteurs.

Cette situation aurait pu s’éterniser si les sommités médicales n’avaient fait connaître les vertus thérapeutiques du poil soyeux de l’angora, au double point de vue thermométrique et hygrométrique, pour toutes les personnes débiles, malades et convalescents, ainsi que pour les rhumatisants. D’autre part, en raison de l’extension prise par l’automobilisme, l’alpinisme, les voyages polaires, et surtout l’aviation, sans oublier la nouvelle technique du traitement des affections pulmonaires, des débouchés se sont ouverts en grand nombre pour les tissus fournis par les filés du poil de l’angora.

C’est donc grâce à la multiplicité et à la concurrence des maisons, jointes aux demandes toujours croissantes de la clientèle, que les soies de notre sympathique lapin peuvent enfin être vendues à un prix rémunérateur, sans avoir à craindre, comme jadis, de voir tomber les cours au-dessous de 100 francs les 100 kilogrammes. Il va sans dire que, à ce prix de misère, on n’était pas payé de ses peines.

Conservation du poil d’angora.

— Du fait de l’extension des débouchés, la mévente et la dépréciation des cours n’est plus à craindre. Néanmoins, comme il y aura toujours des fluctuations sensibles, conséquence inéluctable de la loi de l’offre et de la demande, et du jeu des haussiers ou des baissiers, faisant stocker les soies par des intermédiaires, il est nécessaire que les producteurs se serrent les coudes, afin de ne pas faire les frais de l’agiotage qui sévit sur cette matière textile.

S’ils ne veulent pas se syndiquer, les éleveurs devront conserver leurs soies, aussitôt que les demandes d’achat se raréfieront sur le marché, en attendant le relèvement périodique des cours, qui se produit invariablement aux approches de l’hiver, lorsque les fabriques travaillent à plein rendement. Mais, étant donné que le poil de l’angora, de par sa finesse et ses propriétés hygrométriques, a une tendance à se feutrer, sous l’influence de la pesanteur et de l’humidité ambiantes, on devra prendre des mesures de défense pour empêcher son altération, d’autant plus que, pendant les chaleurs de l’été, les soies brutes risquent d’être dévorées par les mites et les dermestes, de même que les plumes. Dans la pratique, il faut prévoir une conservation prolongée de six mois, en attendant le relèvement des cours.

Un moyen simple et efficace est le suivant. Dans de grands pots en grès, genre saloir à porc, ou dans des tonneaux défoncés d’un bout, on distribue les soies par couches de 10 centimètres d’épaisseur au plus, sans les tasser. Chaque couche ou lit est séparé du suivant par une feuille de papier blanc, coupée en arrondi, que l’on imbibe d’essence, au moment de l’intercaler dans le récipient. Le fond étant lui-même recouvert d’une rondelle de papier, de même que le dessus, le poil sera à l’abri de toute altération, pour trois mois environ ; si on le porte dans un local sain, les vapeurs d’essence le défendront contre l’attaque des parasites.

Pour éviter le tassement et le feutrage qui se produiraient à la longue, il faut, tous les trois mois, transvaser les soies dans un autre récipient symétrique, par couches alternées, d’une façon inverse, celles du haut en bas et vice versa, toujours en les séparant par des rondelles de papier imbibées d’essence. On pourra ainsi attendre le moment propice à la vente, laquelle se fera en envoyant des échantillons aux filateurs, ou aux intermédiaires sérieux, sachant se contenter d’une commission raisonnable.

Élevage des angoras.

— Dans ses grandes lignes, la conduite d’un clapier d’angoras ne diffère pas sensiblement de celle d’un clapier peuplé de lapins ordinaires, si ce n’est par quelques points spéciaux concernant les soins, la nourriture et la sélection.

En premier lieu, un clapier pour angoras doit être à l’abri des grands froids et des courants d’air qui seraient néfastes au moment des déshabillages. Il est, en outre, recommandé de les loger dans une demi-pénombre, non à la lumière vive, parce-que l’obscurité favorise la finesse et l’élongation des poils. En outre, il convient, pour réduire au minimum les dépenses de main-d’œuvre, occasionnées par les nettoyages, la distribution des aliments, etc., de grouper les lapins par sexes, femelles et mâles émasculés à part, les lapines portières ayant seules un logement indépendant, destiné à la procréation.

Tous les sujets devront évidemment être lités abondamment, les cases et réduits étant pourvus d’une pente ad hoc pour l’écoulement automatique des urines, de manière que les toisons ne soient pas souillées par les excréments solides et liquides.

Les femelles sélectionnées destinées à la reproduction étant mises au mâle, pour la première fois, entre 7 et 8 mois, devront être réformées au plus tard à 4 ans. Les autres lapines et les mâles émasculés peuvent être conservés un ou deux ans de plus ; mais, dans la pratique, il vaut mieux ne pas les garder trop longtemps, leur chair perdant de sa qualité et devenant filandreuse en vieillissant. Les angoras donnent une viande aussi bonne et aussi appétissante que les lapins ordinaires du même âge ; il n’y a pas lieu de s’inquiéter des objections contraires.

Pour stimuler la croissance du poil.

— Les lapins angoras peuvent être nourris de la même manière que les lapins à viande. Cependant, pour favoriser chez les premiers la sécrétion pileuse, qui doit être intense pendant toute leur existence, on devra leur fournir, en plus grande quantité, la protéine et les principes minéraux qui rentrent plus particulièrement dans la constitution du poil, notamment le soufre et le phosphore.

C’est ainsi que l’on fera bien d’ajouter un petit complément à la provende habituelle, à base de farineux (sons, remoulages, farine d’orge, d’avoine, de maïs, etc.) que l’on distribue à petite dose à tous les lapins, mais sans exagérer, afin que la ration reste économique. Il faut, en effet, que le gros de la nourriture soit constitué, pour les 4/5 au moins de la matière sèche, par des fourrages secs, des fourrages verts, des racines crues, des tubercules cuits, 1/5 seulement étant fourni par les farineux, auxquels on ajoute des aliments surazotés, tels que tourteaux, farines de viande ou de poisson, lait écrémé et des minéraux associés. Une formule de provende équilibrée pour les angoras peut être établie comme suit :

Son et remoulages 4 parties.
Farine d’orge et de maïs 4 —
Poudre de viande ou de poisson 1 —
Minéraux associés 1 —

Les minéraux préparés à l’avance peuvent se composer, en parties égales, de poudre d’os, de craie phosphatée, de sel marin, de charbon de bois pilé et de soufre sublimé.

Choix de la race.

— Il est impossible d’obtenir un rendement satisfaisant en soies, c’est-à-dire plus de 300 grammes annuellement par adulte, si on ne pratique pas une sélection sévère des reproducteurs, en éliminant tous les sujets douteux, n’ayant pas des poils longs, fins, soyeux et épais, tout en s’efforçant de les maintenir dans une taille moyenne, qui seule permet l’obtention des rendements élevés.

L’idéal serait de croiser le petit angora, dit de Saint-Innocent, dont le poids varie entre 2 kilogrammes et 2kg,500 avec l’Angora blanc ordinaire, pesant 3 à 4 kilogrammes. Les sujets sélectionnés, issus du croisement, devront avoir une toison épaisse et fournie, faisant disparaître la raie médiane du dos, qui déprécie les grandes races, les femelles restant en outre prolifiques et bonnes nourrices. D’ailleurs, tout sujet médiocre, mâle ou femelle, devra être exclu de la reproduction et dirigé vers la cuisine, s’il ne donne pas entière satisfaction.

Plumage des angoras.

— Les lapereaux doivent être habitués de bonne heure aux déshabillages successifs, auxquels on les soumettra pendant toute la durée de leur existence, si on ne veut pas les faire souffrir. C’est à l’âge de 7 semaines que l’on commencera le premier épilage, en opérant par très petites pincées, tout en retenant la peau d’une main. On dépouille successivement le dos, les flancs, la gorge et le ventre. Mais il ne faut pas les sevrer de suite : on les laissera encore une quinzaine de jours avec la mère. Le deuxième déshabillage aura lieu à 4 mois ; c’est quelque temps après que l’on castre les mâles, afin de pouvoir les loger par bandes, sans qu’ils endommagent leur toison.

À partir de cette époque, les lapins étant épilés tous les trois mois, la troisième plumée, qui commencera à être intéressante, aura lieu à 7 mois. On peut encore espérer obtenir des rendements plus élevés en poils, par la suite, soit 80 à 100 grammes chaque fois, jusqu’à l’âge de 3 ou 4 ans. Dans la pratique, les angoras seront sacrifiés après leur quinzième déshabillage, pour être livrés à la consommation.

Les femelles portières ayant besoin de leurs soies pour garnir le nid de leurs petits, on devra toujours se dispenser de les plumer, six semaines au moins avant la mise bas.

C. ARNOULD.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 294